C’est le mois des fiertés LGBTQIA+ et cette année j’ai décidé de dédier à nouveau le mois à des articles sur des sujets liés aux enjeux LGBTQIA+ !
Ça vous est déjà arrivé d’être d’accord avec quelqu’un sur un sujet et de vous rendre compte que vous êtes pas du tout venu à cet accord de la même façon, que vous n’avez pas cet avis pour les mêmes raisons ? Ça m’est arrivé pas mal de fois dans ma vie et j’ai toujours trouvé ce phénomène intéressant. Parce que oui, il semble logique qu’on ne chemine pas toustes pareil vers une même idée, mais quand il s’agit de valeurs, d’éthique, de politique, c’est toujours assez surprenant de voir qu’on peut avoir le même avis, mais pas du tout pour les mêmes raisons…
Un des sujets sur lesquels j’ai souvent ce genre de problèmes c’est sur la question de la prison. J’ai appris à faire très attention à comment je présente mon avis sur la question, parce que quand je me contentais de dire “la prison ne sert à rien”, je tombais souvent d’accord avec des gens… Avant de me rendre compte que leur avis était en fait “la prison ça ne sert à rien parce que c’est le club med et il faut donc tout durcir pour que ce soit vraiment une punition” (alors que moi l’idée c’est, j’imagine que vous vous en doutez si vous connaissez ma newsletter, que la prison ne fait que détruire, ne protège personne, et empêche la réhabilitation, entre autres).
Parfois on peut venir à une même conclusion de façon diamétralement opposées et que ce soit quand même utile. Par exemple, Simone Veil a porté la lutte pour la légalisation de l’avortement pour des questions “hygiéniques” et d’ailleurs considérait que l’avortement était toujours un drame et devait être un dernier recours. Autant dire qu’on n’a pas du tout les mêmes raisons d’être pour la légalisation de l’avortement, mais on ne peut pas lui retirer le fait qu’elle a énormément fait pour la cause1.
Ces derniers temps, il y a un sujet qui me fait de plus en plus grincer des dents à cause de l’angle par lequel une grande partie des adelphes2 de gauche l’aborde : la question des droits des personnes trans et de la lutte contre la transphobie. Au point où il y a des arguments présentés qui finissent par m’énerver sérieusement et par me donner une mauvaise impression des gens qui les avancent.
Say You Say Me
Les attaques contre les droits, et l’existence, des personnes trans continuent à s’enchaîner cette année et sont revenues sur le devant de la scène récemment avec l’annonce de JK Rowling de création d’un fond pour financer ces attaques3. Heureusement, à chaque fois que ces attaques sont sur le devant de la scène, elles provoquent une réaction des personnes concernées, bien sûr, mais aussi de leurs allié·es.
Et je dois dire que c’est assez rassurant de voir de plus en plus de gens refuser la rhétorique anti-trans et remettre en question la transphobie d’une partie de la classe politico-intellectuelle dominante et réactionnaire. Personnellement, voir des personnes très éloignées de ces questions prendre position et affirmer que ces attaques contre les personnes trans ne sont pas acceptables, ça me donne vraiment l’impression qu’on avance. Je sais d’expérience que les personnes haineuses sont les plus vocales et que ça n’est pas représentatif de ce que tout le monde pense. Le problème c’est que les personnes qui restent silencieuses, qui ne se positionnent pas, qui ne participent pas à la discussion, laissent la place à ces discours réactionnaires et leur donnent de la force.
Le hic c’est que ces derniers temps l’argument le plus avancé des femmes cis qui soutiennent les personnes trans, c’est “si je laisse passer pour les personnes trans, ça finira par m’arriver à moi”. Et c’est appuyé par ce qui se passe aux USA où après avoir attaqué les droits des personnes trans, la droite s’attaque maintenant aux droits des femmes au global, et c’est dramatique. C’est aussi quelque chose qu’on dit depuis longtemps : que le groupe le plus marginalisé n’est toujours qu’une première étape, c’est pas pour rien que les nazis ont commencé par s’attaquer aux personnes handicapées4.
Mais l’idée que la raison pour soutenir les personnes trans c’est que ça pourrait arriver aux personnes cis ne me satisfait pas. De nouveau ça centre le groupe dominant (les personnes cis) face au groupe qui est en train de subir les violences (les personnes trans) et ça donne l’impression que ce qui compte c’est la mise en danger future des femmes cis plutôt que celle des personnes trans aujourd’hui. Ça craint, non ?
Love From The Other Side
Il y a une mauvaise compréhension de l’empathie. Ou une mauvais pratique de l’empathie, pour le formuler plus correctement. Parce que, oui, l’empathie c’est une compétence, un acte, pas un trait de caractère. D’ailleurs, les personnes qui se disent “empathes”, quoi qu’elles mettent derrière ce mot, en général sont plutôt des red flags ambulants. Considérer qu’on a de l’empathie par défaut et ne jamais questionner ce que ça veut dire et ce que ça demande comme positionnement, c’est passer complètement à côté du problème et, très souvent, finir par être toxique, violent·e avec autrui. C’est un peu comme la “bienveillance” (un terme que je déteste, un jour j’écrirai un article sur le sujet). Ce sont des concepts qui, s’ils ne sont pas questionnés et vus comme des pratiques et pas des qualités sont complètement vides de sens. Ce sont des termes qui ne peuvent pas être dépolitisés, à risque d’avoir de la bienveillance de droite, vous savez ces gens qui savent mieux ce qui est bien pour nous que nous par exemple5.
Faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent. (définition d’empathie par le Larousse)
Moi je ne suis pas d’accord avec le “intuitive”. L’empathie n’a rien d’intuitif, c’est une compétence qui se travaille, c’est une pratique qui se construit. C’est pas plus intuitif d’être capable de mettre à la place d’autrui que de faire la cuisine, seulement si vous apprenez assez tôt vous oubliez que vous avez appris… Mais dans les deux cas, si vous ne travaillez pas la pratique, vous finissez par faire absolument n’importe quoi.
Mais le problème réside dans l’idée de “se mettre à la place d’autrui”. Certaines personnes ne comprennent pas bien cette partie de la définition. Se mettre à la place d’autrui ne veut pas dire lui piquer sa place. C’est une idée théorique, c’est se projeter quelques instants pour voir le problème d’un angle nouveau, ça n’est pas décaler son propre positionnement pour agir comme si on était concerné·e.6
En fait, plus j’y pense, moins j’aime l’idée que l’empathie c’est “se mettre à la place d’autrui”. Parce qu’en fait, on en est parfaitement incapable. C’est impossible de neutraliser complètement son propre vécu, ses opinions, son contexte, ses sentiments, pour ensuite imaginer parfaitement ce que la personne vit, ressent, pense. Même si la personne explique très précisément tout ça, il y aura toujours des choses qui nous échapperont. Et de toute façon on décale toujours un peu l’angle de par notre existence, nos bagages.
Par contre, “percevoir ce qu’il ressent”, ça on peut le faire. Il suffit d’écouter la personne, sans transposer ses propres émotions, sans essayer de faire rentrer des choses dans de parfaites petites cases. Il suffit de laisser à l’autre le droit de ressentir et de vivre les choses à sa façon et de ne pas chercher à calquer ça sur sa propre expérience… Ce que beaucoup de gens croyant être en empathie font. Quand quelqu’un expose des problèmes, le premier réflexe est de lui conseiller de réagir comme nous on réagirait. C’est un mauvais réflexe, parce que nous sommes toustes différent·es et parce que nous n’avons jamais une vision totalement globale des problèmes des autres (c’est déjà difficile de l’avoir pour nos problèmes à nous). Alors rien ne nous empêche de dire “moi dans cette situation j’ai réagi comme ça” pour donner des pistes, mais il faut faire très attention à ne pas substituer ce que la personne est en train de vivre à son expérience, qui même si elle peut sembler identique, est en général assez différente pour que nos conseils soient à côté de la plaque (voire dangereux).
Et pour en revenir au potiron, soutenir les personnes trans dans leur lutte pour leurs droits et leur existence ça n’est pas dire “je suis la prochaine sur la liste”. Ou alors ce n’est pas de l’empathie, ce n’est pas une posture d’alliée, c’est en fait une convergence des luttes et un soutien stratégique fait pour vous protéger vous à l’avenir plutôt que pour protéger les personnes en danger aujourd’hui. Et donc ça fait de vous des alliées de circonstances et pas des adelphes.
Avec quand même l’idée que le fait qu’elle ait cadré l’avortement comme “un drame” a sûrement été une des raisons pour lesquelles aujourd’hui encore on nous en parle comme ça et pourquoi on nous parle des “avortements de confort” et ce genre de conneries plutôt que de voir ça comme un acte médical normal.
adelphe : frère, soeur ou personne non-binaire de la fratrie, équivalent de “sibling” en anglais par exemple.
Elle le faisait depuis des années, mais elle le faisait en cachette, j’en avais d’ailleurs parlé dans mon épisode de Burn Your Idols sur elle. Aujourd’hui le militantisme anti-trans est devenu tellement normalisé qu’elle l’affiche ouvertement, a créé un site web pour que les gens puissent y déposer des demandes… Le fait que ses derniers contrats (jeux vidéos, adaptation en série) lui aient refait passer la barre du milliard n’y est pas pour rien, elle sait très bien qu’elle a le pouvoir.
Et ce n’est pas pour rien que notre gouvernement fascisant s’attaque en ce moment aux personnes handicapées.
Et je dis “de droite” mais les personnes de gauche font très souvent ça : avec les enfants, avec les personnes handicapées, avec globalement tous les groupes marginalisés.
Il y a quelques années il y avait une grande mode des “empathes” sur les réseaux sociaux. Les gens disaient être “empathes”, se décrivaient comme des “éponges” qui absorbaient la souffrance (c’était toujours sous l’angle de la souffrance comme si c’était la seule émotion) des gens autour d’elleux… et du coup se donnaient des excuses pour ne jamais aider, écouter, soutenir qui que ce soit parce que c’était “trop dur pour elleux”. C’était assez effrayant de voir des gens dire en gros “comme je comprends la souffrance des autres je refuse de m’y confronter parce que ça me fait du mal”. C’est le principe de l’empathie, il n’y a pas besoin d’être “empathe”, juste d’être humain·e pour être impacté·e par la souffrance des autres. Si la souffrance de vos proches, ou des autres dans l’absolu, ne vous touche pas c’est qu’il y a un problème. Et oui, c’est difficile de s’y confronter, soutenir quelqu’un en souffrance demande un vrai travail émotionnel, pour autant ça n’est pas une excuse pour refuser de le faire. L’empathie ne sert à rien si ça n’est pas une action.
Sur la question des prisons, je te conseille l'excellent livre de mon ami Michel (Foucault 😂) "Surveiller et punir".
Pour la question de "l'empathie" il faut revenir à la source et à Robert Vischer qui créa le terme "Einfühlung" qui, littéralement, veut dire "sympathie esthétique" et qui, malheureusement, à été traduit par "empathie" gommant le côté "esthétique". Le concept a été développé ensuite par Théodor Lipps et tu pourrais lire, avec bonheur, si tu le trouves (sur Gutenberg peut-être) son ouvrage de référence sur le sujet "Einfühlung, innere Nachahmung, und Organempfindungen" ("Empathie, imitation intérieure et sensations organiques" traduction approximative😁).
Puis vint Sigmund qui considérait (ou plutôt on lui fait dire que) l'empathie comme le fondement de la psychanalyse. Et la série "En thérapie" (excellente !) des frères Tolédo & Nakache montre bien ce travail sur l'écoute active, l'accompagnement des affects (avec toute la distanciation (j'allais écrire "brechtienne" 😊) analytique) et l'impact de l'autre sur soi (le "moi" du psy 😎). Sauf que chez Freud, l'empathie est au service de ... et n'est aucunement un allié "objectif". C'est un "allié" uniquement dans la pensée du patient par le transfert...
Pour la question de la "pratique", je suis plus que d'accord. Dans les Soft Skills, la bienveillance comme l'empathie comme l'adaptabilité comme l'intégrité comme l'esprit d'équipe ... ne valent rien sans pratique. Du vent ! Et, en règle générale, je ne crois qu'à la pratique de l'éthique (encore Foucault mais mâtiné de Kant "faire et être en tant que sujet moral" (le terme "moral" est à prendre au sens grec 🤣)).
Enfin, pour les nazi(e)s, les premiers à avoir été persécuté et spolié sont les juifs (1933), assassiné les homosexuels (dès 1934 après la "nuit des longs couteaux"), exterminé les handicapés (1939), génocidé : Les juifs, les homosexuels, les handicapés, les Tziganes, les communistes, ...
On se demande pourquoi ils ont toujours le mauvais rôle 😂
J'espère ne pas avoir été trop long ... C'est la preuve que ton article était intéressant 😎🥰
Complètement d'accord.
Il s'agit de défendre les droits humains contre le fascisme, le rejet, la bigotrie, l'obsession du contrôle. Peu importe qui est visé. Avec l'espoir de construire une société meilleure.