Content Warning : On va parler de sujets assez lourds Ă©motionnellement comme le suicide, la dĂ©pression, le handicap, la maladie, lâeuthanasie. Je fais tout mon possible pour quâon en parle sainement et sans (re)traumatiser qui que ce soit mais si ce sont des sujets trop compliquĂ©s pour vous en ce moment, nâhĂ©sitez pas Ă sauter cette lecture.
Si vous ĂȘtes un·e de mes proches qui avez vĂ©cu cette pĂ©riode avec moi : je vais parler de choses dont jâai trĂšs peu parlĂ©, nâhĂ©sitez pas Ă vous protĂ©ger si câest trop difficile.
Il y a neuf ans jour pour jour je me suis suicidée.
Je nâutilise que rarement le terme âtentative de suicideâ, parce quâil a trop Ă©tĂ© utilisĂ© en ma prĂ©sence pour minimiser1, mais aussi parce que je ne trouve pas ça reprĂ©sentatif de mon expĂ©rience. Je me suis suicidĂ©e. Et si jâai survĂ©cu, câest malgrĂ© moi. Dâailleurs, pendant des mois aprĂšs ce 20 mai 2016, jâai considĂ©rĂ© le fait dâavoir survĂ©cu Ă mon suicide comme lâun des pires Ă©checs de ma vie. Pendant des mois, des annĂ©es, jâai considĂ©rĂ© que mourir aurait Ă©tĂ© la solution Ă mes problĂšmes, et jâai regrettĂ© ne pas avoir rĂ©ussi. Pendant des mois, des annĂ©es, je me suis sentie prisonniĂšre, forcĂ©e de continuer une vie qui ne pouvait pas sâamĂ©liorer, forcĂ©e Ă souffrir, sans aucun espoir dâaller mieux. Jâai passĂ© des heures et des heures Ă essayer de stratĂ©giser une maniĂšre dâaccĂ©der Ă ma solution (la mort).
Et si je ne suis pas âpassĂ©e Ă lâacteâ (un de ces termes liĂ©s au suicide que je dĂ©teste) ce nâest pas par peur de mourir ou parce que jâespĂ©rais trouver une autre solution, mais parce que jâavais dĂ©jĂ vĂ©cu un suicide ratĂ© et que je me savais incapable de le vivre une seconde fois : la violence de lâhospitalisation, la souffrance et lâincomprĂ©hension de mes proches, devoir ensuite trouver une âsolutionâ pour âaller mieuxâ (deux choses qui Ă©taient impossibles selon moi Ă lâĂ©poque), devoir aller en clinique⊠Et il y avait le problĂšme central, celui qui mâavait forcĂ©e Ă arrĂȘter la premiĂšre fois : comment me suicider sans traumatiser quelquâun Ă vie (la personne qui me dĂ©couvrirait morte).
Et pendant toutes ces annĂ©es au fond du trou Ă penser que la seule solution Ă mes problĂšmes, la seule dĂ©livrance, câĂ©tait la mort, une pensĂ©e tournait en boucle dans ma tĂȘte : si seulement lâeuthanasie Ă©tait autorisĂ©e aux personnes en dĂ©pression.
Winters End
Jâai choisi de parler ouvertement de mon expĂ©rience de la dĂ©pression (et des troubles psy en gĂ©nĂ©ral) parce que je trouve important de lever le stigmate qui existe sur ces expĂ©riences, et parce que je pense aussi que câest une discussion quâil faut quâon ait, toustes, en tant que sociĂ©tĂ©. Jâai dâailleurs dĂ©jĂ Ă©voquĂ© le sujet plusieurs fois dans cette newsletter, dont il y a un an dans un article oĂč j'ai racontĂ© un peu mon histoire, rĂ©flĂ©chi Ă certains enjeux, et essayĂ© de faire sens du suicide rĂ©cent dâune amie. Mais il y a des choses que je nâai jamais dites, pas Ă mes proches, encore moins publiquement, et pour certaines mĂȘme pas aux psychologues qui mâont accompagnĂ©es2.
Je nâai jamais dit Ă personne comme, pendant des annĂ©es, alors que je remontais la pente, que je reconstruisais ma vie, jâai continuĂ© Ă penser que le suicide aurait Ă©tĂ© la meilleure solution.
Dans la fiction, les personnes qui sont au fond du trou de la dĂ©pression remontent la pente de façon trĂšs Ă©quilibrĂ©e. Petit Ă petit elles reprennent goĂ»t Ă la vie, reconstruisent leur vie, et rĂ©alisent Ă quel point elles Ă©taient tombĂ©es au plus bas. Dans la rĂ©alitĂ©, câest beaucoup moins propre que ça. On peut travailleur dur pendant des annĂ©es en thĂ©rapie, travailler sur soi pour tout mettre en place pour aller mieux, aller mieux objectivement, et toujours penser que la mort aurait Ă©tĂ© une solution plus efficace.
Dans la fiction, et câest une des raisons pour lesquelles jâai souvent du mal avec comment la fiction met en scĂšne la dĂ©pression, le PTSD3 et tout ce qui sâen approche, la personne qui est au plus mal, veut mourir et ne voit pas dâespoir, a une sorte de rĂ©vĂ©lation et commence Ă cheminer vers le mieux quand elle retrouve de lâespoir. Dans la rĂ©alitĂ©, si on attend dâavoir de lâespoir pour travailler pour aller mieux (et oui, câest un travail), alors on ne commence jamais le travail. Personnellement, il a fallu prĂšs dâun an aprĂšs ma tentative de suicide pour que je dise Ă ma psychologue que, finalement, jâavais lâespoir dâaller mieux. Alors que jâallais dĂ©jĂ objectivement mieux, et je le savais, alors que jâavais bossĂ© comme une acharnĂ©e pendant un an pour aller mieux. Mais jusque lĂ , je lâavais fait parce que, comme je ne pouvais pas mourir, câĂ©tait la seule chose Ă faire, en espĂ©rant peut-ĂȘtre allĂ©ger un peu ma souffrance, mais sans jamais penser quâun jour jâirai mieux, et encore moins bien.
En rĂ©alitĂ© la plus grosse partie de mon travail pour aller mieux, et la plus difficile, je lâai faite persuadĂ©e que ça ne servirait Ă rien, quâau mieux ça me permettrait dâĂȘtre un peu moins en souffrance. JâĂ©tais sĂ»re que je nâaurai jamais de vie normale, que je passerai mon temps Ă rechuter, Ă de nouveau mâeffondrer sous le poids de toutes mes souffrances. Je pensais que ma vie serait toujours exactement comme ce que jâavais vĂ©cu pendant les 3-4 annĂ©es de dĂ©pression que je venais de vivre. Et il mâa encore fallu plusieurs annĂ©es avant de me dire que, finalement, je pouvais vraiment aller mieux. Et encore quelques annĂ©es avant de me dire que jâĂ©tais sortie de la dĂ©pression, que jâen avais guĂ©ri.
Et tout ça, ça ne venait pas que de moi. Si mes proches Ă©taient trĂšs soutenant et persuadĂ©s que je pouvais mâen sortir, lâĂ©quipe mĂ©dicale, ou plutĂŽt les Ă©quipes mĂ©dicales vu que jâen ai rencontrĂ© plusieurs pendant ma dĂ©pression, Ă©taient toutes dâaccord : je ne pouvais pas mâen sortir. Jâavais une dĂ©pression. Pire, jâĂ©tais dĂ©pressive. JâĂ©tais traumatisĂ©e. JâĂ©tais cassĂ©e et la seule chose que je pouvais espĂ©rer câĂ©tait apprendre Ă vivre avec.
Iels mâont dit, Ă plusieurs reprises et de façon trĂšs directe que je ne guĂ©rirai jamais de la dĂ©pression. Que je ne pourrais quâaller un peu mieux, apprendre Ă gĂ©rer. Iels mâont dit que jâaurais Ă prendre des mĂ©dicaments toute ma vie, un traitement lourd qui me donnait lâimpression de mâempĂȘcher dâĂȘtre moi-mĂȘme et qui nâavait pas Ă©normĂ©ment dâeffet sur la dĂ©pression. Iels mâont dit que je serai toujours cette boule de souffrance Ă©corchĂ©e vive, quâil fallait que je tire autant de bonheur possible des petites choses, parce que les vrais bonheurs ne me seraient jamais accessibles. Iels mâont dit quâavoir un travail serait compliquĂ©, que toute crĂ©ation Ă©tait hors de ma portĂ©e4, que les relations avec mes proches, avec les gens autour de moi, seraient toujours ultra compliquĂ©es.
Iels mâont aussi toustes5 dit que jâavais clairement Ă©tĂ© en dĂ©pression toute ma vie. Iels mâont diagnostiquĂ© a posteriori une dĂ©pression chronique de lâenfance, et lâont utilisĂ©e comme argument pour diagnostiquer la dĂ©pression que jâavais Ă ce moment lĂ comme chronique, dĂ©finitive, impossible Ă Ă©chapper. Jâavais beau leur dire, malgrĂ© ma dĂ©pression qui teintait tous mes souvenirs, que je pensais avoir eu une enfance plutĂŽt heureuse, malgrĂ© les traumas que jây avais vĂ©cus, iels Ă©taient persuadĂ©s dâavoir raison.
Il faut dire que ces soignant·es me rencontraient au pire de ma vie, alors que mon cerveau mâempĂȘchait de voir les choses rationnellement, de ressentir quoi que ce soit dâautres que du dĂ©sespoir et de lâangoisse. Iels me voyaient comme quelquâun de malheureux, de passif, dâincapable de prendre des dĂ©cisions, avec une personnalitĂ© bouffĂ©e par le PTSD complexe6. Une coquille vide. Et comme iels me rencontraient comme ça, iels Ă©taient incapable dâimaginer que jâai pu ĂȘtre autrement ou que je puisse changer. Pour elleux, câĂ©tait qui jâĂ©tais.
Le problĂšme câest que leur façon de penser coĂŻncidait parfaitement avec les symptĂŽmes de ma dĂ©pression qui, entre autres, réécrit notre vision de nous-mĂȘme et de nos expĂ©riences et nous fait croire quâon a toujours Ă©tĂ© malheureuse ou malheureux, que câest notre identitĂ©, et nous empĂȘche dâimaginer pouvoir ĂȘtre quoi que ce soit dâautre. Le rĂŽle des soignant·es (et heureusement les deux psychologues que jâai eues ont assumĂ© ce rĂŽle) câest normalement de justement prendre le contre pied de ces pensĂ©es irrationnelles et de travailler avec la·e patient·e pour lui montrer la possibilitĂ© dâamĂ©lioration.
Si les Ă©quipes mĂ©dicales nâavaient pas abondĂ© dans le sens de la dĂ©pression, jâaurais sĂ»rement mis moins longtemps Ă arrĂȘter de regretter de nâavoir pas pu aller au bout de mon suicide. Si les mĂ©decins et les infirmier·es avaient eu un discours cohĂ©rent, et adaptĂ©, me disant quâil Ă©tait possible dâaller mieux, que câĂ©tait difficile, que ça demandait de vrais efforts et dâaffronter des souffrances, mais que câĂ©tait possible de me reconstruire, quâil y avait de lâespoir pour la suite de ma vie, que ma vie nâĂ©tait pas finie Ă 29 ans, alors jâaurais sĂ»rement moins eu de mal Ă mâen convaincre. Et je nâaurais pas passĂ© des annĂ©es Ă me dire que mĂȘme si je commençais Ă aller mieux, jâallais bientĂŽt atteindre le plateau que tout le monde me promettait, et que donc câĂ©taient des efforts quasi surhumains pour pas grand chose, du travail en lâair, et que ce serait quand mĂȘme beaucoup plus facile de me suicider une bonne fois pour toute. Et je nâaurais pas passĂ© toutes ces annĂ©es Ă rĂȘver dâune euthanasie lĂ©gale et accessible pour les personnes en dĂ©pression.
Youâve Got To Live A Little
Je nâai plus de dĂ©pression. Au doigt mouillĂ©, je dirais que je suis rĂ©ellement sortie de la dĂ©pression dĂ©but 2018. Ăa fait plus de sept ans que je nâai pas eu de rechute, et ce malgrĂ© une vie trĂšs trĂšs trĂšs compliquĂ©e, et lâannĂ©e 2024 comme une des pires de ma vie. Tout ce que jâai vĂ©cu ces derniĂšres annĂ©es : les Ă©checs, les violences, le contexte socio-politique, les pertes, les deuils, la pauvretĂ©, la maladie⊠Rien de tout cela ne mâa fait basculer dans la dĂ©pression. Je nâai jamais pensĂ© Ă me suicider. Je nâai jamais regrettĂ© dâĂȘtre vivante. Au contraire, ĂȘtre en vie a souvent Ă©tĂ© la derniĂšre chose Ă laquelle je me suis raccrochĂ©e. âAu moins, je suis vivante, je suis lĂ , il y a de lâespoir.â a Ă©tĂ© mon leitmotiv une bonne partie de lâannĂ©e derniĂšre7. Et ça a Ă©tĂ© suffisant Ă me faire tenir et Ă mâaider Ă rebondir.
Je vais dire une chose quâon interdit souvent aux gens avec des troubles psys de dire : je suis guĂ©rie de la dĂ©pression.
Jâai passĂ© des annĂ©es Ă me surveiller comme le lait sur le feu, Ă mettre en place des stratĂ©gies, des gardes-fous pour ne pas replonger. Je me suis considĂ©rĂ©e âen rĂ©missionâ toutes ces annĂ©es, comme quelquâun aprĂšs un cancer qui doit faire attention Ă sa santĂ© et surveiller quâil nây a pas de rechute. Mais aujourdâhui, Ă 9 ans du jour le plus horrible de ma vie, je considĂšre que la rĂ©mission est finie. Jâai travaillĂ© mes traumas, mon PTSD complexe a Ă©tĂ© dĂ©nouĂ© et nâa plus autant dâimpact sur moi. Il me reste le TAG (trouble de lâanxiĂ©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e) et peut-ĂȘtre que ça restera toute ma vie, et je sais le gĂ©rer donc ça nâest pas un problĂšme en soi. Mais la dĂ©pression ? Je ne suis pas plus Ă risque que nâimporte qui. Je dirais mĂȘme que je suis moins Ă risque, parce que jâen ai dĂ©jĂ vĂ©cu une, je connais les signes, et jâai mis en place des fonctionnements beaucoup plus sains.
Les mĂ©decins avaient tort. Les infirmiĂšres et infirmiers avaient tort. Toustes les professionnel·les de santĂ© croisé·es pendant ma dĂ©pression avaient tort. Si jâĂ©tais morte en 2016, je ne lâaurais jamais su bien sĂ»r. Et je nâaurais pas atteint les 30 ans alors que jâavais la possibilitĂ© dâavoir une vie, heureuse, riche, une vraie vie dâune vraie personne.
Je serais morte sans savoir que je pouvais Ă©crire des articles et ĂȘtre lue par des centaines de personnes. Je serais morte sans avoir jamais fait une confĂ©rence. Je serais morte sans avoir rencontrĂ© tous les gens incroyables que jâai rencontrĂ©s ces derniĂšres annĂ©es. Morte sans avoir le bonheur dâavoir Trufa dans ma vie. Morte sans avoir appris le crochet, sans ĂȘtre devenue vĂ©gĂ©tarienne, sans saouler tout le monde avec mes quarante idĂ©es de projets Ă la minutes, sans avoir fait deux reconversions, sans avoir rencontrĂ© puis perdue une amie, sans avoir affrontĂ© des obstacles et rĂ©ussi Ă me sortir de situations jugĂ©es impossibles, sans avoir appris Ă connaĂźtre qui jâĂ©tais vraiment, sans avoir pu me reconstruire et devenir la personne que je voulais ĂȘtre.
Quel gĂąchis.
In Demand
Jâavais dit que cette annĂ©e je ne parlerai pas de ma dĂ©pression sur cette date. Je nâavais rien de vraiment intĂ©ressant Ă dire en plus de ce que jâavais dit jusque lĂ et donc jâavais dĂ©cidĂ© de cĂ©lĂ©brer cette date en privĂ©8 plutĂŽt quâen public. Et puis, la loi âpour la fin de vieâ est arrivĂ©e sur le devant de la scĂšne et a Ă©tĂ© dĂ©battue dans nos institutions et en public et je me suis dit que, finalement, jâavais quelque chose Ă dire.
Jâai longtemps Ă©tĂ© pour les lois pour lâeuthanasie. Et une partie de moi pense toujours quâon devrait, dans un cas oĂč on sait quâon nâa pas dâespoir dâaller mieux, que la mort est proche et que la souffrance est insupportable, pouvoir demander Ă abrĂ©ger ses souffrances. Je suis contre lâacharnement thĂ©rapeutique quand il nâest pas consenti, et je pense que vouloir absolument garder quelquâun en vie quand il nây a aucun espoir et que la personne ne veut plus, câest de la maltraitance.
Le truc câest que ça nâest pas ce que la loi sur la âfin de vieâ veut faire. Dâailleurs elle sâappelle âloi de la fin de vieâ, pas âloi contre lâacharnement thĂ©rapeutiqueâ (on en a dĂ©jĂ une) ou mĂȘme âloi pour âlâeuthanasieâ.
DĂ©finition de lâeuthanasie par le Larousse : Acte d'un mĂ©decin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abrĂ©ger ses souffrances ou son agonie, illĂ©gal dans la plupart des pays.
Les discussions autour de la loi âfin de vieâ pour le moment paraissent trĂšs raisonnable, on nous parle de personnes en souffrances terribles et aucun espoir de sâen sortir qui rĂ©clameraient le droit Ă disposer de leur corps/vie. En surface ça paraĂźt trĂšs raisonnable, mĂȘme si le vernis a commencĂ© Ă fissurer ces derniĂšres semaines quand tous les amendements sensĂ©s empĂȘcher les dĂ©rives ont Ă©tĂ© refusĂ©s. Iels ont ajoutĂ© un dĂ©lit dâentrave mais ont fait sauter toutes les protections.
Et puis, le vernis disparaĂźt complĂštement quand on regarde se qui se passe dans les pays oĂč ce genre de lois ont Ă©tĂ© votĂ©es. Je lâavais dĂ©jĂ recommandĂ©, mais je le rĂ©pĂšte, regardez le documentaire Better Off Dead (qui maintenant a des sous-titres en français) et voyez ce qui se passe au Canada, un des exemples prĂ©sentĂ©s comme positifs dans les dĂ©bats en France.
Au Canada, il est plus rapide dâaccĂ©der Ă un suicide assistĂ© que dâassister Ă des soins dans Ă©normĂ©ment de cas. Les pros de santĂ© recommandent le suicide assistĂ© Ă des personnes qui sont handicapĂ©es et/ou malades chroniques sans que leur pronostic vital ne soit engagĂ© (et oui, au dĂ©but leur loi se concentrait sur les personnes mourantes, mais ça fait un moment que ça nâest plus un critĂšre). Au Canada les mineur·es atteint·es de troubles psy peuvent demander un suicide assistĂ©. Au Canada, un suicide assistĂ© peut ĂȘtre accordĂ© en 24 heures pour les personnes âen phase terminaleâ⊠Et il y a dĂ©jĂ des cas de personnes qui ont eu ce genre de dĂ©lais alors quâelles nâĂ©taient pas mourantes et auraient dĂ» avoir le dĂ©lai de 90 jours.
Et vous allez me dire âokay câest le Canada, mais en Europe câest diffĂ©rentâ. Pas vraiment. Tous les articles qui creusent un peu ce qui se passe en Europe sur le suicide assistĂ© sont loin dâĂȘtre rassurants. Lâautre jour je lisais que dans certaines rĂ©gions des Pays=Bas, 15% des morts Ă©taient du suicide assistĂ©, qui Ă©tait considĂ©rĂ©es comme des morts ânaturellesâ. Et il sâagissait principalement de personnes ĂągĂ©es qui dĂ©cidaient quâelles voulaient arrĂȘter. Quand on sait les statistiques de dĂ©pressions chez les personnes ĂągĂ©es, et comment les soignant·es en ont rien Ă foutre, parce que tout le monde considĂšre que câest normal dâĂȘtre malheureux·es quand on est vieilleux, câest terrifiant. Lâarticle expliquait aussi que beaucoup de ces morts Ă©taient des morts en duo, des couples qui dĂ©cidaient de mourir ensemble, des fratriesâŠ
Vous remarquerez que je parle de âsuicide assistĂ©â, un terme que les personnes qui militent pour cette loi dĂ©testent. Pourtant, je ne vois pas comment qualifier ces actes autrement. Il ne sâagit en gĂ©nĂ©ral pas dâeuthanasie, puisque les personnes ne sont pas mourantes, il sâagit bel et bien dâun suicide, assistĂ© par lâEtat et par le corps mĂ©dical. Personnellement, ça me pose vraiment question que lâEtat et le corps mĂ©dical aient le rĂŽle dâassister des gens dans leur suicide, dâautoriser des gens Ă se suicider lĂ©galement et de les tuer.
Et ça me questionne dans lâabsolu, mais dans un monde validiste oĂč lâextrĂȘme droite est au pouvoir et oĂč la seule vision de la santĂ© que notre gouvernement a câest par le prisme des Ă©conomies Ă tout prix, ça ne me questionne plus, ça me terrorise.
Dans un monde oĂč on considĂšre que les personnes en perte dâautonomie ne sont rien dâautre quâun poids (un des arguments principaux pour cette loi est de parler des gens qui ne veulent pas ĂȘtre un poids pour leurs proches), je suis terrifiĂ©e par une telle loi. Dans un monde oĂč supprime le peu qui avait Ă©tĂ© mis en place pour aider les personnes en perte dâautonomie Ă avoir une vie, je suis terrifiĂ©e par une telle loi.
Les personnes qui militent contre cette loi le disent : avant de nous donner le droit Ă mourir, donnez-nous le droit Ă vivre.
Ce Ă quoi beaucoup de gens rĂ©pondent quâil faut que ça soit fait en mĂȘme temps. Non. Non parce que dĂ©jĂ le droit Ă vivre nâest absolument pas fait. Les partis, dont les partis de gauche, qui soutiennent cette loi, qui la portent, qui la dĂ©fendent becs et ongles et qui en font un nouveau symbole du âdroit Ă disposer de soi-mĂȘmeâ en faisant des parallĂšles dĂ©gueulasses avec la lĂ©galisation de lâIVG, ne mettent absolument rien en place pour aider les personnes handicapĂ©es/malades chroniques Ă vivre. Personne ne sâoccupe de nos vies, tout le monde veut nous permettre de mourir âdignementâ (ce qui par ailleurs nâa absolument aucun sens. La mort nâest ni digne ni indigne. Et lâidĂ©e quâil serait indigne dâatteindre un certain stade de perte dâautonomie est validiste).
A part les concerné·es personne ne milite sĂ©rieusement pour une AAH au-dessus du seuil de pauvretĂ©, pour de vraies aides pour des accompagnements, pour lâinclusion des personnes handicapĂ©es dans la sociĂ©tĂ© (la plupart des partis de gauche sont pour la sĂ©grĂ©gation et lâinstitutionnalisation)⊠La France a Ă©tĂ© rappelĂ©e Ă lâordre par lâONU pour la façon dont elle traite ses personnes handicapĂ©es, et tout le monde sâen fout. Par contre, dâun coup, quand il sâagit dâune loi sur le suicide assistĂ© des personnes malades chroniques/handies, lĂ tout le monde devient spĂ©cialiste des besoins des personnes concernĂ©es et ça devient une lutte qui vaut le coup dâĂȘtre menĂ©e, quitte Ă surtout ne pas Ă©couter les voix qui se lĂšvent contre et les multitudes dâarguments quâelles prĂ©sentent.
Et vraiment, Ă gauche lutter pour une loi comme celle-ci, refuser tout amendement qui cadrerait les dĂ©rives, alors que lâextrĂȘme droite est au pouvoir, je ne vous le pardonnerai jamais. Des annĂ©es/dĂ©cennies quâon vous dit que votre validisme nous tue. Maintenant vous allez avoir une jolie petite loi qui le prouve.
Les soignant·es parlent beaucoup de âtentatives de suicideâ comme de quelque chose sĂ©parĂ© dâun vrai suicide. Pour elleux, il y a la tentative qui serait un appel Ă lâaide et le suicide qui serait, bah un vrai suicide. Et iels utilisent ces termes pour minimiser trĂšs souvent ce que les personnes qui ont essayĂ© de se suicider mais ont survĂ©cu, souvent les femmes. Je lâai vu dĂšs lâadolescence avec une amie qui a fait plusieurs âtentatives de suicidesâ et tout le monde autour dĂšs la deuxiĂšme Ă©tait lĂ âce sont des appel Ă lâaideâ et câĂ©tait sensĂ© ĂȘtre rassurant. Comme si les gens qui cumulaient les âtentativesâ ne finissaient jamais pas rĂ©ussir leur suicide⊠En lâoccurrence pour lâavoir vĂ©cu avec une proche, les âtentativesâ nâont rien de moins dĂ©sespĂ©rĂ© que les suicides rĂ©ussis, et finissent souvent par y mener.
Jâai eu beaucoup de chance avec les psychologues que jâai croisĂ©es dans ma vie. Sur les trois qui mâont accompagnĂ©e, la premiĂšre Ă©tait un danger public qui aurait mĂ©ritĂ© que le porte plainte contre elle, mais les deux autres Ă©taient excellentes et mâont Ă©normĂ©ment aidĂ©e. Connaissant les parcours trĂšs compliquĂ©s de plein de gens autour de moi, malgrĂ© la premiĂšre qui mâa faite dĂ©compenser, je dirais que je mâen suis bien sortie. Câest loin dâĂȘtre le cas de tout le monde.
En français TSPT : Trouble de Stress Post Traumatique. Mais je ne me souviens jamais de cette appellation, ça me demande toujours un effort de la retrouver, PTSD est plus parlant pour moi.
Avec la dĂ©pression je nâarrivais plus Ă Ă©crire et câĂ©tait quelque chose qui me pesait beaucoup, dâaprĂšs les soignant·es, je nâavais aucun espoir de réécrire un jour
exceptĂ© les deux bonnes psychologues que jâai eues qui nâont jamais jouĂ© au jeu des diagnostiques a posteriori, et le psychiatre du CMP qui Ă©tait beaucoup plus intĂ©ressĂ© par lâaspect concret de ce que je vivais dans le prĂ©sent plutĂŽt que dâimaginer ce que jâavais potentiellement vĂ©cu dans le passĂ©
Pour schĂ©matiser la diffĂ©rence entre PTSD âsimpleâ et PTSD âcomplexeâ :
dans un PTSD simple le ou les traumas sont restreints à des périodes et contextes définis. Du coup il est possible de compartimenter ce qui est du trauma, ce qui est de la vie, etc.
dans un PTSD complexe le ou (en gĂ©nĂ©ral) les traumas sont sur de longues pĂ©riodes, souvent dans lâenfance, et viennent se greffer Ă toutes les autres expĂ©riences et font souvent aussi partie de la construction de la personne, rendant trĂšs difficile le fait de trouver la limite des traumas et la limite des expĂ©riences positives, de la construction, de la personnalitĂ©âŠ
Bon, il y avait aussi âTrufa est lĂ â et âdes tas de gens sont lĂ â mais aux pires moments on est seul·es face Ă ce quâon affronte et ce qui compte câest dâĂȘtre lĂ soi-mĂȘme. Fuck Joss Whedon mais Buffy le montre trĂšs bien dans lâĂ©pisode final de la saison 2 quand Angelus lui dit quâelle nâa plus sa famille, plus ses amis, quâil ne lui reste plus rien et quâelle lui rĂ©pond quâil lui reste elle-mĂȘme. Et câest une trĂšs bonne mĂ©taphore de ce qui se passe dans ces moments oĂč on est/se sent seul·e face Ă un problĂšme/des souffrances. Si on ne peut pas compter sur soi, on sâeffondre. Si on peut compter sur soi, on peut plus facilement tenir.
Tous les ans je prends du temps sur cette date pour faire un point, pour cĂ©lĂ©brer le fait que je suis en vie et pour ne pas oublier ce par quoi je suis passĂ©e et comment jây ai survĂ©cu
Merci đ
Merci beaucoup pour avoir écrit tout ça. Je suis dépressif·ve (et actuellement dans une période difficile) et ton article m'a permis de voir les choses différemment. Je sais que je vais y repenser réguliÚrement