[37] The Mountain
"And when I wish it all would turn to black / I try to see the light and push the darkness back"
Content Warning : Dans cet article je parle de suicide, de dépression et de mort. Le but n’est pas de faire un article choquant, et je pense qu’il est au contraire plutôt positif, mais je me rappelle d’une époque où ce genre de sujets auraient été impossibles à lire sereinement pour moi, donc prenez soin de vous avant tout.
Cet article va citer la chanson The Mountain de Three Days Grace, une chanson sur le suicide et la dépression qui est sortie alors que j’étais déjà dans la pente ascendante et que j’ai beaucoup écoutée à l’époque, particulièrement sur le chemin pour aller à mes rendez-vous chez ma psy.
Every day I'm just survivin'
Keep climbin' the mountain
Even when I feel like dyin'
Keep climbin' the mountain
Quand je dis “le 20 mai 2016 je me suis suicidée”, les gens ne comprennent pas, voire ça déclenche des réactions agressives du types : “Bah non, puisque tu es toujours là.”. Ça fait huit ans et je ne sais toujours pas exactement quels mots utiliser. Je pourrais dire tentative de suicide… Mais dans l’imaginaire populaire, et même côté soignant·es, ça semble dénoter d’un manque de volonté d’aller jusqu’au bout. Combien de fois j’ai entendu des gens mettre en doute la volonté d’une personne de mourir parce qu’il ne s’agissait que de “tentatives” ? Assez pour ne pas vouloir utiliser cette formulation.
Dire que je me suis suicidée semble déclencher des réactions trop viscérales et empêchent de parler du sujet. Alors je tâtonne et je change mes formulations à chaque fois que j’en parle (et heureusement je n’en parle pas très souvent)… J’ai essayé de mettre fin à mes jours… J’ai choisi de mourir… J’ai essayé de me foutre en l’air… Quelle que soit la formulation, la vérité du moment reste la même : il y a huit ans, j’ai choisi de me tuer.
Another night I'm barely holdin' on
One step away from being dead and gone
Am I alive to die another day?
Is this life that I've been livin' all that's meant for me?
J’ai eu de la chance, je peux le dire aujourd’hui, la vie a décidé de ne pas me laisser aller jusqu’au bout et je suis là, huit ans plus tard, pour en parler. Ça n’est pas le cas de tout le monde. Il m’a fallu des mois, des années pour comprendre que c’était une bonne chose. Puis encore plus de temps avant de ne plus regretter de ne pas avoir pu emprunter cette porte de sortie qui n’en était pas une.
On n’en parle pas, parce que le sujet est tabou, et parce que certainement ça ne colle pas avec la vision simpliste qu’on a du suicide, d’à quel point c’est dur de dépasser cette volonté de se tuer, dur d’arriver à la réalisation que ça n’était finalement pas une solution, et encore moins la seule solution qu’on avait de s’en sortir. Et encore plus dur de ne pas regretter d’être obligée de passer par le chemin le plus compliqué.
Moi pendant longtemps, même quand j’ai fini par ne plus avoir de volonté de mourir, je continuais à me dire que ça aurait été plus simple si j’avais pu me suicider. Parce que quand on va aussi mal, c’est énormément de travail pour espérer, peut-être, aller mieux. C’est un travail ingrat, un travail solitaire, même lorsqu’on est bien entouré·e et un travail long. Je dis toujours que j’ai eu de la chance parce que finalement, avec du recul, ma dépression ne m’aura volé que quatre ans de ma vie. Il y a des gens pour qui c’est beaucoup plus long. Mais à l’époque ça paraissait sans fin. Ce travail, on sait quand on le commence, on n’a aucune idée de quand il finira. Aucune visibilité sur l’objectif. On doit juste espérer un jour sortir du brouillard, un jour gravir la montagne.
Every day I'm just survivin'
Keep climbin' the mountain
Even when I feel like dyin'
Keep climbin' the mountain
Every time I think I'm over it
I wake up at the bottom of it all again
I'm still survivin', keep climbin'
Keep climbin' the mountain
On ne parle pas assez du suicide, de la dépression, de la santé mentale en général. Et quand on en parle, on en parle souvent mal. Par exemple, on parle toujours du suicide comme d’un truc complètement irrationnel. Quelque chose qu’on regretterait instantanément quand on reviendrait dans une pensée normale. Une décision issue d’un cerveau malade, rien de plus.
Je ne suis pas sûre que ce soit le cas pour tout le monde. En tout cas, ça n’a pas été mon expérience. Mon suicide était une décision, un choix, que j’ai fait à un moment de ma vie. Je l’ai fait rationnellement avec les informations et ressentis que j’avais, avec mon contexte, comme je prends toutes mes décisions. J’ai passé plusieurs jours à peser le pour et le contre, et ensuite je me suis organisée. Ça n’avait rien d’un acte impulsif. Et j’avais des raisons très précises de me suicider.
La principale était que je ne voyais pas d’autre porte de sortie. Non pas parce que ma dépression m’empêchait de réfléchir rationnellement, mais parce qu’au contraire je voyais ma situation pour ce qu’elle était. J’étais au fond d’un gouffre de dépression, de PTSD, d’anxiété qui demanderait des années de travail pour s’en sortir, avec aucune assurance que j’arriverai à m’en sortir. Si j’ai choisi de me suicider ce jour-là c’est que le chemin vers un potentiel vague mieux semblait impossible à emprunter. J’étais épuisée, ça faisait déjà deux ans que je me battais avec ma dépression, j’avais déjà été hospitalisée, j’avais déjà fait plusieurs thérapies, j’avais déjà parcouru le chemin et malgré tout je m’étais retrouvée au fond du gouffre. Me suicider n’était pas ma solution préférée à cette situation, mais c’était au moins celle qui m’assurait d’arrêter de souffrir.
The higher I go, the harder I fall
So I don't look down, I don't look back at all
And when I wish it all would turn to black
I try to see the light and push the darkness back
Est-ce que pour autant je ferais le même choix aujourd’hui ? Bien sûr que non. Aujourd’hui je sais que je suis capable de m’en sortir. Aujourd’hui je sais que je suis capable de faire ce travail. Je l’ai déjà fait une fois, j’espère ne jamais rechuter, mais si ça m’arrivait, je saurais quel chemin choisir, sans hésiter.
Le problème c’est que tant qu’on l’a pas vécu soi-même, c’est impossible de vraiment comprendre ce qui est possible ou non. A l’époque, je ne supportais pas quand des gens qui en étaient aussi passé par là venaient me raconter comment iels s’en étaient sorti·es pour essayer de me montrer un exemple. Tout ce que j’arrivais à penser c’était : “okay, très bien pour toi, mais moi c’est différent”. Non pas que je voulais que ce soit différent, mais seulement parce que j’étais incapable d’imaginer avoir la force de faire tout ce travail et de supporter toute cette souffrance pendant des années pour finalement, peut-être, au bout, avoir vaguement une vie normale.
Avant ma dépression, j’étais persuadée que j’étais le genre de personnes qui ne pourraient jamais envisager un suicide. J’aimais penser que je m’étais trop battue toute ma vie pour survivre pour en arriver là. J’aimais aussi penser que j’étais trop éduquée sur la question, que je serais capable de prendre les choses en main avant d’en arriver à ce stade (ce qui n’était pas tout à fait faux, mais n’a pas suffit pour plein de raisons).
Aujourd’hui, je pense que je suis le genre de personne qui n’envisagera jamais plus un suicide. Parce que je l’ai vécu, et que j’y ai survécu, et que je me suis battue pour ne plus en avoir envie. Parce que je sais que je peux m’en sortir, que j’en ai la force, et que ce ne sera jamais la seule solution. Mais aussi, parce que j’ai vécu l’après. Pas le juste après, comme les fictions nous montrent souvent, mais le plusieurs années après, quand on commence à de nouveau vraiment ressentir la joie, quand on a des projets, quand on a des envies… Quand on a une vie et qu’on l’aime, même quand elle n’est pas parfaite. Et ça, c’est quelque chose de bien trop précieux pour imaginer ne plus jamais le revivre.
Every day I'm just survivin'
Keep climbin' the mountain
Even when I feel like dyin'
Keep climbin' the mountain
Every time I think I'm over it
I wake up at the bottom of it all again
I'm still survivin', I keep climbin'
Keep climbin' the mountain
Je ne sais pas exactement pour qui j’écris cet article. Est-ce qu’il y a des gens que ça pourrait aider de savoir qu’on peut passer plusieurs années à regretter d’être toujours en vie et finalement se retrouver huit ans plus tard et être sûre qu’on ne ressentira plus jamais ça ? Est-ce que ça peut permettre à des proches de mieux comprendre ? Est-ce que ça peut permettre certaines personnes d’être moins en colère dans leur deuil lorsqu’une personne qui leur est chère choisit le suicide ?
J’avais prévu de ne pas faire d’article sur ce thème cette année. Je pensais ne rien avoir à dire, je n’étais pas inspirée. Je viens de passer l’une des pires années de ma vie, je suis toujours là, je n’ai toujours pas envie de mourir, c’est une vraie victoire pour moi, mais ça me semblait compliqué de partager ça avec vous. Et puis… Et puis il y a une dizaine de jours une personne qui m’était chère a elle aussi fait ce choix. Et elle n’aura pas la possibilité d’écrire ce genre d’articles dans huit ans. Elle n’aura pas de seconde chance, comme j’ai eu le bonheur compliqué d’en avoir une. Et ça a tout changé.
Ça fait une dizaine de jours que je pense au suicide constamment. Mais pas au mien. A celui de mon amie. Mais aussi à celui de tous les gens qui ne se retrouvent pas empêchés par la vie dans leur acte. Et qui ne finissent jamais par se demander comment nommer cette journée de leur vie. Qui ne découvrent pas qu’il faut beaucoup de travail pour que la vie ait de nouveau un sens, un goût, une couleur. Mais que ce travail vaut le coup/coût.
Ça fait dix jours que je pense à quel point j’ai eu de la chance de ne pas pouvoir aller au bout de ce chemin et de devoir prendre la pente la plus abrupte, celle du soin, qui m’a menée à une vie imparfaite, parfois très dure, mais où je sais trouver du bonheur, de la joie et de la douceur, même si certains jours ça ne tiens qu’au petit spot de fourrure toute douce dans le coin du cou de Trufa.
So if I'm not already too far gone
And if I feel a pulse then I can carry on
When I'm lost and wanna fade away
I tell myself to live, to die another day