[50] Pourquoi l'accessibilité ne peut pas se jouer au cas par cas.
Défaut d'accessibilité vs. accessibilité par défaut.
Hey ! C’est ma cinquantième newsletter du mardi ! 🥳 Ce qui veut dire qu’on approche des un an de la newsletter… Et peut-être de quelques surprises…
En attendant, j’avais aujourd’hui envie de vous parler d’un sujet qui me tient à cœur : l’accessibilité. Et plus spécifiquement, une erreur qu’on fait beaucoup, le fait de traiter les besoins d’accessibilité au cas par cas. Alors avant toute chose je vais être honnête et admettre que souvent on est obligé·es de faire comme ça et que c’est déjà un gros effort, souvent compliqué, parce qu’il y a un tel manque d’accessibilité au global qu’on se retrouve à devoir le gérer en individuel.
Par exemple, je vais pas mal parler de la question des chaises avec accoudoirs dans les lieux choisis pour des évènements… Mais je sais que c’est la norme et que c’est très compliqué de trouver des salles du type amphithéâtre sans ces fameux sièges. Et que quand on est une association qui fait une convention, par exemple, on a des contraintes (entre autres le budget mais pas que) qui font que parfois on est bien obligé·es de faire avec. Ce dont je vais parler à la suite n’est pas fait pour mettre au pilori tous les évènements qui ont ce type de chaises (ou d’autres manquements d’accessibilité), c’est une réflexion sur comment on, en tant que société, devrait gérer l’accessibilité et de comment les limites qu’on y met pour le moment font du mal aux personnes qui ont des besoins de ce type.
A titre personnel, je n’ai pas énormément de besoins spécifiques en terme d’accessibilité et en général mon expérience est que les gens qui organisent des évènements auxquels j’assiste/participe se plient en général en quatre pour trouver des solutions… Mon argument est plutôt que ça ne devrait pas être à eux de palier à un manque mais au manque de ne plus exister1.
With or Without You
En convention, j’ai la chance de souvent croiser ma copine Emmanuelle (dont je vous avais déjà recommandé le blog) et c’est toujours un plaisir de pouvoir passer du temps avec elle. Le problème c’est qu’il nous arrive assez souvent d’être obligées de nous séparer pendant les conférences. Pourquoi ? Parce qu’on a des besoins d’accessibilité qui, vu comme elles sont gérées, entrent en conflit.
Emmanuelle étant sourde, elle a besoin d’être dans les premiers rangs pour pouvoir suivre les conférences. Étant grosse, j’ai besoin d’une chaise sans accoudoirs. Or dans les salles de type amphi, où il y a ces chaises, très souvent les questions de sécurité font que le seul endroit où on a le droit de mettre une chaise d’appoint c’est tout au fond de la salle (là où sont aussi prévues les places pour les fauteuils roulants en général).
Donc à chaque fois qu’on va voir une conférence dans une salle avec des chaises à accoudoirs (et ce sont les plus courantes), on se sépare à l’entrée, elle va tout devant, moi tout derrière. Et si on est avec d’autres personnes, elles vont tout devant aussi, non pas parce qu’elles préfèrent Emmanuelle à moi (quoi que ? ) mais parce qu’il n’y a pas de siège prévu pour des accompagnant·es avec ma chaise d’appoint donc je suis de toute façon obligée d’être toute seule.
Alors, vous me direz “bon ça va, tu as 37 ans, tu peux regarder la conférence sans ta copine et en parler après avec elle”. Oui. Enfin, les personnes valides elles en général s’asseyent avec leurs ami·es/collègues et ça fait partie du plaisir de la convention de partager le moment avec les gens avec qui on est. Je vois d’ailleurs la différence avec les évènements où je peux m’asseoir où je veux, ou ceux où on peut me mettre un siège en bout de rang (certaines salles le prévoient).
Mais bon, admettons, c’est pas si pire comme disent nos ami·es du Québec, de devoir passer la conférence toute seule. Sauf que, je pourrais être grosse et sourde. Ou grosse et avec des problèmes de vue. Ou grosse et avec n’importe quelle autre raison d’avoir besoin d’être devant. Et alors, comment on ferait ? Ces deux solutions ne peuvent pas être croisées, donc à votre avis qu’est-ce qui se passerait si j’envoyais un mail à une orga en leur disant “je suis grosse, j’ai besoin d’un siège sans accoudoirs et j’ai aussi besoin d’être dans un des trois premiers rangs” ? A mon avis, il se passerait qu’ils me diraient que c’est pas possible2.
Et je sais que c’est une réalité souvent difficile à comprendre pour les personnes valides, mais 60 % des personnes handicapées cumulent plusieurs handicaps. Alors ça veut pas dire qu’on a toustes des besoins en accessibilité pour chacun de nos handicaps. Mais il y a parfois des choses qui s’ajoutent et rendent le fait de participer à quoi que ce soit très compliqué. Alors que ça ne devrait pas.
Should I Stay Or Should I Go ?
N’oublions pas que le but de l’accessibilité n’est pas juste de donner accès, c’est de donner au plus possible le même type d’expérience aux personnes handicapées qu’aux personnes valides. L’accessibilité est un outil de justice sociale, pas un pansement sur une jambe de bois pour vaguement permettre aux personnes handicapées de participer comme si c’était un cadeau qu’on leur faisait et pas un droit qu’elles ont.
Dans un évènement où j’ai été l’année dernière, on m’a mis l’habituelle chaise en haut de l’amphi… Sauf que l’amphi donnait directement sur le hall et que le hall donnait directement sur dehors et que les portes étaient ouvertes et fermées constamment… On était en hiver, donc je vous raconte pas le courant d’air… A une époque j’aurais mis mon manteau et supporté sans problème… Mais mon covid long est déclenché par la sensation de froid et j’ai pas tenu un quart d’heure de la première conférence avant de sentir les symptômes apparaître.
Le problème était que je donnais une conférence en fin de journée et qu’il fallait que je sois en état. J’ai donc fui l’amphi et passé la journée dans un canapé dans un coin, sans pouvoir assister à aucune conférence parce que j’avais une crise de douleur, de brouillard cognitif et de fatigue telles qu’il fallait absolument que je m’économise au plus si je voulais pouvoir donner ma conférence en fin de journée. J’ai eu peur toute la journée de pas être en état de la donner et j’ai été tellement marquée par cette expérience que depuis je demande à être placée le matin afin d’avoir le moins de risques possibles de me retrouver de nouveau dans ce genre de situations.
Bien sûr n’importe quelle personne valide n’aurait pas vécu ce courant d’air de la même façon. Mais en fait une personne valide aurait surtout pu changer de place si le courant d’air rendait la conférence inconfortable (au delà de carrément mettre sa santé en danger). Moi, comme la salle n’était pas accessible, je n’avais pas le choix.
Et au-delà de cette spécificité que j’ai avec les courants d’air, vous trouvez normal vous que je me retrouve au fond sur une chaise d’appoint en général inconfortable et toute seule parce que je suis grosse ? Elle est où la justice là dedans ? Pourquoi mon expérience en conférences c’est en général d’être dans le passage tout au fond, de mal voir l’écran si la salle est un peu grande, de me prendre les courants d’airs et, en plus, de devoir subir les regards perplexes des gens ?
Vous trouvez normal qu’avant chaque évènement où j’aille je dois envoyer un mail disant : “bonjour, étant grosse il me faut des chaises sans accoudoirs. Si votre salle a des accoudoirs, est-ce que c’est possible de me mettre une chaise d’appoint (pas une chaise pliable, étant grosse je ne peux pas m’asseoir sur des chaises trop fragile).” ? Et croiser les doigts pour que les gens ne remettent pas en question mon besoin (ce qui n’est jamais arrivé3) et posent bien la question à la salle plutôt que pensent qu’ils improviseront sur place (ce qui est déjà arrivé, les gens ne réalisent pas que certaines salles ne prévoient pas du tout ce genre de situations alors que bon, je suis pas la seule personne au monde à pas rentrer dans les chaises à accoudoirs).
Et là vous vous dites “okay mais tu parles d’un truc de niche.” parce que je m’appuie depuis le début sur l’exemple des conventions tech, parce que c’est LE lieu publique que je fréquente le plus souvent depuis trois ans. Mais en fait, non, c’est le cas absolument partout. Restaurants, cinémas, salles de théâtre, salles de concert, bars, sièges dans l’espace publique, sièges dans les transports en commun… Et d’ailleurs, dans la plupart des endroits, y a pas vraiment de possibilité d’avoir une chaise d’appoint. Je suis par exemple obligée de prendre la première classe quand je prends le train parce que dans la plupart des train les sièges de seconde sont trop étroits, ont des accoudoirs solides, ou sont tellement serrés que si je me retrouve à côté de quelqu’un je sais que je lui gâche son voyage parce que je prends un bout de son siège par défaut.
Je ne vais au cinéma que si je sais qu’il y a des sièges à deux, comme dans mon cinéma de ville, parce que les sièges individuels sont trop serrés et qu’il n’y a rien de prévu pour ça4.
Et je prends comme exemple mon besoin au niveau des sièges parce que c’est le besoin le plus simple à expliquer, il est concret, tangible et facilement compréhensible. Mais selon les handicaps, on peut avoir des besoins d’accessibilités hyper variés qui ne sont pas du tout pensés et qui font qu’on doit réfléchir à absolument toutes nos sorties dans l’espace publique.
Quand on a des besoins d’accessibilité, on passe notre temps à devoir s’adapter à des situations pas accessibles. Entre les lieux qui se disent PMR et qui ne le sont pas du tout, ou alors que partiellement (du genre les restaurants accessibles pour les fauteuils roulants mais qui ont des marches pour aller aux toilettes…), tous les lieux de représentations qui n’ont pas de sous-titres pour les personnes sourdes et malentendantes…
Il y a des besoins qui sont un peu plus compliqués à imaginer. Je discutais avec une personne qui avait une pathologie qui lui déclenchait des migraines sévères quand elle était en présence d’une longue liste d’odeurs. Forcément, il y a des lieux publiques où c’est compliqué d’imaginer comment gérer en terme d’accessibilité pour cette pathologie. Mais par exemple, elle avait réussi à son boulot de faire en sorte que le savon qui était dans les toilettes soit changé pour un savon sans odeur et ça lui changeait déjà la vie. Quand elle m’a dit ça, je me suis demandée pourquoi ça n’était pas le cas partout, tant pour des questions d’accessibilité que des questions de préférences, je suis très sensible aux odeurs et j’ai du mal avec pas mal d’odeurs de cosmétiques, il y a des lieux publiques où j’ai la nausée quand j’utilise le savon et je passe la journée à trouver inconfortable de trainer l’odeur.
De la même façon, pourquoi les salles d’évènements, concerts, cinéma, etc, ont des accoudoirs ? Ou pourquoi on n’a pas quelques sièges à chaque rang sans accoudoirs ? Outre la question d’accessibilité, je connais plein de gens qui n’aiment pas les accoudoirs et les relèvent toujours quand c’est possible. Je comprends qu’on n’élargira jamais la taille des sièges5 mais déjà si on virait une partie des accoudoirs, je suis gentille je demande même pas tous les accoudoirs, on permettrait à plein de gens d’avoir une meilleure expérience.
A mon cinéma sur le dernier rang, où sont prévues les places pour les fauteuils roulants, il y a aussi des sièges pour des personnes qui ne sont pas en fauteuil, pour que les groupes ne soient pas séparés. J’ai toujours trouvé que c’était une super idée et je ne comprends pas que ça ne soit pas le cas partout ! J’arrête pas de voir des témoignages de personnes en fauteuil roulant qui en vacances, ou pendant un concert, ou au cinéma, se retrouvent séparées de leurs proches et vivent donc l’expérience seules alors qu’il n’y a aucune raison.
La plupart du temps, c’est à nous, qui avons ces besoins, de nous adapter. Voire c’est à nous d’abandonner le lieu publique en question parce qu’il ne nous est pas adapté. Donc nos vies sont plus compliquées, il y a une grosse charge mentale, une fatigue et aussi un rétrécissement de nos vies sociales (voire de nos carrières… Perso je limite par exemple à un périmètre bien plus restreint que mes collègues valides les endroits où je postule pour des conventions parce que le manque d’accessibilité des transports fait que ça déclenche beaucoup trop mes crises de covid pour que je puisse faire autrement). Et c’est injuste.
Et surtout, c’est absurde. Une grosse partie de cette charge mentale ne devrait pas exister. Si on pensait l’accessibilité au global6 et pas à l’individuel/au cas par cas, on pourrait évacuer une grosse partie des problèmes (parfois insolubles à notre niveau) qu’on croise. Tout ce qui est faisable devrait être fait par défaut. Il ne devrait rester au cas par cas que les choses très spécifiques, et même ces choses devraient être prévues (la plupart le peuvent).
Si on ne le fait pas c’est pas parce qu’on ne sait pas, c’est pas une erreur, c’est pas un manque d’éducation. C’est un choix qu’on fait, en tant que société, de voir l’accessibilité comme un à côté, comme un bonus, comme quelque chose qui se fait après, si on a le temps, en plus. On devrait considérer que l’accessibilité est une obligation, au lieu de ça on continue à faire comme si c’était un service qu’on rendait. Et en terme d’éthique de notre société, ça reflète quelque chose qui est loin d’être positif.
Depuis que je fais des conférences j’ai même été très agréablement surprise sur comment en général les orgas sont prêtes à faire des efforts, malgré souvent des coûts en plus, pour que j’ai une expérience correcte. Et je ne parle pas que des conventions dont le thème est l’accessibilité, où ça semble plutôt logique, mais aussi d’évènements qui ne connaissent pas le sujet et où j’étais souvent la première conférencière à faire des demandes à ce niveau. Certaines orgas sont mêmes allées très au-delà de ce que je pouvais imaginer, par exemple en me proposant une nuit d’hôtel en plus pour gérer ma fatigue chronique au mieux, ce que je n’aurais jamais osé demander. Bref, ne nous trompons pas de cible, on parle d’un système pas d’individus.
enfin, il se passerait que les gens qui gèrent la salle leur diraient que c’est pas possible quoi.
bon c’est pas tout à fait vrai, j’ai souvent eu comme réponse “il y a des accoudoirs mais les sièges sont larges” et bien évidemment, chèr·e lecteurice, les sièges n’étaient pas larges.
Bon depuis le covid je vais plus au cinéma comme ça c’est réglé vous me direz.
il faudrait surtout pas perdre du profit !
comme on est plus ou moins sensé·es le faire selon la loi hein, mais bon
Je suis d’accord et pas d’accord en même temps enfin … voilà. Je suis d’accord dans le fond.
Pour moi il y a une différence entre accessibilité et inclusion. Je vais prendre l’exemple du fauteuil roulant ça parle à tout monde et c’est le truc où je rencontre le plus d’inaccessibilité. Mais l’inclusion se fait un peu au cas par cas ou du moins elle se construit avec les personnes concernées ça évite les trucs prévus mais totalement hasardeux ( par exemple qu’on me dise c’est accessible et que sur place on me dise oui il suffit qu’on vous porte ; non ne me porte pas et on porte pas mon carrosse svp ^^’ c’est extrêmement dégradant en prime je supporte mal qu’on me touche
La chaise au fond de l’amphi c’est accessible mais non inclusif. Après je ne dis pas ; je suis la première à raler sur la charge mentale de l’handicap ( genre envoyer un mail avant chaque meet up pour savoir si je peux y rouler c’est chiant, ça gaspille mes cuillères d’énergie pour rien )
Je me place aussi côté orga, vu que maintenant je suis aussi de l’autre côté du miroir. Je préfère qu’au début on mette en place le sous-titrage avec intelligence ( typiquement dans les salles où des personnes sourdes sont intéressées de voir des confs) et qu’on y aille petit à petit que bourriner surtout si on a peut être pas de personnes sourdes dans la conf ( hors moi qui sera sûrement en train de rouler à droite et à gauche.)
Car notamment en raison du pluri handicap, nos besoins sont pas forcément prévisibles pour les personnes extérieures et deux personnes avec le même handicap non plus ( exemple Emmanuelle et moi)
Donc finalement vive l’inclusion ! Et l’accessibilité c’est vraiment le niveau 0 qu’on devrait avoir.