Dans cette série je partage des portraits de femmes de l’histoire, connues ou non, afin de dé-masculiniser l’histoire et remettre en valeur les apports des femmes majoritairement effacés par l’histoire officielle. Cette série est réservée aux membres premium.
Le pitch
Vous l’avez sûrement repérée dernièrement puisqu’elle a enchaîné des rôles dans plusieurs séries à très grand succès : The Witcher, Good Omens1 et Loki2. Et comme on n’a pas l’habitude de voir des personnes handicapées jouer des rôles qui ne se concentrent pas sur leur handicap, elle est forcément marquante. Et quelque part, ce serait déjà une raison suffisate de parler de Liz Carr qui a une carrière d’actrice et de comédienne (et de comique) que peu de personnes visiblement handicapées ont. Sauf qu’en plus de ça, c’est une militante anti-validisme très engagée qui fait un boulot incroyable…
Et si on creusait un peu ?
Liz Carr est née au début des années 70 dans le nord de l’Angleterre. Elle vit ses sept premières années comme une petite fille valide tout à fait ordinaire puis déclenche de l’Arthrogrypose, une maladie qui attaque les articulations. Depuis ses 14 ans elle doit utiliser une chaise roulante.
Elle parle assez ouvertement des difficultés qu’elle a eues dans sa jeunesse à accepter son handicap, à apprendre à vivre avec, et d’à quel point les personnes valides (et les médecins en particulier) lui ont rendu la tâche encore plus difficile en lui promettant un avenir fait uniquement de douleur, voire pas d’avenir du tout. Il faudra attendre l’université pour qu’elle rencontre des personnes handicapées avec des vies riches, de nouveaux modèles pour elle, et qu’elle ait une sorte de révélation anti-validiste.
Dès ce moment elle poursuit deux “activités” en même temps : son métier de comédienne/comique, et son activisme anti-validisme. Et autant dire qu’elle réussit dans les deux domaines, ses deux carrières étant jalonnées de réussites et de reconnaissances. Côté comédie, en plus de rôle dans des franchises au grand nom (ce qui, encore une fois est très rare pour quelqu’un de visiblement handicapé), elle a reçu en 2022 le Laurence Olivier Award pour meilleure actrice dans un rôle secondaire pour son rôle dans la pièce The Normal Heart (où elle joue une doctoresse qui a été hyper importante dans la lutte contre le SIDA en étant la première personne handicapée à jouer ce rôle). Côté activisme, elle a mené plein de campagnes et ces dernières années lutte tout particulièrement contre le projet de loi légalisant le suicide assisté en Grande Bretagne.
Elle a fait un documentaire qui a reçu de très bonne critiques sur le sujet, Better Off Dead. Dans ce documentaire, elle échange avec plusieurs personnes qui militent pour ou contre le sujet, parle de ses expériences et va au Canada pour enquêter sur MAID, leur protocole de suicide assisté, et en ramène des constats terrifiants.
Liz Carr est mariée3 depuis 2010 à Jo Church, et elles ont dansé sur la musique de Dirty Dancing, ce qui me force à parler de ce mariage parce que vous connaissez mon obsession pour ce film.
Se réapproprier l’Histoire
Quand on parle de personnes qui ont le type de handicap de Liz Carr, ce type de handicaps qui impactent très fortement l’autonomie, qui sont très visibles et qui impactent même la capacité à la personne d’entrer dans les normes de beauté, on en parle souvent pour soit faire du misérabilisme (“oh mon dieu comment iels peuvent vivre comme ça les pauvres !”), avoir des discours horriblement validistes (“Moi si je préfèrerais mourir que perdre mon autonomie comme ça !”) ou pour faire de l’inspiration porn (“Regardez comme cette personne a réussi à dépasser les obstacles, comme c’est inspirant !”). On parle rarement objectivement des réussites des gens, de ce qu’iels apportent à la société (pas de manière productiviste, mais de la manière où nous apportons toustes des choses à la société) ou de leurs talents.
Liz Carr est une femme qui a dépassé énormément d’obstacles pour pouvoir vivre sa vie quotidienne, c’est une réalité. Mais elle n’est pas que ça. Elle ne résume pas à sa résilience4 ou à son handicap. Elle est aussi une actrice et comique talentueuse. Elle est aussi une activiste intelligente et pertinente.
Son documentaire est un bijou. Je voudrais que tout le monde le regarde. Elle y aborde les questions avec une finesse qu’on trouve rarement sur ce genre de sujets. Elle ne cache pas son point de vue, mais laisse aussi le loisir aux opposant·es d’évoquer le leur. Elle remet aussi les pendules à l’heure sur pas mal de fantasme et met en lumière des choses terrifiantes. Son documentaire m’a profondément secouée, mais il m’a aussi donné beaucoup de joie, parce qu’elle en profite aussi pour montrer la réalité du handicap. Une réalité qui n’a rien à voir avec la vision misérabiliste et validiste de notre société. Une réalité qui est loin d’être toute rose mais quelle vie l’est finalement ?
On a besoin de plus de Liz Carr dans notre histoire, dans notre culture. On a besoin de laisser la place à plus de gens comme elle. On a besoin d’écouter leurs expériences mais aussi leurs réflexions sur des sujets de société importants. Et on a besoin de les inclure dans nos fictions, parce que nos fictions nous reflètent et que si les personnes handicapées ne sont pas nos fictions, alors le reflet est déformant. On a aussi besoin de Liz Carr pour montrer aux jeunes personnes handicapées qu’elles peuvent avoir un avenir et faire ce qu’elles veulent faire, être qui elles veulent être, que leurs limites physiques ne limitent pas leurs vies pour autant. Parce que malheureusement tous les discours que Liz Carr a entendus lors qu’elle était enfant et adolescente dans les années 70 et 80 sont des discours que nos jeunes handicapé·es entendent toujours et qui détruisent des vies.
Pour aller plus loin
Je n’ai pas trouvé grand chose sur Liz Carr sur internet qui soit vraiment intéressant, voici le peu que j’ai trouvé (tout en anglais) :
Liz Carr: 'I was told all the time I wouldn't live to be old – and I believed it' : un article dans lequel Liz Carr parle à son moi jeune et aborde particulièrement toutes les choses qu’elle pensait/qu’on lui disait qu’elle ne pourrait jamais faire ou avoir et qui se sont avérées fausses.
Liz Carr talks to us about her new documentary about assisted dying : une interview (en podcast mais il y a un transcript) super intéressante à l’occasion de la sortie de son documentaire Better Off Dead.
Sa page wikipedia : Où vous trouverez quelques infos en plus.
La page wikipedia de son documentaire : Qui n’apporte honnêtement pas beaucoup d’informations en plus mais a le mérite d’exister.
Better Off Dead : Un documentaire à voire absolument, uniquement en anglais sous-titré anglais cependant.
Fuck Neil Gaiman.
ou peut-être que comme moi vous l’avez découverte dans The OA ?
enfin pas mariée mais dans l’équivalent du PACS qu’ils ont, puisqu’à l’époque le mariage pour deux personnes de même genre n’était pas légal en Grande-Bretagne
Dieu que je déteste ce mot…
Je n'ai pas vraiment vu les séries où elle jouait mais j'ai vu Better off dead et c'est vraiment un bon documentaire qui remet bien les choses en perspective à l'heure où on discute du suicide assisté... surtout vu les dérives qu'on voit au Canada et c'est terrifiant, comme ce SDF qui rentre en plein processus de suicide assisté juste parce que c'est trop cher de bien se loger en hiver... J'aime bien comment elle s'exprime, je la trouve super sympathique.