[8] 🎃🎃 Le cas Stephen King 🎃🎃
Célébrons Halloween avec un des mystères de ma vie de lectrice : le maître de l'horreur lui-même.
Il y a quelques jours est sorti le dernier Stephen King, Holly et bien sûr je l’avais pré-commandé. Stephen King est sûrement l’auteur dont j’ai lu le plus de livre (bon en même temps vu la longueur de sa bibliographie c’est pas forcément difficile). C’est un de mes auteurs préférés, certains de ses livres sont devenus des sortes de doudous pour moi et je les lis régulièrement, et comme il est beaucoup adapté au cinéma et en séries, j’ai aussi certaines de ses adaptations dans ma rotation des films/séries réconforts que je vois en général une fois par an.
Et quand j’ai vu qu’Halloween tombait un mardi cette année, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’en profite pour vous parler un peu (promis pas trop long) de Stephen King. Cet article ne sera pas exhaustif et je reparlerai sûrement à un autre moment d’autres aspects de l’oeuvre de King plus en détail, mais pour commencer j’ai envie de parler un peu de ce que je considère être une sorte de paradoxe chez lui : son inclusivité… et son maque d’inclusivité, aussi.
We go to seek a better world. / May you find one, as well. - The Dark Tower
Stephen King est un boomer, littéralement, il est né en 1947. Blanc, hétéro, valide la majeure partie de sa vie, globalement sur la roue des privilèges il se situe, même avant de devenir l’auteur multi-millionnaire qu’on connaît, plutôt bien pourvu. Il a cependant connu l’extrême pauvreté enfant et ça a certainement joué un grand rôle dans son positionnement politique, puisqu’il s’est toujours décrit comme un “leftist” (aka, un gauchiste à l’américaine).
On sent en lisant ses livres qu’il a plutôt une éthique de gauche. Il est loin d’être parfait et a beaucoup de biais mais dans son univers ce sont les méchants qui sont racistes, sexistes, lgbtqia+phobes, validistes… Dans son univers, les gentils sont ouverts à la différence et ont souvent des représentations assez diverses. D’ailleurs, dans Ça (1986), où un groupe d’enfants (puis adultes) combattent un monstre représentant tout ce qu’il y a de mal et de violent dans ce monde, le groupe en question est un vrai melting pot de diversité : un noir, un juif, une fille, un handicapé, un gros… Et tout le long du livre ce mélange d’identités au sein de ce groupe perturbe profondément les adultes qui le voient carrément parfois comme quelque chose de malsain.
Dans la plupart de ses livres des questions politiques sont abordées de près ou de loin, plus ou moins subtilement. Il a d’ailleurs écrit un essai contre les armes à feu qui est vraiment intéressant. Et dans son dernier roman, Holly, il traite de tellement de thèmes politiques que ça en devient presque too much, même pour la petite woke que je suis : covid, délires complotistes anti-vaccins, racisme, trumpisme, sexisme, on sent qu’il a besoin de digérer cette période ultra violente et il reproduit dans un roman un peu inégal (pas mon préféré avec le personnage d’Holly clairement) toute l’ambiance délétère de ces dernières années.
Et le roman en est presque juste un prétexte à pouvoir aborder ces thèmes. Ça en deviendrait presque une satire politique plus qu’un roman d’horreur. On sent que King a besoin de se positionner sur ces questions, comme il s’est positionné sur la question des droits trans à plusieurs reprises ces dernières années. Pour un homme cis-hétéro blanc de sa génération, affirmer qu’il soutient les personnes trans dans leur lutte pour leurs droits est assez surprenant. Personnellement je m’attendais vraiment à ce qu’il nous fasse un JK Rowling mais pas du tout.
King est aussi le premier auteur chez qui j’ai vu un personnage incel, avant que le mouvement incel n’existe, et qui l’ai fait correctement, sans jamais nous donner l’impression qu’il y a un fond de vrai dans ce que ce personnage pense/ressent et en montrant bien comment ce personnage se construit. Il s’agit d’Harold dans Le Fléau, qui date de 1978… Comme quoi la pensée incel, avant de devenir un groupe terroriste, était déjà bien présente.
Finalement ce qui pour moi est la grande force de King, et j’aimerais tellement un jour lui demander pourquoi/comment il a développé cette capacité, c’est son écriture des personnages handicapés. Bègue (Ca), Sourd (Le Fléau), Trisomique (Dreamcatcher), autiste (Holly qui est un de ses rares personnages récurrents, elle a débuté dans la trilogie Bill Hodge), paralysée (La Tour Sombre), retard cognitif (Le Fléau)… Il y a peu d’auteurs qui ont autant de personnages handicapés dans leur œuvre.
Mais surtout, contrairement à plein d’autres fictions du genre, dans les livres de Stephen King les personnes handicapées ne sont pas les monstres qui peuplent les cauchemars, mais bien les héroïnes et les héros. Les personnes handicapées sauvent le monde dans les romans de Stephen King, elles ont de vraies relations avec les gens autour d’elles et sont des personnages complexes, avec autant de facettes que les personnages valides. C’est tellement rare que je me creuse la tête depuis plusieurs jours et je ne trouve pas d’autre auteur avec une aussi bonne représentation handie.
That wasn't any act of God. That was an act of pure human fuckery. - The Stand
Personne n’est parfait, et je n’attends la perfection de personne. Encore une fois, pour un homme cis hétéro blanc de sa génération, qui est millionnaire depuis les années 70, tous les points positifs sont déjà plutôt surprenants. La plupart des superstars de la trempe de King finissent complètement déconnectées du monde réel et finissent par vriller complètement éthiquement. Le fait qu’il ait réussi à garder son côté woke est déjà super.
En attendant, on en est à la sixième décade de l’oeuvre de Stephen King, et il publie plus d’un livre par an. Forcément, il y a du bon et du moins bon. Et niveau inclusivité et diversité, il y a aussi des gros défauts.
Commençons par ses personnages féminins. Oui, King a beaucoup (proportionnellement) de romans avec des femmes comme héroïnes, ou comme co-héroïnes. Et ses personnages féminins sont plutôt chouettes, honnêtement même maintenant que je lis principalement des autrices afin d’éviter au plus le male gaze, Stephen King reste un auteur que je continue à lire donc clairement on n’est pas dans le pire…
Mais il y a des marges d’amélioration. Déjà quand il y a un héros masculin principal, les femmes se retrouvent vraiment comme des faire-valoir la plupart du temps. Elles sont complètement éclipsées par le personnage masculin et deviennent des stéréotypes plutôt que de vrais personnages.
Et même quand elles sont au centre de l’histoire et ont le droit d’être des vrais personnages complexes, on tombe quand même souvent dans du male gaze : elles sont sexualisées, elles passent leur temps à penser à des hommes (Frannie dans le Fléau passe en fait la majeure partie de son temps à penser soit à Stu, soit à sa grossesse et finalement ne participe même pas au dénouement du livre parce qu’elle est trop occupée à accoucher et à attendre que les hommes sauvent le monde). Il a aussi régulièrement ce truc bizarre que plein d’auteurs masculins font : ses personnages féminins pensent à leur poitrine dès qu’elles bougent. Genre je crois que c’est avec Frannie encore dans le Fléau où à un moment elle descend un escalier en pensant à Stu et on a une description hyper chelou de sa poitrine qu’elle sent bouger pendant qu’elle descend l’escalier… Et c’est dans plusieurs de ses livres. Je milite pour que dans les facs on enseigne aux hommes d’arrêter d’écrire ce genre de trucs.
La sexualisation des femmes n’est pas trop violente en général… Mais il y a quelques gros ratés. Comme dans Ca par exemple où si on prend un peu de recul Beverly passe TOUT LE BOUQUIN à être sexualisée par absolument TOUT LE MONDE. Même ses amis ne la voient que comme un objet de luxure. D’ailleurs, dans la fameuse scène qui est en général coupée des adaptations où elle couche avec chacun des gamins du groupe l’un après l’autre pour en faire “de vrais hommes” (ahem, ils ont 11 ans hein), on comprend que c’est ça son rôle dans l’histoire. Elle est littéralement là pour les dépuceler afin qu’ils aillent affronter le monstre… (et d’ailleurs cette scène est écrite absolument n’importe comment)
Bon, c’était les années 70 et à l’époque King était sous coke et autres drogues et alcool. Il parle de ses addictions et de comment il est devenu sobre dans Ecriture : Mémoires d’un métier (2000). C’est d’ailleurs un super livre à lire pour plein de raisons.
Quoi qu’il en soit, cette période où il était beaucoup sous coke a aussi donné quelques scènes qui sont aujourd’hui impossible à lire. Récemment j’ai voulu relire The Dark Tower, son cycle de fantasy qui lie tous ses univers les uns aux autres. Je me souvenais qu’à la première lecture j’avais abandonné le premier tome pour finalement me forcer et commencer à apprécier au deuxième… Je comprends pourquoi, il y a dès le début du livre une scène où notre héros (bon anti-héros mais quand même), interroge une femme en la violant avec son flingue. Voilà voilà. (que faisaient les éditeurs ? Ils étaient sûrement sous coke aussi et trop occupés à compter leurs billets)
Bon tout ça ce sont des défaut qui ont plus ou moins disparu de ses livres plus récents. Par contre il y a une chose qui n’a pas disparu et qui est présente dans à peu près tous ses livres, même des fois juste dans une phrase en passant : sa grossophobie.
Et je ne peux pas le dire autrement, Stephen King est grossophobe. On peut le voir dans absolument tous ses livres : toutes les personnes grosses sont décrites comme moches, dégoûtantes. Elles sont en général bêtes et méchantes, voire carrément sadiques. Et les rares fois où elles sont du côté des gentils, elles sont montrées comme des pauvres victimes qui n’ont aucune volonté et aucune force mentale.
Sa description des corps gros est faite pour vous dégoûter. Il déshumanise complètement ses personnages gros. Ils ne sont plus que des tas de chair et de graisse qui pendouille et dépasse… Ils sont une vision mortifère, et d’ailleurs il y a une mention de quelqu’un qui est mort d’une crise cardiaque à cause de son poids dans presque tous ses livres. Je déteste l’idée de psycho-analyser les créatrices et créateurs de fiction à travers leur œuvre, mais clairement King a une peur panique de la grosseur. Et une haine des personnes grosses. Et il a transmis ça à son fils, qui écrit de très bons livres aussi, mais qui a exactement les mêmes biais grossophobes.
(Comment je peux continuer à lire ses livres en tant que personnes grosse ? Honnêtement, vous en connaissez beaucoup vous des auteurs ou autrices qui ne soient pas grossophobes ?)
Same Shit Different Day - Dreamcatcher
Globalement avec Stephen King il y a beaucoup de hit and miss niveau inclusivité et diversité de ses personnages. Il s’est un peu amélioré sur certains points avec le temps mais il y a souvent des choses qu’il faut un peu ignorer. Pour autant, ses personnages sont toujours hyper bien écrits et ses histoires valent en général le coup.
Je pense que pour quelqu’un de sa génération qui écrit quarante livres par an finalement il s’en sort plutôt pas mal. Honnêtement au bout du bout la chose principale que j’aurais à lui reprocher c’est sa grossophobie. Il a d’autres biais, mais on sent même quand il est maladroit à certains moments que son but est bien de dénoncer le racisme, le sexisme, les lgbtqia+phobies, le validisme… On ne sent jamais ça face à la grossophobie et on se prend constamment des réflexions sur ce sujet dans à peu près tous les livres. Il y a toujours un moment où un personnage pense au moins au fait qu’il a grossi, ou lutte contre le fait de grossir ou voit une personne grosse et est dégoûté. C’est très fatigant et c’est la chose dont je lui parlerais si je pouvais.
Et je lui dirais aussi merci d’avoir autant nourri mon imaginaire. Parce que même si ça n’est pas un auteur parfait (est-ce que ça existe ?), c’est un super raconteur d’histoires qui m’a aidée à me construire en tant que personne qui aime lire et écrire.
Bonsoir, première lecture de la newsletter pour moi et j'ai passé un très bon moment à la lire 😊 merci !
Bonjour !
je suis aussi grande lecteur de steve depuis l'adolescence (au point de l’appeler par un diminutif, oui oui, lol). J'ai apprécié ton article qui synthétise bien des réflexions que j'ai eu à son sujet. NEANMOINS, sur le sujet du validisme, ce qui me questionne et dont tu n'as pas parlé, c'est : sa façon de traiter les personnages "fous". Je me creuse la tête pour trouver des personnages neuro-a qui fassent partie des "gentils", mais... j'ai l'impression que chez lui, la folie est toujours terrifiante. Qu'il s'agisse de l'infirmière dans misery, du daron dans shinning (là y'a aussi l'addiction qui joue, mais il part quand même un peu en crise psychotique, le gars), de La Poubelle dans "le fléau"... ce personnage en particulier, j'ai beaucoup d'affection pour lui... mais voilà, il est pyromane, il entends des voix, et c'est randall flagg qui va l'appeler! Mère Abigael n'est pas intéressé par son sort, pourquoi? Il n'est pas méchant, il est perturbé et traumatisé par son enfance...
voilà donc je me demandais ce que tu en penses, et si tu as des exemples de personnages neuro-a qui ne soient pas diabolisés dans ses histoires.