[72] Boy meets world... Girls does too but badly...
Ou comment deux séries avec le même pitch sont de qualité complètement opposées....
J’ai parfois des références culturelles issues de mon enfance et de mon adolescence un peu à côté de la plaque. Quand on a emménagé dans notre maison en 1997, il n’y avait pas d’antenne, notre télé ne captait absolument aucune chaine. Mes parents ont décidé de prendre le canalsat et n’ont jamais fait installé d’antenne de base, et à l’époque, le canalsat n’avait pas les chaines classiques. Ce qui fait que j’ai passé le collège et le lycée à ne pas avoir accès à M6 ou TF1, qui étaient à l’époque LES chaines où on trouvait les séries et émissions destinées aux pré-ados et ados.
Je n’étais pas en manque de contenus cependant, parce qu’en échange j’avais Disney Channel, Cartoon Network, et plusieurs autres chaines destinées aux enfants et ados dont je ne me souviens plus du nom aujourd’hui. Et la plupart de ces chaines avaient des séries et émissions bien plus cool que ce qu’on trouvais sur les chaines habituelles. J’ai grandi avec des séries venant du Canada, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, qui sortaient carrément du cadre de ce qu’on pouvait trouver sur les chaines classiques. J’ai vu des séries hyper imaginatives qui centraient des ados et leur faisaient vivre des aventures incroyables. J’ai eu accès à plein de séries qui ne prenaient pas leur public pour des abruti•es et je me suis régalée. Bon, je devais demander aux copaines de m’enregistrer Buffy1, mais à part ça, c’était vraiment super.
Dans les séries qui m’ont marquée, il y a beaucoup de séries de genre, science fiction bien souvent, parfois un peu de fantastique. Et pas mal de séries qui centrent des filles. Et il y a Boy Meets World2. Le pitch est relativement simple, et plutôt classique : un garçon découvre le monde, souvent en faisant des bêtises, accompagné de son meilleur ami et aidé par ses parents et son prof un peu sévère. Les séries de ce genre, qui centrent un garçon à l’arrivé de l’adolescence et épluchent épisode après épisode tous les sujets imaginables dans cette période de la vie, avec légèreté et esprit aventurier, je pourrais en citer des dizaines. Mais BMW (Boy Meets World) va plus loin que ça, assez pour que des dizaines d’années plus tard, quand ils ont annoncé une suite, Girl Meets World, qui suivrait les aventures de la fille du héros de BMW, j’étais sûre que ça deviendrait une de mes séries fétiches… Et puis non.
Feeny: Eric, I am going to make this so simple that even you can understand it.
Eric: You can try.
Je ne voudrais pas faire la meuf “les séries c’était mieux avant”, d’autant moins quand on voit le gap de qualité et de choix qu’il peut y avoir entre les années 1990 et aujourd’hui, mais je trouve qu’il y a parfois des inconvénients au boom des séries arrivé courant des années 2000. Ces dernières années, les plateformes (et les quelques chaînes qui existent encore) sont dans une accélération telle que la plupart des séries que j’ai préférées n’ont soit pas dépassé la saison 2, soit sont devenues complètement nulles dès la troisième saison en mode auto-digestion et on “jump the shark”3 parce qu’on doit être dans l’escalade constamment de peur de perdre le public.
Et le fait que la plupart des séries n’aient pas le temps de vraiment développer leurs univers, doivent absolument tout donner dès la saison 1 de peur d’être annulées avant même d’avoir eu le temps de trouver un public, ça ne laisse pas vraiment de place aux histoires simples et aux séries qui parlent des gens, sans trop de fioriture.
BMW était une de ces séries. Sitcom familiale prenant comme point de focus le cadet de la famille, Cory, et ses déboires tout à fait normaux de garçon de douze ans (au début). Cory est un élève moyen qui préfère le baseball que d’étudier Shakespeare, il a une petite sœur qui le force parfois à jouer à boire du thé, un grand frère, Eric, adolescent qui est préoccupé par ses histoires amoureuses, des parents aimants, un meilleur ami, Shawn, qui est pauvre et a des histoires familiale compliquées, et est le voisin de son prof, monsieur Feeny, sévère mais plein de sagesse. Dans la première saison, on voit de temps en temps Topanga, sa camarade de classe un peu perchée, qui deviendra très rapidement son intérêt amoureux pour le reste de la série.
Bref, rien de très original. On peut pitcher plein de séries avec les mêmes principes. Et BMW aurait facilement pu être une de ces séries, rigolote mais tout à fait banale. Sauf que, et je n’ai absolument aucune idée de pourquoi ou comment, les personnes qui ont créé cette série ont décidé de l’utiliser pour aborder des tas de sujets hyper sérieux… Oui il y a des épisodes où Cory et son comparse Shawn affrontent des trucs très sitcomesques, comme quand ils transforment la maison de monsieur Feeny en bed and breakfast pour un weekend alors qu’ils devaient arroser ses plantes en son absence. Mais le duo de “boys” (parce que la série aurait pu s’appeler Boys Meet World vu la place accordée à Shawn dans la série) affronte bien plus souvent des choses beaucoup plus graves : l’abandon de Shawn par sa mère, puis son père, les différences de classes entre Cory qui vient d’un milieu privilégié et Shawn qui vit dans un camping car, le sexisme (dont le sexisme de Shawn, dont un des traits de personnalité être d’être un tombeur durant les premières saison jusqu’à ce que ça lui retombe dessus à un moment), les angoisses face au passage à l’âge adulte, comment rester amis quand les contextes changent, le début de la sexualité…
Et même quand l’histoire centrale est très légère, en général un des personnages secondaires se retrouve à affronter des trucs vraiment difficile, comme quand Eric voit sa petite amie asiatique se prendre des injures racistes alors qu’ils sont à un rendez-vous, ou quand il se porte volontaire pour être le grand frère d’un petit orphelin et qu’il se retrouve à devoir le laisser partir avec sa nouvelle famille et à admettre que c’est mieux pour lui.
J’avais revu la série il y a quelques années, juste avant de voir sa suite, et j’avais été très surprise de me rendre compte que beaucoup de thèmes très graves étaient abordés. Il y a un épisode où Topanga est harcelée sexuellement par un de ses profs (quand ils sont à la fac dans les dernières saisons) et Cory frappe le type et manque de se faire virer, ce qui est particulièrement intéressant vu que c’est une série où les professeurs ont toujours eu une place très positive, que ce soit Feeny, mais aussi monsieur Turner qui héberge Shawn quand son père disparaît. Les épisodes les plus durs sont souvent portés par Shawn (et je trouve que Rider Strong, l’acteur qui l’incarne, fait un travail vraiment impressionnant), qui a plein de soucis du fait de son extraction sociale et de sa famille : il y a un épisode très bien écrit où il tombe dans une secte et où ses proches galèrent à l’en faire sortir, plusieurs épisodes qui traitent du deuil de son père, et globalement le personnage est toujours en équilibre au bord d’un précipice dont on sent qu’il ne faudrait pas beaucoup pour qu’il y plonge.
Un autre point intéressant est l’intégration d’Angela en saison 5, durant la dernière année de lycée. Shawn, qui jusque là n’a toujours été qu’un tombeur peu intéressé par le fait d’avoir une vraie petite amie, trouve un sac à main. Dedans il ne trouve aucune indication de qui est la fille à qui le sac appartient mais il développe un crush sur la personne qu’il imagine à partir de ce que le sac contient. Et après plusieurs rebondissements que je vous passe, on découvre que c’était le sac d’Angela, une copine de Topanga. Et là où c’est intéressant, c’est que dans une série aussi blanche que vous pouvez imaginez une sitcom familiale blanche des années 90, Angela est une jeune femme noire à la peau foncée, une vraie rareté à l’époque4. Et Angela est un vrai personnage. Elle n’est pas là pour uniquement amener un sujet sur le racisme, elle existe en soi… Mais elle amène aussi bien sûr ces thèmes là, en plus de plein de moments où elle soupire en mode “dieu que mes amis sont blancs” (ce qui perso me fait beaucoup rire parce que, ahem, oui.)
Bref, la série aborde tout un tas de sujets de façon très fine, et a aussi quelques-unes des scènes les plus drôles de télévision que j’ai pu voir (en grande partie grâce au personnage d’Eric, le frère de Cory, qui petit à petit devient de plus en plus excentrique et c’est sûrement parce que Will Friedle qui l’incarne a un timing en comédie qui est impeccable. Vraiment des fois je repense à des scènes avec ce personnage et j’en rigole encore tellement elles sont drôles et absurdes.). C’est pour moi une série un peu sous-côtée quoi qu’aux Etats-Unis elle ait eu son petit succès… Ce qui explique que Disney ait décidé d’en faire une suite.
“Believe in yourselves. Dream. Try. Do good.” Mr. Feeny
BMW a été diffusé de 1993 à 2000, juste avant que les séries n’explosent complètement et que tout le monde soit obsédé par Buffy, Oz, les Sopranos… Avant Friends même (bon, juste avant). Sa suite, GMW (Girl Meets World) reprend en 2014, dans un contexte très différent. Elle suit les aventures de Riley, la fille de Cory et Topanga, une jeune adolescente (qui vu les dates était déjà sous forme d’embryon dans les derniers épisodes de la séries précédente héhé). Et globalement, le pitch est à peu près le même : elle a une meilleure amie qui vient d’un milieu social désavantagé, Maya (jouée par Sabrina Carpenter), elle a deux parents aimants, un petit frère, un prof qui la guide sur le bon chemin, et un intérêt amoureux, Lucas, qui au début de la série débarque de son Texas et chamboule la vie de Riley. Et comme la génération précédente, Riley et Maya découvrent le monde à travers des aventures souvent rigolotes et légères.
Bon.
Honnêtement j’étais partante pour ce pitch simple dont le seul changement majeur était le fait qu’on passait sur des filles au centre plutôt que des garçons. J’étais même curieuse de voir ce que ça changerait aux thèmes par exemple et comment ce serait abordé. Mais en fait il y a quelques erreurs de bases qui ont été faites et qui ont beaucoup changé la dynamique de la série. La plus grosse étant de faire de Cory le prof de Riley… Donc Cory est à la fois le père et le professeur… tout en restant Cory. Donc en fait on a un mec un peu paumé qui panique régulièrement et est lui-même toujours en train d’apprendre ce qu’est la vie qui se retrouve comme devoir être le guide dans la découverte de nos girls. C’est pas terrible, pour commencer, encore moins quand il panique tellement que c’est Topanga qui prend le relai parce qu’elle est la raisonnable ou je ne sais quelle connerie sexiste (oui parce que bon, voir Topanga avoir à gérer le côté homme-enfant de son mari en plus de gérer ses gosses et son boulot, moi j’ai pas trouvé ça drôle en fait).
Et forcément, vous me voyez venir, les thèmes sérieux sont quasiment inexistants dans cette nouvelle série. Et quand ils existent, ils sont réglés en quelques secondes, quelques phrases pleines de bons sentiments, et on ne va jamais au cœur des choses. Bon, la série n’a pas eu autant de temps pour développer son univers, puisqu’elle n’a eu que trois saisons, mais si on compare les trois premières saisons des deux séries, on reste sur une comparaison qui fait grincer les dents.
Et si au début Maya est sensée être un reflet de Shawn, très vite on a du mal à y croire. Cette gamine dont la mère célibataire est absente parce qu’elle doit absolument travailler pour subvenir à leurs besoins est toujours parfaitement habillée, maquillée et évolue dans les mêmes cercles que Riley (fille d’avocate et de prof) et même leur pote qui est fils d’un multi-millionnaire de la tech… Et comme globalement tout est réglé toujours parfaitement à la fin des épisodes, on a du mal à penser que Maya a vraiment des problèmes.
Et je ne vous parle pas du jeu d’acteurice, horrible, ou de l’écriture, souvent atroce… Pour exemple l’épisode où les élèves décident de tester le communisme et se rendent compte à l’usage que le capitalisme c’est quand même bien mieux et VIVA USA ! (Ah ah non, je n’invente pas, c’est vraiment un épisode de la série).
Globalement la série a autant de profondeur qu’un pédiluve et les seuls épisodes qui retrouvent un peu de substance sont ceux où les anciens personnages reviennent… Mais du coup pour quelqu’un qui n’a pas vu la première série c’est sûrement complètement incompréhensible (et honnêtement ça me saoule qu’iels aient décidé de faire de Shawn ce personnage toujours aussi cassé alors qu’il avait tellement avancé durant la première série).
Bon c’est une suite ratée, okay, mais pourquoi ça a autant planté ? Pourquoi iels n’ont pas réussi à appliquer la recette de la première série à celle-ci ? Honnêtement, ce serait facile de dire “pfff c’est parce que Disney c’est devenu nul !”. BMW était sur ABC, la chaine “adulte” de Disney et ça lui a sûrement laissé un peu plus de marge de manœuvre que GMW qui était sur Disney Channel, c’est forcément à prendre en compte. Et oui, Disney a beaucoup lissé ses programmes ces dernières années… Mais pour moi ça n’est pas le cœur du problème.
Le problème c’est que Riley est une fille.
Vous en connaissez beaucoup vous des séries familiales qui centrent une jeune fille qui arrive sur l’adolescence et découvre le monde à travers des aventures un peu rigolotes ? Y en a pas des masses. Ou alors il faut un prétexte. Elle est médium. Elle a une double-vie de star de la pop… Et en général les quelques séries qui existent n’abordent pas de thèmes sérieux. Parce que l’adolescence des filles c’est soit des sitcoms rose bonbons complètement perchées où on ne parle surtout pas de problèmes sérieux et on se contente de se définir par ses crushs sur des garçons… Soit des drames hyper profonds comme My so-called life (Angela 15 ans, série excellente au passage mais pas exactement à classer dans la même catégorie).
Parce que l’adolescence des filles ne peut pas être dans la demi-mesure si elle est le point de focus. Soit c’est de la comédie sirupeuse, soit c’est du drame… La seule solution pour parler de façon affinée de l’adolescence des filles dans un média de type sitcom c’est en les mettant en second rôle, comme Topanga dans BMW qui du coup avait le droit à être un personnage complexe, tant qu’elle restait à sa place. (tellement second rôle qu’elle passait après Shawn et que c’était clairement dit à plusieurs reprises dans la série, le vrai duo dans cette série c’est Cory et Shawn d’abord)
Riley et Maya ne peuvent pas vivre les mises en dangers que Cory et Shawn ont vécues, parce qu’on ne met pas en danger les jeunes filles dans une sitcom. Elle ne peuvent pas non plus aborder de vrais thèmes sociaux, donc quand ils sont abordés c’est pour les ridiculiser… Ce qui fait de BMW une série plus féministe que sa série fille par exemple, ce qui est vraiment inacceptable. On a eu une analyse plus fine du sexisme dans l’épisode où Shawn se déguise en fille que dans n’importe quel épisode de GMW et ça m’arrache vraiment la bouche de dire un truc pareil.
Les questions de classe sont quasi inexistantes dans GMW parce que de toute façons nos girls vivent dans un monde complètement fantasmé, un New-York fait de décors envahis de couleurs et donc quand Maya parle de sa condition de gamine pauvre, ça n’a absolument aucun sens. De toute façon, une fille ne peut pas avoir de vrais problèmes, alors donc les deux amies vont se battre pour un garçon (dont l’une d’entre elles ne veut même pas en plus) plutôt que de se battre pour de vraies raisons comme Cory et Shawn les plusieurs fois où leurs différences de contextes de vie a mis des frictions dans leurs relations.
Bref, oui les temps ont changé, oui Disney a perdu en qualité à bien des niveaux, mais le fond du problème c’est qu’iels ont décidé de faire une suite qui centrait des filles et que la fiction a toujours autant de mal à produire des femmes, et des jeunes adolescentes encore plus, qui soient des personnages complexes à part entière.
J’en parle en détail dans mon épisode de Burn Your Idols sur Joss Whedon.
"L’incorrigible Cory” en français, mais je trouve le titre anglais bien plus représentatif donc je l’utiliserai dans tout l’article
En référence à un épisode de Happy days où Fonzie faisait littéralement un saut au-dessus d’un requin en ski nautique. Cette scène est devenue la représentation de ces moments plein de surenchères où une série tombe dans une sorte de parodie d’elle-même dans le but de continuer à surprendre son public.
petit (pas du tout) fun fact histoire de brûler dès à présent nos idoles avant même de les avoir mises sur leur piédestal : Trina McGee, qui joue Angela, a témoigné il y a quelques années du racisme qu’elle a subi sur le plateau de BMW, spécifiquement venant de plusieurs personnes du cast, dont Ben Savage qui joue Cory. Les autres acteurices nommé•es se sont excusé•es et ont visiblement fait amende honorable, Ben Savage non. Mais il faut dire qu’il est visiblement trumpiste dooooonc….