On me demande souvent si j’ai le trac avant de monter sur scène pour faire mes conférences, et je surprends souvent les gens en répondant que non. Parler en public est quelque chose que je fais depuis assez longtemps, bien qu’à une échelle différente jusqu’à mes conférences, et ça ne m’a jamais particulièrement impressionnée. Je trouve plus angoissant de faire une présentation à dix personnes qu’à cent, et peut-être qu’un jour j’écrirais un article sur ce sujet pour mieux expliquer tout ça parce que c’est pas forcément très clair.
Mais en tout cas, monter sur scène n’a jamais été particulièrement stressant pour moi. Je m’éclate sur scène, je prends vraiment du plaisir à faire mes conférences et j’ai très peu d’anxiété à ce moment là du process… Par contre, il y a d’autres aspects du travail de conférencière qui m’angoissent.
Écrire une conférence est angoissant. Ou pour être plus précise, mon process d’écriture de conférence est une sorte de montagne russe. Je commence très sûre de mon sujet et de ce que je veux dire dedans et, si tout va bien, je suis dans le même état d’esprit à la fin de l’écriture… Mais il y a un moment vers le milieu où j’ai l’impression que je fais un truc totalement nul, le doute s’empare de moi et en général je dois me forcer à avancer. Et plus la conférence est ambitieuse, plus ce moment est violent. Pour la dernière que j’ai créée cette année, Mots à Maux, j’ai carrément eu un moment d’angoisse tellement fort que l’idée d’annuler la conférence me semblait plus simple et tout à fait rationnelle. (Heureusement, j’avais déjà traversé ce process et donc n’ai pas cédé à ce moment de creux)
Mais une fois que c’est écrit, quelque part, c’est fait et je ne suis plus stressée… Du moins, jusqu’à ce qu’arrive le moment des questions / réponses….
Should I Stay Or Should I Go ?
Au début où je faisais des conférences j’étais terrifiée par le moment des questions / réponses. Autant pendant le moment de la présentation j’étais sûre de moi, autant le moment d’interaction avec le public me donnait des suées froides. Je détestais le manque de contrôle que j’avais sur ce petit segment, et le fait que ça clôture la conférence et que donc je risquais de laisser un mauvais souvenir juste pour un échange médiocre alors que la conférence aurait été de qualité.
Comme en plus j’embarquais des sujets militants, et de sciences sociales, dans des conventions tech où on ne m’attendait pas toujours, j’avais très peur de me retrouver avec des personnes hostiles voire violentes. Mais ça, à la limite, c’était pas ce qui me stressait le plus, après tout j’ai été formée professionnellement à gérer les situations de crise et la violence, à la limite ça aurait presque été une situation facile pour moi.
Non ce dont j’avais vraiment peur c’est que quelqu’un débarque et descende mon travail avec des arguments objectifs / des sources. Quelqu’un qui en saurait plus que moi sur le sujet et qui me montrerait les limites de ce que je dis, irait pointer les quelques trous dans la raquette…
Non pas que je doute de mes compétences. Si je fais une conférence sur un sujet, c’est que je considère avoir assez de connaissances pour pouvoir le faire. Je n’irais jamais faire une conférence sur un sujet que je ne maîtrise pas un minimum, que je serais encore en train de découvrir. Et même pour les sujets que je connais bien, j’ai tout un travail de recherche et d’approfondissement avant de créer ma conférence. Pour ma dernière conférence sur le langage par exemple j’ai lu plusieurs livres, des dizaines d’articles, écouté des podcasts, vu des émissions, des documentaires, lu des tas de ressources… Parce que même si la linguistique m’a toujours intéressée et que je maîtrise la question du langage inclusif, j’avais besoin de m’assurer que je ne disais pas n’importe quoi, que la partie technique1 était correcte.
Je ne doute pas de mes compétences donc, je me respecte trop pour monter sur scène face à un public avec un sujet que je ne maîtrise pas assez. Mais on peut toujours faire des erreurs. Et dans tous les domaines il y a des débats entre des factions de professionnel·les, des courants de pensée. On ne peut pas tous les connaître et dans mes conférences un truc qui me faisait peur c’est d’avoir en face de moi quelqu’un qui était de l’avis contraire au mien et qui aurait les connaissances pour étayer, particulièrement en citant des travaux, des personnes… Une chose que j’ai souvent du mal à faire à chaud. J’ai jamais été très douée pour me souvenir des courants de pensées, des noms des intellectuel·les. Mon cerveau a tendance à intégrer les notions et à laisser le reste de côté, un tri un peu nul, et mon prof de philo au lycée me disait que j’étais une arnaqueuse parce que j’avais les meilleures notes alors que je ne faisais jamais de citations2.
Les rares fois où je me suis retrouvée en difficulté en débat contre une personne c’est quand c’était une personne qui citait beaucoup ses sources. Parce que du coup en face si on ne fait pas pareil au même rythme, on a l’air moins sérieuse.
Bref, j’avais peur de ça, globalement. Et j’avais aussi peur de tout simplement ne pas avoir de réponse à une question. J’avais l’impression que ça me décrédibiliserait en tant que conférencière. Mais en fait, j’ai réalisé que c’était comme tout média de pédagogie, au contraire, admettre qu’on ne sait pas en tant que pédagogue est très sain. C’est d’ailleurs un des premiers conseils que je donne aux débutant·es qui me demandent de partager mes tips : n’hésite pas à dire que tu ne sais pas.
Do You Really Want To Hurt Me ?
Après presque trois ans (assez intensifs) sur scène, honnêtement la partie des questions du public ne m’inquiète plus comme au début. Ça reste la partie qui me stresse un peu, d’autant plus que c’est un moment un peu bizarre où je suis encore dans l’énergie de la conférence et au lieu de laisser l’adrénaline redescendre puisque j’ai fini, je dois me concentrer sur un rythme totalement différent de réponse aux questions.
Mais globalement, j’aime bien cette partie aussi, parce que souvent ça élargit les conversations, ça permet au public de s’approprier le sujet, et les échanges sont souvent intéressants.
J’ai cependant eu quelques mauvaises expériences. Rien de catastrophique, rien de grave qui ait complètement gâché mon expérience, mais plusieurs choses assez importantes pour que j’ai une idée beaucoup plus affinée de ce que je n’aime pas qu’on fasse quand on me pose une question en conférence… J’ai classé ces comportements en une poignée de sous-groupes :
“C’est pas une question, c’est un commentaire” - la phrase la plus détestée dans le monde des conférences. Si l’envie vous prend de commencer votre intervention par cette phrase, remettez en question votre intervention. Vraiment, avec toutes les conférences auxquelles j’ai participé, à quelque niveau que ce soit, je peux compter sur les doigts d’une main les fois où une intervention commençant par cette phrase a amené quoi que ce soit d’intéressant. En plus j’ai vraiment du mal avec cette démarche parce que c’est le moment “questions / réponses” pas le moment “commentaire”. Dans les conventions tech, les orateurices sont toujours très disponibles pour discuter après la conférence, donc je ne vois pas pourquoi ces personnes utilisent le temps des questions pour ça. Et il faut savoir que ce “commentaire” est en général complètement à côté de la plaque, en général il sert à : répéter ce qui a été dit dans la conférence, ajouter une source qui est déjà dans la présentation, faire mousser le membre du public qui est en train d’intervenir, ou carrément parler complètement à côté. Et en plus souvent ça dure hyper longtemps. Je suis à deux doigts de créer une politique personnelle où j’interromps la personne qui dit ça et lui dit qu’elle pourra venir m’en faire part après la conférence du coup, que c’est pas le moment.3
La personne qui pose une question qui n’a aucun rapport - ça arrive régulièrement. Et ça peut être très relou parce que ça peut complètement dérailler les questions / réponses. Par exemple, à une de mes représentations de ma conférence sur les profils atypiques dans la tech, un homme du public a commencé à me poser des questions sur l’école (la maternelle, la primaire) et à argumenter que c’était là qu’il fallait changer les choses pour qu’il y ait plus d’inclusion plus tard en entreprise. Ma conférence ne parle pas du tout de l’école, c’est pas mon sujet… Sauf que c’était la première question du panel, et comme en plus le type y a passé des plombes, ensuite en gros je n’ai eu que des questions sur l’école au sens large (les centre de formation, les bootcamps de reconversion..) et plus du tout sur la notion de profil atypique, d’inclusion dans la tech, de microagressions… Ça n’avait rien à voir avec les questions que j’ai habituellement avec cette conférence.
La personne qui ne lâche pas le micro - C’est particulièrement énervant, et ça peut aussi complètement gâcher votre conférence, quand la personne qui pose une question garde le micro et donc répond à votre réponse et se lance dans une conversation. En général, on a 5, parfois 10 minutes d’échange avec le public, au mieux. On n’a pas le temps d’avoir des conversations. La règle tacite est : une question, une réponse, si vous voulez en discutez plus avant, vous venez trouver l’orateurice après la conférence. Et certains évènements gèrent très bien ça, en récupérant tout de suite le micro après que la question ait été posée. Mais d’autres sont plus souples et parfois ça crée une situation complètement inextricable… Comme à une conférence il y a quelques mois où l’homme qui avait posé une question a gardé le micro et continué la discussion alors qu’en plus il s’acharnait sur un point de détail de ma conférence (un exemple que je donne) et tournait en rond sur ses arguments. On a perdu beaucoup de temps de question avec cet échange et c’était bien relou.
Et bien sûr, vous imaginez bien que tout ce que je viens de vous raconter arrive bien plus souvent quand on est issu d’un groupe marginalisé. Dans une conférence tech, une femme sur scène aura très souvent ce genre de comportements. On m’a mansplainé plusieurs fois mon sujet, heureusement que je suis préparée à ce genre de trucs parce que la première fois ça m’a un peu surprise le mec qui très naturellement me fait un “commentaire pas une question” et fait mine d’être celui qui découvre/comprend le sujet alors qu’il ne fait que reformuler ce que j’ai dit.
J’ai remarqué quand je suis sur scène qu’en général quand la première personne à avoir le micro pour poser une question est une femme, la suite des questions / réponses se passe très bien. Mais quand c’est un homme, ça peut vite dérailler. Et la première question est vraiment importante, elle donne le ton, elle oriente la discussion. D’ailleurs sur les mêmes conférences présentées plusieurs fois, j’ai eu des échanges ensuite très différents, et ça c’est plutôt cool.
Globalement j’ai vécu deux trois situations vraiment pas drôles aussi pendant ce moment d’interaction avec le public, mais j’ai toujours géré, donc ça ne me fait plus tellement peur. Un des trucs importants est d’avoir les modérateurs bien coachés et sur une de mes dernières conférences il y a eu un débordement qui n’a pas été géré, mais je n’avais pas anticipé et donc je n’avais pas donné de consigne à l’équipe d’organisation, je le ferai à partir de maintenant pour cette conférence…
Et si je dois être honnête, ce que je préfère c’est les discussions après la conférence. Donc si vous venez à une de mes conférences et que vous avez envie de venir me parler après, n’hésitez pas, c’est là que je passe mes meilleurs moments en convention.
Et oui, les conférences de sciences humaines sont techniques elles aussi
d’ailleurs j’en fais très peu dans mes conférences, je préfère donner des ressources à la fin pour aller plus loin. Déjà je trouve qu’on peut à peu près tout faire dire à une citation sans contexte, et ensuite je trouve que dans le temps d’une conférence courte on n’a pas le temps de justement mettre du contexte autour de la citation, expliquer d’où parlait la personne, et donc c’est souvent un peu bof. Je l’ai fait pour Mots à Maux parce que je trouvais que dans une conférence sur le langage, c’était fun.
mais je n’aime pas être trop dans la confrontation pendant les questions / réponses, c’est très rapide de se mettre un public à dos…