Je réalise qu’en moins d’un an j’aurai fait deux articles sur des films avec Patrick Swayze… Jamais deux sans trois1 ?
Si je vous dit un film du début des années 1990 où trois Drag Queen citadines, deux vétéranes2 et une novice un peu paumée, traversent leur pays et se retrouvent à affronter la campagne profonde, choc culturel et leçons de vies (pour tout le monde) à la clé vous me dites ?
Priscilla Reine du Désert !
AH.
Euh.
Oui, bon, tout à fait.
Reprenons, un film américain et pas australien.
To Wong Foo Thanks for Everything, Julie Newmar ! (Un titre à rallonge traduit en français de façon un peu honteuse par “Extravagances” et que dans le reste de l’article je réduirai à To Wong Foo pour que ce soit plus simple)
Donc, j’adore Priscilla Reine du Désert que je regarde depuis que je l’ai découvert à la pré-adolescence, c’est d’ailleurs un des premiers dvd que j’ai achetés. Et je vous le recommande. Mais aujourd’hui j’ai envie de vous parler du film américain qui a le même pitch et qui est sorti l’année suivante mais qui globalement aborde des thèmes très différents (et avec un ton différent aussi), un film avec Patrick Swayze, Wesley Snipes et John Leguizamo qui jouent nos héro·ines… Un film qui, pour moi, est une ode à la sororité comme on en voit peu dans la fiction3.
Little latin boy in drag, why are you crying?
Bon le pitch résume plutôt bien le film. Patrick Swayze et Wesley Snipes, deux drag queens reconnues de New-York, embarque John Leguizamo, une jeune drag queen un peu paumée, dans un road trip jusqu’à Los Angeles. En route, elles se perdent dans la campagne et crèvent dans une ville tellement petite que la rue principale a peut-être dix bâtiments. Elles y rencontrent des personnages plutôt réticents au début mais la cohabitation et le clash des cultures redonne vie à la petite ville.
Bien sûr le film en profite pour aborder pas mal de question liées à la marginalité des Drag Queens mais, globalement, l’histoire est surtout centrée sur les femmes. Il faut savoir que, contrairement à dans Priscilla, ici les trois héroïnes ne quittent quasiment jamais leur drag. Même avant d’arriver dans le village (et de se faire passer pour des femmes), elles voyagent dans leurs personnages de Drag… Ce qui floute un peu la notion de Drag (rappelons qu’en général les hommes qui font du drag sont pour autant cis et voient leur drag comme un personnage) et donne plus l’impression de voir un film sur la transidentité que sur le drag4.
Et au-delà de ces trois personnages principaux, on a un quatrième personnage principal qui est joué par Stockard Channing, une des femmes de la ville, accompagné de toute une galerie d’autres femmes qui sont totalement au centre de cette histoire. A aucun moment les hommes de la ville n’ont autant d’importance. Au mieux ils sont des prétextes, des outils pour amener de la romance, ou carrément des vilains, mais aucun n’a vraiment d’histoire propre. Ils sont les faire-valoirs des femmes5.
C’est un film qui parle d’empowerment. Les femmes du film trouvent leur pouvoir à travers la sororité… Et en revoyant ce film que je n’avais pas vu depuis des années, j’ai trouvé ça tellement visible que j’ai été vite voir et, de fait, c’est un film réalisé par une femme. Par contre, surprise, ça a été écrit par un homme, qui visiblement bosse plutôt à Broadway depuis… Je me demande si c’est lui qui a rendu ce thème de la sororité central ou si c’est la réalisatrice qui a tiré ça de son scénario de base…
Sometimes it just takes a fairy.
Mais en fait, c’est pas très important de savoir à qui appartient quoi dans cette histoire. Je suis à peu près sûre que Swayze, Snipes et Leguizamo ne se sont jamais particulièrement passionnés pour la question de la sororité et pour autant, ils incarnent parfaitement les personnages de ce film et donnent vie à cette notion.
Les films sont le travail de tellement de personnes qu’ils échappent souvent un peu aux individus et deviennent parfois quelque chose qu’on n’avait pas vraiment prévu. Est-ce que si j’allais voir les créateurices du film en leur disant que c’est un film sur la sororité iels me riraient au nez ? Peut-être. Pourtant quand on le regarde, c’est loin d’être subtil, ça saute aux yeux.
Et on a tellement peu de films qui mettent vraiment la sororité au centre, qu’on n’a pas vraiment envie de questionner d’où ça vient dans un cas comme ça. La plupart des films sur la sororité ne sont pas positifs et finissent mal, voire tragiquement (le symbole de la sororité au cinéma c’est quand même Thelma & Louise, hein). Ou alors, la fiction passe d’abord par le fait de traumatiser fortement ses héroïnes afin qu’elles aient un besoin vital de trouver de la sororité (je pense là forcément à The Handmaid Tale, mais même des séries comme Big Little Lies où les meufs se détestaient avant de devoir affronter ensemble un énorme trauma). Et puis, bon, souvent les fictions sur la sororité… Ne parlent finalement pas vraiment de sororité (j’adore le film/livre The Jane Austen Bookclub mais derrière un paravent de sororité c’est surtout une comédie romantique quoi).
Et même quand les amitiés entre femmes sont représentées dans la fiction et qu’on leur laisse vraiment une place, c’est souvent difficile pour moi m’y reconnaître. Pour trouver des modèles qui ne soient pas toxiques et échappent à la représentation la plus courant de la “frenemie” (amie et ennemie, coucou The Morning Show par exemple), il faut souvent aller chercher vers les séries un peu queer (j’avais trouvé que les relations entre les meufs dans Wynonna Earp étaient vraiment cool par exemple, même si c’est pas le thème principal).
Au-delà de la fiction, l’amitié féminine est souvent montrée comme cruelle, compétitive, fausse. Au point où on trouve souvent des femmes qui disent ne vouloir être amies qu’avec les hommes “parce que c’est plus simple”6.
Ce que To Wong Foo nous montre c’est que la sororité peut être une force. Qu’une amitié peut vous sauver et vous donner l’impulsion pour enfin devenir qui vous voulez être.
Et le film ne joue pas sur une dichotomie “les bouseux mal éduqués réacs” versus “les drag queens qui connaissent la vie”. Chacune des femmes apporte à l’autre. Et s’il y a une différence entre les deux groupes de femmes c’est plutôt que les campagnardes sont isolées quand les drag queens ont appris à survivre grâce à leurs amitiés, à tirer de la force les unes des autres. Et c’est un message toujours tristement d’actualité trente ans plus tard.
Okay, okay, je vais me forcer à regarder le remake de RoadHouse et ensuite vous faire un article enflammé sur pourquoi celui avec Swayze a été complètement dénaturé par la nouvelle version… (et oui, vous voyez comme je suis objective, j’ai même pas encore vu le remake que j’ai déjà un avis !)
je découvre que le féminin de vétéran n’est pas vétérante mais vétérane et mon monde s’écroule
Attention, légers spoilers. Si vous n’avez pas vu le film mais que vous en avez l’intention, attendez de l’avoir vu pour lire l’article.
Je ne sais pas ce qui est dû à une intention ici ou juste à une incompréhension de la différence entre drag et transition de genre, mais les personnages se genre quasiment tout le temps au féminin, même avant d’être dans la petite ville, font un road trip en full drag et on ne les voit jamais sous leur identité d’hommes. Donc si je ne dirais pas forcément que le film a été écrit pour représenter des personnes trans, je dirais cependant que c’est quand même un peu le résultat à la fin.
Et c’est tellement rare que c’en est surprenant, alors que l’inverse est toujours la norme 30 ans plus tard dans la fiction.
on en revient souvent de cette idée. Déjà les amitiés entre hommes ne sont pas particulièrement plus simples, plus vraies ou moins concurrentes, ensuite, beaucoup de femmes qui ont été longtemps dans des groupes d’hommes sortent de là avec beaucoup de déceptions quand elles se rendent compte qu’elles finissent par ne plus exister si elles ne deviennent pas des partenaires amoureuses.
Ça me donne envie de voir ce film que je ne connaissais pas
Merci 🙏