[47] Bring back Jericho ! - plaidoyer pour le slow tv show
Après le slow food, le slow tv show.
J’utilise depuis des années une application sur mon téléphone pour garder une trace de mon visionnage des séries. Ça me permet de mettre les séries que je veux voir de côté, de me souvenir d’où je me suis arrêtée dans une série… J’utilise cette application depuis tellement longtemps que quand j’ai revu Oz récemment, j’ai pu voir que mon premier visionnage datait d’il y a dix ans (ayant toujours aimé les listes et les archives, cette application a aussi un côté très satisfaisant pour moi).
L’autre jour, je faisais le point sur ce que j’avais vu depuis le début de l’année et j’ai réalisé que j’avais créé malgré moi un schéma : la plupart des séries que j’avais vues étaient “anciennes” et dataient de la fin des années 90 ou des années 2000. Globalement, à la louche, 70% des épisodes de séries que j’ai regardées ces derniers six mois avaient au moins vingt ans.
C’était pas du tout quelque chose que j’ai fait volontairement, mais c’était assez spécifique pour que je me demande pourquoi j’avais pris ce chemin. Ma première réaction a été de me dire que comme j’ai eu six mois très difficiles émotionnellement, je me suis plongée naturellement dans la nostalgie d’une époque où tout me semblait plus simple, mon adolescence. Et c’est pas forcément faux. Je suis pas quelqu’un qui mystifie ses années lycée. Ca a été une période où j’ai eu des bons moments, mais aussi des moments difficiles et je ne qualifierais pas cette période comme la meilleure de ma vie. Par contre, clairement, c’était une période où j’avais quand même moins de responsabilités qu’aujourd’hui et où d’une certaine façon je savais que malgré tout je marchais avec un filet de sécurité, que je n’ai plus aujourd’hui.
Et de fait, regarder une série que j’ai découverte à l’époque a toujours tendance à me rappeler des bons moments de mon adolescence, et les débuts de ma découverte du monde des fandoms (groupes de fans) et de la culture pop. Mais là, ce qui est intéressant, c’est que j’ai pas uniquement revu mes séries favorites de l’époque, qui jouent forcément sur la nostalgie, mais aussi vu plusieurs séries que je n’avais jamais vues. Et c’est grâce à ce point, que j’ai réalisé que c’était pas une nostalgie de l’époque qui m’attirait dans ces séries aujourd’hui, mais plutôt une sorte de ras-le-bol de l’univers fictionnel qu’on nous propose en 2024, et un besoin de revenir à des choses qui me conviennent mieux.
Wayback Machine
Je crois que ma plongée dans les séries d’il y a vingt ans a commencé avec Urgences, en début d’année dernière, quand j’ai voulu me la faire pour la première fois en entier, n’ayant vu jusque là que des épisodes éparpillés. Puis, quelques mois plus tard, j’ai eu envie de me refaire OZ suite à une discussion sur le mouvement abolitioniste des prisons où je racontais à quelqu’un que c’était cette série qui avait personnellement posé des graines de réflexions à ce sujet en premier. Urgences et Oz l’année dernière ont été les fondations de ce retour dans le passé des séries….
Et cette année, j’ai tellement enchainé que je vais sûrement en oublier (et c’est pas dans l’ordre) : Jericho, The Sarah Connor Chronicles, Stargate SG-1 (que j’avais pas vue à l’époque et que je n’ai pas encore finie), Monk (que j’ai vite abandonnée), The Shield (aussi, après trois saisons), The Closer et Medium (toutes les deux abandonnées vite, les procedurals c’est pas mon truc à la base), Ghost Whisperer, Angel… Je voulais aussi me refaire Drive la (autre) série annulée trop tôt de Nathan Fillion pré-copaganda mais je ne la trouve nulle part donc pour le moment j’ai laissé tomber. Pour la plupart de ces séries, c’était un premier visionnage.
Mon objectif n’est pas de vous dire que ces séries du tout début des années 2000 étaient parfaite. Même dans celles que j’ai regardées en entier, il y a des défauts. Il y a peu de séries dans l’absolu qui à mon avis pourraient être dites comme n’ayant pas de défaut. Et ici, il y a des défauts. Parfois des manques de moyens qui font que, même pour l’époque, certaines choses sont tellement cheap que c’est difficile de pas être sortie de l’histoire (les décors en carton de Stargate par exemple), ou certain·es acteurices qui ne sont pas à la hauteur (ou qui ont été tellement pressés par des productions à moyens moins élevés qu’aujourd’hui qu’on voit une baisse de qualité dans le jeu), parfois même quelques problèmes de cohérences et de trous dans les storylines… Tout ça était habituel à l’époque et il faut parfois se remettre dans l’esprit en se disant que ça arrivait. “Ah ils expliquent jamais ce point d’intrigue et passent à autre chose, admettons”. “Ils ont carrément oublié un personnage qui ne réapparaît plus jusqu’à la fin, admettons”. Etc…
Mais si elles ont des défauts, ces séries ont aussi beaucoup de qualités. Personnages qui évoluent sur le court, moyen et long terme, arcs narratifs qui peuvent être filés sur plusieurs saisons, récurrence de personnages secondaires qui petit à petit prennent de l’importance, ancrage dans la culture pop qui est moins forcé et donc ne date pas les références de façon à les rendre incompréhensibles cinq ans plus tard… Et globalement, surtout, un rythme que je trouve beaucoup plus supportable.
Get Rhythm When You Get The Blues
Bon, je vais faire ma boomeuse, mais les (la plupart des ?) séries d’aujourd’hui ont un rythme intenable. D’ailleurs c’est pas pour rien qu’autant de séries deviennent mauvaises dès la deuxième saison après une excellente première saison qui nous a valdingué·es dans tous les sens (aka le syndrôme Lost). La qualité des séries s’étiole de plus en plus vite, presque de façon exponentielle plus on avance dans les saisons, jusqu’à devenir complètement impossible à regarder. Je ne compte plus le nombre de séries que j’ai arrêtées de regarder à la deuxième ou troisième saison après avoir ADORÉ la première. Et celles où je m’accroche dans l’espoir qu’elles reprennent en qualité à un moment et fini carrément en colère arrivée à la fin d’avoir perdu autant de temps dedans…
Comme Game Of Thrones par exemple. La série a tellement joué la surenchère qu’à la fin, tout était amplifié, même les défauts et ça a donné l’une des pires dernières saisons de séries que j’ai vues dans ma vie (côte-à-côte avec le final de How I Met Your Mother peut-être, mais ça c’était un autre problème). Et on ne peut pas dire que Game Of Throne ait dégénéré ou perdu sa ligne rouge, parce qu’en fait tout ce qui se trouve dans les derniers épisodes était relativement prévisible dès le début… Et c’est bien ça le problème. Parce qu’à force de donner uniquement dans la surenchère, de chercher uniqument à choquer et à toujours aller plus loin dans la cruauté et bien, les personnages n’évoluent pas.
C’est un gros problème avec les séries d’aujourd’hui. Les personnages deviennent des avatars et n’évoluent plus. Et c’est normal, on ne leur en laisse pas le temps. On les trimballe de crise en crise. Iels sont toujours en train de réagir plutôt que d’agir. Iels n’ont le temps d’absolument rien digérer, rien résoudre. Et au bout de quatre saisons on est toujours sur les mêmes problématiques pour toustes. La dernière saison de The Boys est une super illustration de ce problème. S’il y a eu une bonne surprise sur un ou deux personnages secondaires, les principaux sont toustes toujours aux prises avec les mêmes problématiques qu’iels se trainent depuis la saison 1. Rien n’avance. Iels deviennent des parodies d’elleux-mêmes, finissent par être hyper prévisibles et ne servent qu’à illustrer les scènes gores et dégueulasses de la série1.
Le truc c’est qu’une fiction a besoin de souffler. Les personnages ne peuvent pas être dans la tension tout le temps, autrement on en fait uniquement des personnages multi-traumatisés et rien de plus. Ce qu’on appelle les fillers (les épisodes de séries qui sortent un peu des arcs narratifs en cours et, souvent, sont plus calmes, un peu décalés parfois) permettent ça… Et dans la plupart des séries d’aujourd’hui ont complètement disparu. Pourtant, il y a plein de séries qui ont utilisé les fillers de façon hyper intelligente pour faire avancer les personnages, comme dans Buffy où les fillers étaient en général drôles, originaux ET amenaient à la fin à une grosse avancée pour un personnage.
Mais il n’y a pas que les personnages qui ont besoin de souffler. Le public aussi. Moi y a des moments je finis par avoir l’impression d’être maltraitée par les séries. On nous inflige de plus en plus de violence, de plus en plus de twists (qui souvent ne tiennent pas la route quand on prend un peu de recul), de plus en plus d’escalade. Et du coup, il n’y a plus de catharsis. Il n’y a plus de réflexion, tout est fait pour nous déconnecter, nous secouer dans tous les sens, comme dans des montagnes russes sans fin. Les séries finissent par ne plus être de la fiction, dont on peut tirer des choses à apprendre, qu’on peut analyser, où on peut trouver des sous-textes et nos interprétations, mais de la distraction. On n’est plus là pour rêver, on est là pour être distrait·es.
Et du coup ces séries, je ne suis pas sûre qu’elles seront toujours aussi regardables dans vingt ans. J’ai essayé de faire un second visionnage de True Blood par exemple, une série dont j’avais adoré les premières saisons et finit un peu dans la souffrance (je n’ai aucun souvenir des deux dernières saisons ce qui n’est pas bon signe). J’ai revu la première saison, qui avait des défauts mais était quand même bien, et arrêté le rewatch pendant la seconde. Les ficelles étaient apparentes, tous les défauts étaient visibles parce que je savais où allait la série, et je n’ai même pas pu finir un second visionnage d’une série qui pourtant je pensais être une série de qualité.
Une de mes séries préférées est Supernatural. Quinze saisons, des saisons longues (ormis celle de la grève des scénaristes, plus de 20 épisodes chaque), et les deux mêmes personnages principaux pendant quinze ans, avec le même principe : un côté procédural (un monstre par épisode) et des arcs narratifs en toile de fond qui en général durent une saison. C’est une série qui a ses défauts (et je ferai sûrement un article plus détaillé desuss un jour où j’en parlerai), mais ça reste une série qui est cohérente, qui bien qu’elle passe son temps à changer les règles de son univers pour l’agrandir, ne tombe pas dans une surenchère absurde, et qui laisse ses personnages grandir, évoluer, au fil des ans. Oui certaines choses sont toujours là (les deux frères et leurs problèmes de communication quand un truc va pas par exemple), parce que certains schémas dans la vraie vie restent aussi en place quand on évolue, mais globalement les personnages ont un vrai cheminement. Et cette série a un rythme qui permet ça justement. Il y a des épisodes très intenses, qui vous retournent dans tous les sens, mais il y a aussi des épisodes qui paraissent beaucoup plus lambdas et qui en fait amènent plein de choses aux personnages. Il y a aussi des épisodes très drôles et beaucoup de créativité. Parce que quand on prend le temps de créer un univers, de créer des personnages, qu’on balance pas tout d’un coup pour choquer le plus possible, on a de la place pour jouer avec cet univers et ces personnages.
C’est pas pour rien que les fans de Supernatural se sont autant approprié la série. On nous a laissé la place de le faire. On nous a permis de vraiment connaître les personnages. De les voir dans l’action, dans la réaction face à des enjeux, mais aussi dans leur quotidien, dans des moments d’échanges, dans des moments plus calme. On ne nous a pas que forcé·es à voir les personnages être constamment traumatisé·es, on nous a aussi permis de les voir guérir, de les voir aller mieux.
C’est la même chose avec Lucifer, que j’ai tout juste fini de revoir. Les personnages évoluent énormément pendant six saisons, et le fait qu’un des arcs narratifs de la série est le fait de littéralement mettre les personnages en thérapie n’y est pas pour rien.
On n’est pas obligé·es de mettre des psys dans chaque série, mais ces dernières années, je compte sur les doigts d’une main les séries qui ne m’épuisent pas et qui gardent leur qualité à travers les saisons. Et quand je dis ne m’épuisent pas, je ne veux pas dire “des séries qui ne sont pas compliquées”. Je ne cherche pas à regarder des séries bêtes, je cherche à regarder des séries où on me balade pas comme une boule de flipper constamment pour finalement me rendre compte que tout est creux.
Récemment c’est surtout des séries d’enquêtes qui m’ont permis de souffler un peu, ce qui est drôle parce qu’à la base c’est pas du tout un genre que je regarde beaucoup. Mais il y a deux séries en particulier que je viens de regarder ces dernières semaines, qui en sont à leur première saison mais qui clairement partent sur de bonnes bases : Elsbeth et Poker Face. Et c’est drôle parce que ce sont deux séries à la mode Columbo (on voit le meurtre dans le premier tiers de l’épisode, il y a des invité·es à chaque épisode et après le mystère c’est comment l’enquête va être faite) avec des personnages féminins au centre. Elsbeth est avec la super Carrie Preston qui reprend là son personnage de The Good Wife/Fight et se centre autour d’elle qui se retrouve à New-York et à aider la police sur des enquêtes. Poker Face c’est la nouvelle série de NATASHA LYONNE (oui son nom mérite les majuscules) créée par Rian Johnson (Knives Out/Glass Onion), avec une esthétique années 70 assez géniale et des histoires hyper tordues et personnages originaux. Ces deux séries m’ont vraiment plu parce qu’elles m’ont divertie mais elles ne m’ont pas prise pour une idiote en me jetant de la poudre aux yeux et parlaient globalement des personnages derrière le prétexte des enquêtes. C’est ça que je recherche, en fait. Pas une explosion toutes les trente secondes ou une surenchère de trucs dégoûtants qui ont l’air imaginés par un gamin de treize ans.
Et malgré tout j’attends avec impatience la dernière saison parce que pour une fois ils ont mis en place des choses pour qu’il y ait du changement… Mais y a de grandes chances que je sois encore déçue, vu qu’ils n’ont saisi aucune des opportunités qu’ils avaient à ce niveau depuis le début.
Merci pour cet article et l'inspiration pour de futurs visionnages ! J'ai lâché The Boys justement, parce que c'était beaucoup trop, dans tous les sens du terme, mais surtout beaucoup trop choquant et assez gratuit... Pas sûre de voir la dernière saison, qui sait, j'attendrais peut-être ton avis :D
Au fait, qu'as tu pensé de la dernière saison de Doctor Who ?