Quand j’ai été diagnostiquée comme ayant un trouble anxieux généralisé couplé à un PTSD (état de stress post traumatique en français), ça n’a pas vraiment été une surprise. En fait, ça faisait des années que je m’étais auto-diagnostiquée (vive l’autodiag1 !) et, comme pour le diagnostique d’épisode de dépression sévère, que j’ai eu en même temps, j’ai réagi en haussant les épaules et en demandant ce qu’on faisait maintenant que c’était officiel.
Depuis, des années de thérapie et de travail sur moi font que la dépression ne fait plus partie de ma vie et que le PTSD s’est bien calmé, ne déclenchant des crises qu’à certains moments spécifiques de l’année et quelques moments inattendus (souvent quand ça va mal pour une autre raison, le stress finit en général par réveiller les fantômes du passé).
Par contre, l’anxiété, elle, est toujours là. Moins forte qu’au pire de ma dépression, parce que forcément, les problèmes se multiplient entre eux plutôt que de juste s’additionner et qu’entre la dépression, le trouble anxieux et le PTSD, je passais mon temps à créer une boucle sans fin d’anxiété. Donc rien à voir avec quand je vivais 24/7 en attaque de panique, ça va beaucoup mieux et aujourd’hui je me demande comment j’ai réussi à survivre à cette période. Pour autant, mon trouble anxieux continue de me rendre la vie dure et de me demander pas mal de stratégies pour essayer de le gérer, l’apaiser ou le contourner. Je me suis faite à l’idée que ce serait sûrement le cas toute ma vie et j’arrive en général à faire avec.
Récemment, j’ai partagé sur bluesky une anecdote à propos de mon anxiété généralisée et j’ai eu plein de réponses de gens qui étaient très heureux de voir cette expérience partagée. Ça m’a fait réaliser qu’on n’en parle pas souvent, finalement, de ce trouble psy, et qu’il était sûrement temps de faire un article sur le sujet.
(Don’t Fear) The Reaper
On entend un peu tout et n’importe quoi à propos du trouble de l’anxiété généralisé (TAG). On entend que les attaques de panique sont aussi douloureuses qu’une crise cardiaque, le risque de mourir en moins. On entend que ces attaques de paniques viennent parce que notre cerveau croit qu’on est en danger de mort, voire qu’on est en train de mourir…. Et il y a la représentation fictionnelle du TAG qui rajoute une couche au bazar. Dans les films, les séries, les livres, on voit des personnages incapables de se contrôler pendant une crise, qui ont des symptômes très visibles, très impressionnants, qui n’arrivent pas à vivre leur vie…
Ces représentations fictionnelles d’ailleurs sont sûrement une des raisons qui font que pendant longtemps j’ai vécu avec un TAG sans comprendre que c’était le cas. Parce qu’en fait, mes attaques de paniques n’avaient rien à voir avec ce que je voyais à la télé. Parce que j’étais capable de vivre avec. Parce qu’à aucun moment je ne m’effondrais en larmes dans ma baignoire avec l’eau qui tombait sur moi et faisait couler esthétiquement mon maquillage (dites-moi que vous n’avez pas pensé à au moins une dizaine d’exemples de ce genre de scènes dans la fiction ?).
La réalité c’est que, comme souvent, la fiction tombe pas mal à côté en terme de représentations. Oui, les attaques de panique, ou l’anxiété, sont très dures à vivre. C’est hyper violent sur le corps, sur le mental, et on ne vit pas bien avec si on n’a pas quelques stratégies et/ou quand c’est une période de crise sévère. Mais ça n’est pas aussi mélodramatique que dans la fiction et plein de choses peuvent vraiment varier d’une personne à l’autre. Moi j’avais un travail, je faisais une formation, je faisais tout ce dont on attendait de moi au quotidien alors que j’enchaînais les attaques de paniques pour un oui ou pour un non. Bien sûr, ça n’aurait sûrement pas pu durer toute la vie comme ça, d’ailleurs je me suis effondrée, mais attention à ne pas manquer les symptômes parce qu’on est toujours relativement fonctionnel·le.
Si aujourd’hui je ne vis plus du tout l’anxiété de la même façon que je le faisais il y a dix ans, c’est bien parce que j’ai dû apprendre à la gérer. La thérapie m’a permis de comprendre d’où venait ce TAG, ce qu’il était en théorie, comment il s’exprimait en pratique pour moi, comment l’apaiser, comment le contourner si besoin, quels aspects de ma vie surveiller pour éviter de retomber dedans.
Un de mes problèmes avec l’anxiété c’est à quel point c’est facile de tomber dans un cercle vicieux. Et souvent pour pas grand chose. Par exemple, ouvrir un mail qui pourrait contenir une mauvaise nouvelle. Repousser peut-être une bonne stratégie, après tout je n’ai pas forcément de l’ouvrir dans la minute et je peux m’y préparer et faire en sorte d’être moins chargée émotionnellement quand je l’ouvrirai. Sauf que si j’attends trop, à un moment ça bascule et l’anxiété augmente à chaque fois que je pense au fait que je dois ouvrir ce mail.
D’une manière générale, procrastiner n’est pas une bonne idée. Ou en tout cas, trop procrastiner. Je peux ne pas attaquer une tâche tout de suite tant que je ne suis pas en retard. Mais dès que je sens que je suis en train de me mettre en difficulté, d’un coup cette tâche va devenir une montagne insurmontable. Et vraiment, je n’exagère pas quand je dis insurmontable, ça devient quelque chose de tout à fait irrationnel, de terrifiant et d’impossible.
Imaginons que je doive écrire un article pour ma newsletter. Tout va bien, j’ai dix jours d’avance, l’article ne me vient pas naturellement donc je me dis que je vais attendre un peu que ça décante… Et puis, d’un coup il reste deux jours pour écrire l’article et j’ai d’autres choses à faire et… Bon, pour n’importe qui c’est pas agréable. Pour moi, ça peut m’envoyer dans des attaques de panique voire des réactions tout à fait irrationnelles où je pourrais passer des heures à trouver une solution pour ne pas avoir à écrire l’article, ce qui me semble d’un coup impossible à faire, plutôt que de l’écrire.
Et ce qui est compliqué c’est que c’est loin de ne concerner que des choses importantes. Ce genre de cercles vicieux d’anxiété peut être créé par des broutilles. Il n’y a pas besoin d’y avoir un enjeux. D’ailleurs, en général les choses qui sont stressantes pour tout le monde ne me créent que rarement ce genre de réactions d’anxiété.
Heureusement, je me connais bien aujourd’hui et grâce à des années de travail sur le sujet, j’arrive en général à limiter les dégâts. On est loin du temps où je pouvais jeter un courrier qui m’angoissait parce que ça me semblait une meilleure solution que de l’ouvrir par exemple. Et je me connais assez aussi pour reconnaître quand je suis dans une période où le TAG s’agite un peu plus et qu’il faut que je sois très sérieuse dans l’application de mes routines et dans le fait d’affronter ce qui me stresse pour éviter de créer des bulles d’anxiété.
Under Pressure
Tout ça est évidemment plus difficile quand la période est stressante. En fait j’ai fini par comprendre que mon cerveau ne savait pas toujours faire la différence entre une situation stressante, une mise en danger, et une crise d’anxiété. Donc tout génère une crise d’anxiété quoi qu’il arrive (et oui, la crise d’anxiété génère elle-même de l’anxiété… C’est à dire que ma crise peut être déclenchée par un évènement et puis ensuite elle-même déclencher encore de l’anxiété par la suite… Quand je parle de cercles vicieux, c’est pas une blague !).
Ces derniers mois par exemple, avec mes problèmes au niveau professionnel et de santé, j’ai senti un vrai retour du TAG. Ces dernières années j’avais des périodes de crises mais aussi des périodes où je pouvais presque oublier que j’avais un TAG. Ces derniers mois, c’est redevenu quelque chose de constant, je suis constamment anxieuse, c’est redevenu mon niveau 0 par défaut. (bon j’en suis pas encore au stade de ma dépression où mon niveau par défaut était l’attaque de panique donc j’ai de la marge).
Alors je dois redoubler d’efforts pour gérer l’anxiété, ce qui est bien sûr aussi très fatigant, ça prend de l’énergie, du temps et m’oblige à une certaine rigueur qui peut paraître étrange de l’extérieur.
Une des choses avec lesquelles j’ai encore parfois des problèmes c’est de ne pas culpabiliser. Quand mon anxiété me rend incapable de gérer une situation correctement, ou me demande de faire des efforts qui paraissent absurdes pour une situation basique (genre passer la mâtiné à me préparer pour passer un coup de fil qui dure trois minutes), j’ai tendance à avoir honte. Parce que j’ai du mal à ne pas me dire que ce n’est pas comme ça que la plupart des gens vivent. Parce qu’une partie de moi a toujours l’impression que je devrais pouvoir juste arrêter d’avoir ces pensées et ces réactions physiques irrationnelles… ou que je devrais pouvoir forcer.
Bref, une partie de moi continue à avoir intégré le validisme et la psychophobie systémiques qui essaient de nous faire croire que les personnes qui ont des troubles psy font semblant, ou ne font pas assez d’effort, ou pourraient vivre comme tout le monde si elles le voulaient vraiment. Et ces dernières années j’arrive à un peu chasser cette culpabilité parce que je sais que c’est faux. Mais je suis encore obligée de me recadrer volontairement et de me demander “qu’est-ce que tu dirais à une amie à toi qui vivrait la même chose ?”. Et comme c’est toujours plus simple pour moi de ne pas juger les autres que moi-même, alors souvent cette question me permet de faire un pas de côté et de sortir de la culpabilisation (qui, vous l’imaginez, entretient encore ce cercle vicieux d’anxiété).
J’ai souvent eu peur d’en parler de ce TAG. Parce que je sais les représentations, les biais qu’ont les gens sur les troubles psy. Parce que je n’ai pas envie d’être vue comme quelqu’un de complètement irrationnel. Parce que je suis quelqu’un qui préfère gérer son TAG seule et que j’ai toujours peur que les gens viennent m’infliger de l’aide quand je partage ce que je vis. Mais je pense que c’est important d’en parler. Parce qu’il y a tellement de stigmates et tellement d’idées fausses sur la “santé mentale” (qui est déjà un terme qui me pose beaucoup question), que je trouve important que les personnes concernées puissent s’exprimer. Et puis, malgré tout, je vis avec ce TAG depuis l’adolescence et j’ai une vie plutôt chouette. Et j’avance tous les jours, j’apprends tous les jours à mieux le gérer, et je pense que c’est aussi important à dire. A l’époque où j’étais au pire au niveau santé psy, pouvoir accéder au témoignage de gens qui avaient vécu la même chose que moi mais avaient réussi à s’en sortir m’aurait beaucoup aidé.
On en reparlera sûrement dans un article un jour mais y a plein de ressources qui expliquent pourquoi considérer que l’auto-diagnostique n’est pas un outil pertinent est une erreur.
Merci pour le partage. Ça aide tout le monde de libérer la parole sur la santé psy
🫂 vraiment, ça aide de savoir qu'on ne traverse pas des choses similaires seul•es, à se sentir illégitime et passer parfois des après-midi à se dire les mêmes choses culpabilisantes qu'on ne dirait pas à ses ami•es