Je mâintĂ©resse au langage depuis trĂšs longtemps, je pense que ça vient du fait que jâaime lire, jâaime Ă©crire et je viens dâune famille qui trouve passionnant dâapprendre de nouveaux mots, de chercher des subtilitĂ©s de dĂ©finitions dans le dictionnaire ou dâapprendre de nouvelles expressions. Dâailleurs, aprĂšs le lycĂ©e je me suis lancĂ©e dans une licence Langue LittĂ©rature et Civilisation ĂtrangĂšre en anglais et jâai trouvĂ© ça passionnant.
Et en tant que fĂ©ministe, ça fait un moment que je suis convaincue par le principe du langage inclusif. Ăa ne mâa pas demandĂ© beaucoup de travail de recherche pour penser que câest un bon outil, mais il faut dire que depuis gamine âle masculin lâemporte sur le fĂ©mininâ me met en rage et je ne me sens pas reprĂ©sentĂ©e ou incluse quand on parle des âdĂ©veloppeursâ par exemple. Donc je nâavais finalement jamais trop creusĂ© la question, juste adoptĂ© les pratiques qui me semblaient logique, et câest tout. Mais dans une de ses confĂ©rences, Isabelle Collet a citĂ© un livre qui sâappelait Le cerveau pense-t-il au masculin ? (par Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel) et ça mâa donnĂ© envie de lire. Chose que jâai enfin faite, et que jâai envie de partager un peu avec vous.
Donât Speak
Bon on va Ă©vacuer tout de suite la rĂ©action Ă©pidermique : non je ne parle pas du point mĂ©dian. Bon, je parle potentiellement parfois du point mĂ©dian, mais pas que. Une des mauvaises comprĂ©hensions du langage inclusif est de le rĂ©duire au point mĂ©dian, qui nâest quâun de ses outils, et nâen est pas du tout le principal. Si vous lisez ma newsletter, vous savez quâil mâarrive dâutiliser le point mĂ©dian, mais vous devez aussi vous dire que je lâutilise avec parcimonie, mes textes restent lisibles. Câest parce que pour ĂȘtre inclusive dans mon langage, je peux utiliser tout un tas dâoutils, et jâutilise en gĂ©nĂ©ral le point mĂ©dian en dernier, quand aucune autre solution ne semble correcte dans le contexte.
Beaucoup de gens montent les boucliers dĂšs quâon parle de langage inclusif et se mettent Ă hurler (littĂ©ralement hein, vraiment je sais pas si vous avez dĂ©jĂ participĂ© Ă ce genre de discussion mais câest trĂšs violent pour une raison ou une autre) que le point mĂ©dian câest illisible et que dâABORD CâEST PAS INCLUSIF POUR LES PERSONNES HANDICAPĂES !!
Bon dĂ©jĂ , y a plein de handicaps qui nâinfluent pas du tout sur la capacitĂ© Ă lire avec du point mĂ©dian. Je suis handicapĂ©e et jâai aucun problĂšme Ă ce niveau. Bon il y a lâargument des troubles DYS (la dyslexie en tĂȘte mais pas que) qui est plutĂŽt valables, sauf que je connais des personnes dyslexiques qui en fait nâont aucun problĂšmes avec le point mĂ©dian (et dâautres qui mâont racontĂ© sây ĂȘtre habituĂ©es, comme elles sâhabituent au reste, avec plus de difficultĂ© que quelquâun qui nâa pas de trouble DYS mais sans que ce soit insurmontable). La rĂ©alitĂ© câest quâil nây a pas vraiment dâĂ©tude prouvant que le point mĂ©dian pose un problĂšme spĂ©cifique aux personnes avec trouble DYS. Mais il nây a pas vraiment dâĂ©tude qui montre que ça ne pose pas de problĂšme, donc lâargument nâest pas forcĂ©ment faux, mais il est plus interrogatif quâautre chose.
Il y a un autre argument qui tient un peu plus la route, câest celui des personnes qui utilisent des lecteurs dâĂ©cran (ces outils qui permettent aux personnes qui ne peuvent pas voir lâĂ©cran dâavoir les informations vocalement). Ces lecteurs dâĂ©crans ne sont pas au top sur la lecture du point mĂ©dian, il semblerait que ça sâarrange pour certains, et on peut espĂ©rer que ça finisse par ne plus ĂȘtre un problĂšme, mais pour le moment ça reste parfois problĂ©matique.
Ces arguments sont Ă prendre en compte et câest une des raisons pour lesquelles jâutilise le point mĂ©dian aussi peu que possible. Mais les personnes qui hurlent ces arguments sont, Ă©trangement, rarement concernĂ©es et font rarement elles-mĂȘmes des efforts pour amĂ©liorer lâaccessibilitĂ© des contenus, des lieux, pour les personnes handicapĂ©es. Cet argument est en fait pris comme sorte dâargument indiscutable (parce quâautrement ça veut dire quâon ne veut pas que les personnes handicapĂ©es puissent lire ! trop mĂ©chant !) pour clore la discussion par des gens qui ne veulent pas que le langage devienne plus inclusif.
Quoi quâil en soit, le point mĂ©dian câest un des nombreux outils du langage inclusif, on peut faire du langage inclusif sans jamais lâutiliser.
Ah ! Et vous avez remarquĂ© ? Je parle de langage inclusif et pas dâĂ©criture inclusive ! Ăa nâest pas une erreur de ma part. Si forcĂ©ment le langage amĂšne la question de lâĂ©criture, rĂ©duire ces discussions Ă lâĂ©criture est une erreur. Parce que tout ce qui passe Ă lâoral influe sur nos reprĂ©sentations autant que ce qui passe Ă lâĂ©crit. Notre communication ne se fait pas que dans lâĂ©crit. Donc, câest bien le langage quâil faut rendre inclusif, pas uniquement lâĂ©criture.
Et dâun coup, quand on prend un pas de recul et quâon parle de faire Ă©voluer le langage et pas que lâĂ©criture, on comprend pourquoi les discussions sont aussi Ă©nervĂ©es. La bataille de qui guidera lâĂ©volution du langage nâest pas une bataille nouvelle. Bien quâon essaie rĂ©guliĂšrement de nous faire croire que le langage est neutre, il nâen est rien bien Ă©videmment. Dâailleurs si on sâintĂ©resse un peu Ă lâhistoire du langage, il y a des choix trĂšs marquĂ©s qui sont politiques. Par exemple, supprimer tous les Ă©quivalents fĂ©minins des mĂ©tiers (autrice, doctoresse, professeuseâŠ) ne change rien au fait que les femmes continuaient Ă pratiquer ces professions. Par contre, on les a complĂštement invisibilisĂ©es, on a rendu le fait de parler de ces femmes trĂšs difficile, et donc effacĂ© toute une partie de lâhistoire.1
Le langage nâest pas neutre. Quand les fĂ©ministes ont rĂ©ussi Ă faire supprimer (en thĂ©orie parce que je lâai encore vu y a pas longtemps) le statut âmademoiselleâ des papiers administratifs, tout le monde a bien rigolĂ© en disant que VRAIMENT il y avait des combats plus importants et que changer le langage Ă©tait absurde, câĂ©tait comme ça et câĂ©tait tout. Dâailleurs, le livre parle de ce statut.
Ce qui est aussi intĂ©ressant, câest quâen français, une mĂȘme personne de sexe masculin peut ĂȘtre un âmariâ, mais elle peut Ă©galement ĂȘtre un âhommeâ. En revanche, le statut marital dâune femme dans le couple est toujours confondu avec le terme qui la dĂ©crit, car on parle dans les deux cas de âfemmeâ. Notons que notre sociĂ©tĂ© patriarcale semble ĂȘtre trĂšs concernĂ©e par le statut marital des femmes, comme lâatteste la fĂȘte de la Sainte-Catherine - fĂȘte qui cĂ©lĂšbre les femmes de 25 ans qui ne sont pas encore mariĂ©es (quel est le pendant masculin ?) - ou le terme mademoiselle utilisĂ© encore aujourdâhui pour parler dâune femme qui nâest pas mariĂ©e.
Et si vous croyez encore que tous ces choix nâont jamais Ă©tĂ© pensĂ©s, quâil sâagit juste dâune Ă©volution naturelle du langage⊠Vous vous rappelez le fĂ©minin qui lâemporte sur le masculin ?
Par exemple selon Nicolas BeauzĂ©e, grammairien du XVIIIe siĂšcle : âLe genre masculin est rĂ©putĂ© plus noble que le fĂ©minin Ă cause de la supĂ©rioritĂ© du mĂąle sur la femelle.â
Talk Dirty To Me
Le livre est vraiment trĂšs bien Ă©crit, facile Ă lire et orientĂ© vers les solutions, ce que jâai apprĂ©ciĂ©. Il donne aussi plein de petites expĂ©riences Ă faire avec ses proches qui, Ă mon avis, pourraient vraiment aider Ă convaincre les gens qui sont persuadĂ©s que leur langage nâest pas sexiste. Il explique aussi de façon trĂšs claire comment le langage influence les reprĂ©sentations de notre cerveau et je vous conseille vraiment de le lire pour bien comprendre tout ça.
Ce que jâavais surtout envie de partager avec vous ce sont les solutions pour rendre son langage moins sexiste, plus inclusif. Comme souvent dans les dĂ©marches pour ĂȘtre plus inclusives et inclusifs, ça ne veut pas dire quâune fois que vous aurez mis ces choses en place il nây aura plus rien dâautre Ă faire, mĂȘme au niveau seul du langage. On est dans une sociĂ©tĂ© trĂšs excluante, avec beaucoup dâoppressions, câest pas deux trois changements dâhabitudes dans votre langage qui va tout changer.
Par contre, je suis persuadĂ©e, et le livre lâexplique bien que 1) ce sont des leviers quâil faut utiliser et 2) on ne changera pas notre sociĂ©tĂ© sans changer notre langage. Donc, au boulot, avec quelques points que jâai particuliĂšrement retenus et qui Ă mon avis sont un premier bon Ă©lagage des habitudes sexistes de notre langage.
Le gĂ©nĂ©rique masculin nâexiste pas. Pas pour notre cerveau en tout cas. Il va mobiliser des idĂ©es en relation avec le masculin spĂ©cifique et pas le masculin quâon appelle parfois âneutreâ. Si je dis âles balayeursâ, votre cerveau va imaginer un groupe dâhommes, puisque câest au masculin. On peut essayer dâutiliser le neutre quand câest possible (iel par exemple) mais ça reste compliquĂ© parce que notre cerveau ne comprend pas ce neutre, il nous faudra du temps pour nous y habituer (par ailleurs y a pas vraiment de rĂšgles grammaticales claires donc souvent ça reste un peu confus). Ma solution est dâĂ©viter au plus le gĂ©nĂ©rique masculin en mettant en relief dans ma phrase quâil y aussi des femmes dans le groupe (avec des outils diffĂ©rents selon les contextes).
Lâutilisation de doublets aide Ă rendre les reprĂ©sentations plus inclusives. Au lieu de dire âles Ă©tudiantsâ pour reprĂ©senter un groupe mixte, qui fera sentir un sentiment dâexclusion aux femmes, je peut dire âles Ă©tudiantes et les Ă©tudiantsâ, câest un doublet. Ăa peut paraĂźtre une perte de temps mais de nombreuses Ă©tudes montrent que ça un rĂ©el impact sur les reprĂ©sentations et le sentiment dâinclusion des femmes.
Lâordre de mention nâest pas anodin. En faisant des doublet (mesdames et messieurs par exemple), on a tendance Ă ne pas rĂ©flĂ©chir Ă quel ordre on choisit. Dans certains manuels de langage inclusif, on nous encourage Ă choisir lâordre alphabĂ©tique (âfilles et garçonsâ, âdĂ©veloppeur et dĂ©veloppeuseâ). HonnĂȘtement lâidĂ©e de rĂ©flĂ©chir Ă lâordre alphabĂ©tique Ă chaque fois me semblait Ă©puisante donc jâai rapidement pris lâhabitude de faire plutĂŽt fĂ©minin puis masculin, principalement parce que jâavais lâimpression que quand je faisais masculin puis fĂ©minin, ça donnait lâimpression que je dĂ©crivais la gĂ©nĂ©ralitĂ© puis lâexception (âdĂ©veloppeurs et dĂ©veloppeusesâ par exemple me fait vraiment cette impression). Et bien, le livre (et les Ă©tudes scientifiques quâil cite) me donne raison ! Naturellement, on citera dâabord ce quâon considĂšre comme le plus important. Du coup, dans une sociĂ©tĂ© patriarcale, choisir de mettre en avant les femmes pour les dĂ©sinvisibiliser a du sens, et donc je continuerai Ă faire dans ce sens.
On peut aussi utiliser les formes contractĂ©es des doublets. Par exemple : âlecteuricesâ au lieux de âlectrices et lecteursâ. Cette façon de formuler est particuliĂšrement utile dans les cas oĂč on est limité·es dans le nombre de caractĂšres (les rĂ©seaux sociaux par exemple). Personnellement, jâai toujours adorĂ© inventer des mots et je trouve que certains mots en forme contractĂ©es sont vraiment trĂšs cool. Lecteurices fait partie de mes prĂ©fĂ©rĂ©s dâailleurs. Je pense vraiment quâil y a une piste intĂ©ressante de ce cĂŽtĂ© là ⊠(mais jâĂ©vite dâen abuser parce que les gens ne trouvent pas toujours ça clair, et le but premier du langage est quand mĂȘme de communiquer)
Lâutilisation de formulation neutres peut aussi aider. Par exemple, au lieu de dire âles directeursâ, on peut dire âla directionâ, qui du coup ne mobilise pas automatiquement une image masculine. Ăa ne marche pas dans tous les contextes mais ça peut ĂȘtre pertinent parfois.
Lâaccord de proximitĂ© est bien pratique. Lâaccord de proximitĂ© câest quelque chose quâon fait naturellement mais quâon (en gĂ©nĂ©ral) nâa pas vraiment appris. Pourtant, grammaticalement câest correct. Si je dis âjâai de beaux neveux et niĂšcesâ, je fais un accord de proximitĂ© et câest correct. On nâest pas ici dans un masculin pluriel gĂ©nĂ©riques, je pourrais dire âjâai de belles niĂšces et neveuxâ. Et bien sĂ»r ça marche avec lâadjectif aprĂšs le nom : âLes pantalons et les jupes que jâai achetĂ©es la semaine derniĂšre sont dans mon armoire.â est correct. Alors moi jâaime beaucoup lâaccord de proximitĂ©, mon seul problĂšme câest que comme je fais passer les femmes avant dans mes doublets, bah, jâaccorde donc avec le masculin en proximitĂ© et on dirait du masculin gĂ©nĂ©rique⊠Donc ça nâest pas trĂšs efficaceâŠ
Talk That Talk
Bon y a dĂ©jĂ de quoi faireâŠ
⊠Sauf quâil y a plein dâautres choses Ă changer dans notre langage parce que⊠Je sais pas si vous avez remarquĂ© ? Je parle de langage inclusif, pas de langage anti-sexiste. Donc il nây a pas que la question du genre Ă prendre en compte. Et oui, notre langage influe aussi sur nos reprĂ©sentations et nos biais racistes, classistes, lgbtqia+phobes, antisĂ©mites, islamophobes, validistes, grossophobes, etc⊠Et donc il va y avoir plein de choses Ă travailler sur ces questions aussi.
Il y a dâailleurs une super sĂ©rie dâarticles sur le sujet qui vient dâĂȘtre lancĂ©e par Thea sur la PremiĂšre Ligne, le magazine fĂ©ministe que nous venons tout juste de lancer. Je vous conseille son premier article, il est vraiment trĂšs bien.
Le genre câest dĂ©jĂ un gros nettoyage Ă faire dans notre langage parce que, particuliĂšrement avec une langue trĂšs genrĂ©e comme la nĂŽtre, câest constant. Mais il va aussi falloir travailler notre langage sur comment on parle du handicap par exemple. Sur les insultes quâon utilise, pour quâelles ne soient pas oppressives. Sur les expressions, pour Ă©viter quâelles soient excluantes⊠Sur notre humour ! Bref, sur tous les aspects de notre communication pour la rendre vraiment inclusive.
Ăa nâest pas le sujet du livre et clairement ça nâest pas la place pour se lancer dans un sujet aussi vaste, mais on va commencer par un petit exercice : trouvez une insulte qui ne soit pas sexiste, putophobe, lgbtqia+phobe, validiste, raciste, classiste (etc), bref, une insulte du langage courant qui ne soit pas oppressive. Vous en trouvez ? Vous ĂȘtes vraiment sĂ»r·e ? Vous ĂȘtes allé·e voir lâorigine de lâinsulte, vous risqueriez dâavoir des surprises !
En primaire jâĂ©tais dans une Ă©cole baptisĂ©e âMme de SĂ©vignĂ©â et on nous apprenait un peu qui câĂ©tait et pourquoi notre Ă©cole avait son nom. Je me souviens quâon nous avait appris quâon devait dire que câĂ©tait une âfemme de lettresâ parce que le fĂ©minin dâauteur, dâĂ©crivain, nâexistait pas. CâĂ©tait les annĂ©es 1990 et ça mâavait profondĂ©ment choquĂ©e. Je trouvais que âfemme de lettresâ ne voulait pas dire la mĂȘme chose quâĂ©crivain ou auteur. Dâailleurs je me souviens que jâavais une vision assez vague de ce quâelle avait fait dans sa vie, je garde un souvenir dâune femme dont câĂ©tait le hobby dâĂ©crire, pas le mĂ©tier comme un Jules Verne par exemple, le nom de lâĂ©cole dâĂ cĂŽtĂ© !