J’avais prévu un tout autre thème de newsletter cette semaine (à propos de comment on est dépossédées de l’espace public en tant que femmes), mais j’ai vécu une expérience qui m’a inspirée et donné envie de changer mon programme. (c’est pour ça que je n’annonce pas mon programme éditorial à l’avance, une fois sur deux ça change…)
Cette semaine j’ai subi de l’aide infligée. De façon très désagréable, quoi que virtuelle, et ça m’a fait perdre beaucoup de temps et d’énergie. Ça a aussi complètement fait dérailler une discussion où, à la base, je demandais de l’aide, et donc a failli en plus du reste m’empêcher d’avoir de l’aide sur le sujet où j’en demandais. Ça m’a beaucoup énervée, et j’ai mis quelques jours à redescendre. Et aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous cette expérience, et mes pensées sur l’aide infligée et, surtout, comment ça fait des années que je travaille le fait de ne plus infliger mon aide.
With a Little Help From My Friends
Pour celleux qui ne sont pas famillier·es avec le concept, l’aide infligée est exactement ce qu’on peut imaginer quand on lit le nom : le fait d’imposer son “aide” à quelqu’un, de façon unilatérale, sans demander le consentement. En général, ça amène une “aide” qui au mieux est inutile, au pire devient nocive, voire dangereuse.
Cette semaine j’ai posté un message sur BlueSky (réseau social du même type que twitter), demandant si on pouvait me donner des pistes d’entreprises en télétravail total, ou qui l’acceptaient, pour ma recherche de travail. J’ai expliqué que c’était, en gros, mon seul critère rigide dans ma recherche du moment. Très vite, plusieurs personnes m’ont demandé pourquoi c’était un critère rigide et, de façon un peu naïve, j’ai dit la vérité : qu’avec mon handicap le présentiel, ou même l’hybride, n’était plus possible pour moi.
A partir de ce moment, j’ai été envahie de réponses de personnes me disant ce qu’il fallait que je fasse. Je vous passe la discussion complètement perchée avec un inconnu qui essayait de me faire culpabiliser d’exiger de ces pauvres entreprises qu’elles me laissent télétravailler, comme si j’étais celle qui avait le pouvoir dans la relation et comme si le télétravail n’était pas source de plus de productivité et de moins de coûts… (et, petite pépite, ce type était en télétravail total depuis des années…) Par contre, plusieurs personnes m’ont parlé de RQTH (Reconnaissance de Qualité Travailleur·euse Handicapée) une reconnaissance administrative du handicap qui peut permettre d’avoir des aménagements de postes, et quelques autres potentiels avantages.
Bon, oui, la RQTH en théorie c’est pas une mauvaise idée. J’ai d’ailleurs, remercié de la proposition, et expliqué sans entrer dans les détails (qui ne regardent que moi) que pour l’instant ça n’était pas une solution adaptée à ma situation. Sauf que, attention, toutes ces personnes savaient bien évidemment mieux de moi ce dont j’avais besoin et connaissaient bien sûr mieux et ma situation et le processus d’attribution de RQTH et la question de la discrimination des travailleur·euses handicapées.
Donc ces personnes ont insisté. Lourdement. Pendant des échanges super longs. Et plus j’expliquais ma situation (une erreur de ma part, je ne la referai plus), plus ces personnes insistaient et me donnaient des conseils qui n’avaient absolument aucune pertinence vu ma situation. J’ai eu quand même eu le droit à quelques pépites comme :
La RQTH ça peut s’avoir très vite !
Tu devrais te faire embaucher en présentiel, faire ta RQTH et ensuite forcer le télétravail total
Avec la RQTH, ils sont obligés de te donner du télétravail total
Et quand, j’amenais les arguments contraires, ça ne changeait rien, j’avais tort, ils savaient plus que moi, malgré des arguments quand même rationnellement plutôt corrects :
Alors oui, mais je suis dans un cas où y a peu de chance que j’arrive à faire accélérer le processus et de toute façon ça se compte quand même en semaines, et j’ai pas ce temps. Sans compter que j’ai un gros problème pour trouver un médecin qui me fasse les documents puisque je suis dans une région terrible à ce niveau.
Bah non puisque je ne tiendrai pas une semaine en présentiel, encore moins plusieurs mois (ça peut dépasser six mois l’attribution de la RQTH une fois le dossier envoyé et encore fois le mien n’est même pas finalisé). Et en plus bonjour l’ambiance quand on fait ça.
Alors non. Avec la RQTH, ils sont obligés de faire les adaptations que ma RQTH préconise. Mais ils sont pas obligés de m’embaucher. Et même s’ils sont sensés ne pas discriminer sur ce critère, allez prouver la discrimination hein. Voir les chiffres de chômage et de précarité chez les personnes handies. C’est pas pour rien que beaucoup n’utilisent même pas leur RQTH.
Bon, j’ai aussi fini par m’entendre dire “oui mais moi si je suis employeur et que je vois une demande de télétravail total sans RQTH je trouve ça louche” et d’autres trucs du genre complètement déconnectés de la réalité. Oui le télétravail total c’est rare. Il y a eu un gros recul depuis la “fin”1 du covid. Mais ça existe encore, il y a des entreprises qui sont complètement en télétravail (c’est d’ailleurs ce que je vise, histoire d’éviter de m’entendre dire dans six mois qu’on retourne aux bureaux). Et de toute façon, c’est une demande recevable. Encore une fois, je trouve très bizarre qu’autant de personnes réagissent comme si j’étais en train d’imposer quelque chose à une entreprise, comme si c’était moi en position de pouvoir et l’entreprise dominée. Il y a un inversement des enjeux de pouvoirs liés à la recherche d’emploi qui me fascine dans ces échanges que j’ai eus.
Bref. Du coup j’ai fini par bloquer plusieurs personnes et mettre fin rapidement dès que quelqu’un me parlait encore de RQTH parce que du coup personne ne me répondait sur ma demande de base, à savoir des pistes pour trouver des entreprises en télétravail total qui recrutent (un des mecs qui m’a tenu la jambe pendant des heures pour me forcer à faire un RQTH, quand j’ai fini par lui dire qu’il ne répondait pas à ma demande de base et lui rappeler ce qu’elle était m’a répondu de chercher sur google…).
Quelques jours plus tard, remise de mes émotions, je poste de nouveau sur bluesky un petit message demandant aux asthmatiques s’iels ont aussi ce truc que j’ai depuis l’enfance : en hiver avoir des gènes respiratoires/débuts de crises d’asthme tous les soirs. Et devinez quoi ? On m’a répondu en m’expliquant comment gérer mon asthme. Que des réponses basiques déjà, que clairement en bientôt 37 ans d’asthme sévère, je connais. Mais on m’a aussi dit encore une fois des choses pas du tout adaptées à ma situation, comme : faire du sport (bah avec le covid long, c’est vraiment un très mauvais conseil en l’occurrence, dangereux pour ma santé).
Ça a duré moins longtemps, j’ai vite coupé court et le sujet intéressait moins de gens. Mais c’était exactement la même réaction. Et je me suis dit que ça n’était pas surprenant finalement, dans les deux cas je parlais de mon handicap. Et s’il y a une chose que les gens aiment faire, c’est infantiliser les handicapé·es et leur infliger leur aide. D’ailleurs, il y a beaucoup de témoignages de personnes utilisant des fauteuils roulants par exemple qui racontent comment les gens les poussent d’un endroit à un autre sans leur demander, et souvent leur font mal, les blessent ou endommagent le fauteuil (sans parler des agressions quand iels refusent l’aide).
L’aide infligée ne concerne pas que les personnes handicapées mais plus on infantilise quelqu’un, plus on aura tendance à lui imposer de l’aide non-consentie et l’un des biais validistes les plus répandus et les plus violents est l’idée que les handicapé·es ne sont jamais vraiment des adultes.
(Everything I Do) I Do It for You
La première fois que j’ai entendu parler du concept d’aide infligée, sans qu’on m’en donne le nom, c’était quand j’étais en formation d’éducatrice spécialisée. Dans l’école où j’étais on avait la chance d’avoir régulièrement des intervenantes et intervenants extérieurs qui venaient nous parler de leurs expériences pendant une demi journée. Souvent des professionnels mais aussi des personnes concernées.
Un jour, c’est un monsieur aveugle qui était venu nous faire une intervention. Il était très intéressant et nous a parlé de tout un tas de choses, en une demi journée j’ai eu l’impression d’apprendre plus sur la vie des personnes aveugles que j’en avais appris toute ma vie. Et à un moment, il nous a dit qu’un des trucs les plus dangereux pour lui, c’étaient les gens qui l’aidaient sans lui demander son accord.
Depuis Amélie Poulain, il nous racontait qu’il avait vécu plusieurs fois des scènes complètement hallucinantes où des gens le prenaient par le bras et lui faisaient faire un bout de chemin sans jamais lui demander quoi que ce soit, mais en lui narrant tout ce qui se passait autour… Mais même avant ça, les gens avaient tendance à le prendre par le bras sans rien dire, à le tirer quelque part, à le forcer à aller dans un sens plutôt qu’un autre. Et plusieurs fois, il s’était perdu à cause de ça, puisque la personne lui avait enlevé tous ses repères… Ou il s’était carrément blessé.
L’idée que des gens fassent ça me paraissait complètement hallucinant. Jamais de ma vie j’irai prendre quelqu’un par le bras sans rien demander pour l’amener on ne sait où. J’étais profondément choquée et j’avais été le voir à la fin de l’intervention pour lui dire que j’avais l’impression que c’était une agression… Et il m’avait confirmé que oui, mais que quand il utilisait le mot agression, les gens refusaient de l’écouter.
C’était au tout début de ma formation. Et ça m’a fait me poser plein de questions. Quand on est travailleuse sociale, on se retrouve face à des publics fragilisés, souvent appartenant à des groupes marginalisés, et on a une certaine autorité face à eux. Un de mes formateurs préférés à l’école essayait de nous faire comprendre ces enjeux de pouvoir, et de faire très attention à ne pas en abuser. Et toutes ces questions pour moi sont vite devenues centrales dans ma pratique.
Pour moi, quand quelqu’un a besoin de mon aide, il y a deux cas possibles :
La personne est en train de mourir et ne peut pas me donner son consentement. Alors je prends la décision d’aider sans, de la sauver, parce qu’il n’y a pas vraiment le choix.
La personne n’est pas en danger de mort immédiate. Alors c’est à elle de me dire ce dont elle a besoin, d’accepter ou non mes propositions d’aide.
Jamais je n’irai infliger mon aide. Jamais je n’irai dire à quelqu’un comment iel doit gérer une situation. Je propose mon aide, je propose mon avis, et la personne en prend ce qu’elle veut.
Il y a beaucoup de problèmes avec le travail social dans notre société. Et j’ai fini par en partir en grande partie parce qu’on me demandait de ne plus suivre les principes qui pour moi étaient les fondations de l’accompagnement social :
Accompagner c’est marcher avec. On chemine avec la personne qu’on accompagne, à côté d’elle, ni devant à la tirer, ni derrière à la pousser. C’est elle qui parcourt son chemin, on est là pour l’accompagner et lui permettre d’accéder des outils, des solutions qu’elle n’aurait pas forcément trouvés par elle-même. Mais c’est elle qui prend les décisions.
Nous sommes les expert·es de notre vie, de notre corps, de nos spécificités et de nos contextes. Je ne connais jamais mieux une situation que la personne que j’accompagne. Je peux lui apporter des éclairages différents, je peux l’aider à comprendre certaines choses, à dénouer certains nœuds, mais jamais je ne sais mieux qu’elle ce qu’elle vit, ressent, est.
Pour moi il est super important de ne pas oublier qu’apporter de l’aide à quelqu’un… C’est pour la personne, pas pour soi. Toutes ces personnes qui infligent leur aide sans jamais vraiment reconnaître la personne qui est en face, sans jamais demander ce dont elle a besoin, voire en refusant d’écouter ce que la personne dit, ne le font pas par altruisme. Quand on annule la personne qu’on aide, on n’est pas dans une démarche bienveillante ou empathique. On est dans une démarche auto-centrée. On veut être la sauveuse, le sauveur. On veut avoir raison, on veut savoir. On veut apporter notre aide. On ne cherche pas à vraiment aider.
Et y a plein de raisons d’être dans cet état d’esprit. Attention, je ne dis pas que toutes les personnes qui infligent de l’aide le font pour des raisons horribles et sont des monstres. Mais les raisons concernent les personnes qui infligent leur aide, alors que quand on aide quelqu’un, ce qui compte c’est la personne qu’on aide.
Beaucoup de gens ne supportent pas de ne pas proposer des solutions quand on leur évoque un problème. Du coup, elles infligent une aide qui n’est pas adaptée (le mec qui me dit de faire du sport pour mon asthme) et qui n’est pas demandée (me parler de la RQTH quand je demande des pistes pour des entreprises en télétravail total) et qui parfois peut être dangereuse (quand les gens poussent des personnes qui utilisent des fauteuils roulants sans leur demander et les blessent). Sauf qu’en fait, il vaut mieux pas d’aide qu’une aide inutile voire dangereuse.
En bonus : une vidéo d’une conférence faite par Julie Quillé et Romeu Moura sur l’aide infligée, principalement dans le milieu professionnel mais pas que, que j’ai vue live il y a quelques mois à un autre évènement et que j’ai trouvée très cool.
Pour rappel : le covid n’est pas fini, il n’est même pas particulièrement calmé. Y a pas eu de fin de covid. Y a eu une fin de “on prend le covid en compte”. D’ailleurs, c’est une des raisons pour lesquelles le télétravail total n’est pas négociable pour moi. Plus de masque en entreprise, plus d’arrêt pour le covid. C’est le genre de roulette russe à laquelle je ne peux pas jouer (et vous ne devriez pas non plus, parole de covid long !).