Cette semaine je me suis encore énervée sur LinkedIn. A chaque fois, je me dis que je ne le referai plus, que ça ne sert à rien… Et à chaque fois, je n’arrive pas à m’en empêcher. Je suis quand même plutôt fière de moi parce que, cette fois, je me suis énervée sans donner de visibilité à la personne qui m’a énervée. J’ai fait un “subtweet” (bon ça c’était le terme sur twitter mais s’il y a un terme plus général, je ne le connais pas), c’est à dire que j’ai fait un post sur linkedin qui référençait un autre post sans mettre le lien. Donc je n’ai pas nourri l’algorithme et permis à la personne qui faisait son badbuzz (tout à fait stratégique dans ce coin) d’avoir plus de vues. Pour moi c’est une façon plus matûre et éthique d’utiliser les réseaux sociaux.
Je reparlerai très prochainement de cette question de l’utilisation des réseaux sociaux en particulier, des communautés web en général et de comment ma position a évoluée en vingt ans d’utilisation quotidienne du web très prochainement… Non, vraiment, très bientôt. En décembre, pour les 24 jours de web. Je vous donnerai le lien quand ça sortira.
En attendant, cette situation m’a donné envie de m’attaquer à un sujet dont je pense qu’il faut qu’on parle, mais que je repoussais un peu parce que c’est un sujet clivant et qui demande de pas l’écrire à l’arrache en espérant que les gens comprendront : la non-mixité. Mais tout particulièrement, la non-mixité de genre, puisque c’était ce qui était remis en question dans cette situation.
Le contexte
Les études montrent que les femmes sont moins visibles sur LinkedIn, qu’elles ont plus de mal à se créer un public et qu’elles sont moins mises en avant. Une femme a créé un challenge afin d’aider les femmes à acquérir de la visibilité et donc de développer leur marque sur ce réseau social professionnel. Ce challenge se passait cette semaine, du 13 au 17 et poussait les femmes à poster un post par jour, avec chaque jour des conseils sur comment faire de bons posts linkedin. Bien évidemment, ce challenge était en non-mixité, puisqu’il s’agissait d’aider les femmes à se positionner sur ce réseau…
Bien évidemment, hein ?
Il ne viendrait à l’idée d’aucun de mes lecteurs masculins d’exiger avoir leur place dans ce challenge, hein ? Dites-moi que chers lecteurs vous comprenez bien pourquoi la non-mixité ici était tout à fait cohérente et vitale au projet ?
Non parce que visiblement ça n’était pas clair pour tout le monde. Un homme a d’ailleurs fait un long post linkedin, expliquant qu’il participerait au projet parce que d’abord il était féministe et voulait soutenir les femmes. Non, non, je ne caricature pas, c’était son argument principal. Pour soutenir les femmes à avoir plus de visbilité… Il avait décidé d’aller prendre un peu de place. Moi c’est pareil, quand je veux soutenir les personnes âgées dans les transports, je prends leur place assise.
Et il n’y avait aucun malentendu. Il savait très bien que ce challenge était réservé aux femmes mais avait décidé qu’il avait quand même le droit de le faire. Tourné de façon très rigolote, son post était en fait d’une violence incroyable. D’ailleurs très vite des commentatrices et commentateurs lui ont demandé s’il comprenait la notion de consentement. Parce que dire “je sais qu’on ne veut pas de moi mais je viens quand même”, en terme de non-respect du consentement c’est quand même assez incroyable. D’ailleurs la prochaine fois que mes voisins font une fête, je débarquerai avec un grand sourire et je leur dirai “je sais que vous ne voulez pas de moi mais je viens quand même !”, visiblement c’est un comportement acceptable.
Ce qui était intéressant c’est que, contrairement à ce qui se passe souvent, il ne remettait pas en question ce qui était dit sur la discrimination ou le sexisme que les femmes subissent. Il faisait quelque chose d’encore plus vicieux : il disait qu’il était d’accord avec les constats, et que pour lutter contre, bah il allait prendre la place de femmes dans un challenge qui leur était réservé. Incroyable.
La “bonne” non-mixité
Incroyable… Incroyable… Peut-être si vous n’êtes pas habitué·es à vous confronter à l’organisation d’évènements/réunions en non-mixité ou même juste à parler de cet outil, mais en vrai, personnellement je n’ai eu aucune suprise qu’un homme agisse de cette façon. D’ailleurs, dans les milieux militants il y a une blague qui tourne qui est : “comment être sûre d’avoir des hommes à une réunion sur des enjeux féministes ? “ “Dire que la réunion est en non-mixité.” (Il y a d’ailleurs un comics super marrant où on voit un homme passer devant un porte où il y a écrit “réunion de lutte contre le sexisme” et l’ignorer, puis tambouriner à la même porte quand il est ajouté “en non-mixité”).
Bref, vous voyez un peu le principe. A la décharge de ces hommes (remarquez comme je fais subtilement du not all men !), je pense que c’est assez humain de ne pas très bien prendre le rejet, et de prendre le fait d’avoir un espace qui nous est refusé comme une sorte de rejet. Ca n’excuse pas toutes les réactions, mais je peux comprendre que des hommes qui ont envie d’être alliés de l’anti-sexisme ne comprennent pas pourquoi ils n’auraient pas accès à certaines discussions. C’est pour ça qu’il est important de faire un travail de pédagogie pour expliquer l’intérêt de l’outil et aussi apprendre un peu aux personnes à désengager leur égo de cette situation. En tant qu’alliée de la lutte anti-raciste, par exemple, j’ai appris à ne pas prendre pour moi le fait que toutes les conversations ne m’étaient pas ouvertes. Trouver sa place en tant qu’allié·e d’une lutte sociale ça n’est pas toujours évident mais c’est important d’écouter les concerné·es et si vous ne balayez pas de la main le concept de consentement (comme cet homme l’a fait), vous devriez vous en sortir.
Le plus drôle dans tout ça c’est que les hommes n’ont aucun problème avec la non-mixité. La société n’a aucun souci avec la non-mixité… Tant que c’est la bonne. Pas de femme dans une réunion de PDG des plus grosses entreprises de France ? Ca ne pose aucun problème. Pas de femme au programme d’une convention tech ? Normal ! Un challenge réservé aux femmes pour contrer la discrimination ? D’un coup là, il faut absolument de la mixité PARTOUT, autrement c’est MAL.
La non-mixité ne dérange que quand elle est imposée par les dominé·es en vue de l’utiliser comme outil d’émancipation, tant qu’elle est utilisée pour maintenir le statu quo par les dominant·es1, là oui pas de souci.
La non-mixité comme outil d’émancipation
L’un des objectifs de base de la non-mixité, c’est de pouvoir libérer la parole. Etre entre personnes concernées par un problème permet d’avancer beaucoup mieux sur comment trouver des solutions à ce problème. D’ailleurs, c’est comme ça que dans les réunion syndicales on n’invite pas les patron·es. C’est déjà de la non-mixité, sauf que l’axe n’est pas le même.
De la même façon, les groupes de thérapie sont de la non-mixité. Les Alcooliques Anonymes par exemple, sont des réunions destinées aux personnes ayant besoin d’aide pour lutter contre la dépendance à l’alcool. Si vous n’avez pas ce problème, que vous allez à cette réunion, soit pour écouter, soit pour partager, vous détruisez la non-mixité et créez un environnement où la parole n’est plus aussi libérée.
Si un homme vient dans une réunion de femmes parlant des violences sexistes et sexuelles, même si l’homme vient de façon “bienveillante”, en voulant comprendre ces enjeux, et apporter son aide, la parole sera forcément censurée.
Mais pire que ça, la parole sera volée. Parce que les dominant·es, quel que soit l’axe de domination sur lequel on se trouve, prennent toujours plus de place et son habitué·es à ce que cette place leur appartienne. Faites une réunion anti-raciste en mixité d’ethnie et comptez les temps d’intervention. Si la réunion n’est pas modérée, selon des règles strictes et travaillées en amont, ce sont les personnes blanches qui prendront le plus la parole. C’est pareil avec les hommes dans les réunions en mixité de genre. D’ailleurs, il y a des tas d’études qui montrent que c’est le cas en entreprise, dans les associations… Les hommes prennent la place et les femmes leur laissent, parce qu’on est socialisé·es comme ça et que c’est un schémas dans lequel on retombe naturellement quand on ne met pas en place des règles pour l’éviter.
De plus, la non-mixité veut dire qu’il va falloir faire avec la fragilité des dominant·es et ça prend beaucoup de temps et d’énergie, qui feraient mieux d’être investis dans la lutte. Quand on est entre personnes handicapées, on n’a pas besoin d’expliquer ce qu’est le validisme, quand on partage une anecdote, on comprend tout de suite pourquoi c’était du validisme, tout ce temps n’est pas perdu à expliquer, on part sur les mêmes bases, du coup on avance plus vite. Si vous ajoutez des valides dans le groupe, tout de suite il faut expliquer. Il faut ajouter du travail de pédagogie. Et donc ça ralentit les avancées.
Personne (ou presque) ne dit qu’il faudrait uniquement de la non-mixité. On est okay avec le fait d’avoir du travail de pédagogie à faire avec les personnes qui appartiennent au groupe qui nous domine. Mais il y a un lieu pour tout, et certains moments ont besoin d’être dédiés à d’autres choses qu’à convaincre les dominant·es que les enjeux sont réels. En tant que personnes appartenant à des groupes marginalisés, on passe notre temps à faire de la pédagogie, avoir des espaces en non-mixité c’est aussi avoir des espaces où on peut exister sans avoir à se justifier continuellement.
Si une personne appartenant au groupe dominant force l’entrée d’un espace en non-mixité, c’est très violent. Ce que cet homme sur LinkedIn a fait, c’est une attaque. Il ne l’a pas ressenti comme ça, il ne l’a sûrement pas voulu comme ça (même si vu le temps qu’il a mis à comprendre ce qui lui était repproché, je ne suis pas sûre qu’il soit l’allié qu’il pense être), mais c’est l’impact qu’il a eu. Dans les milieux militants ont dit que l’impact et l’intention sont deux choses différentes. Quelque part, je me fiche de savoir quelles étaient les intentions de cet homme (quoi que je suis à peu près sûre qu’il savait ce qu’il faisait), l’impact c’est qu’il a forcé les portes d’un endroit non-mixte et qu’il a fallu une journée pour qu’il change d’avis et admette que cet espace ne lui appartenait pas. Imaginez si je débarque chez vous et que je m’approprie votre chambre pendant 24h. Est-ce que vous allez me remercier de vous la redonner ensuite ?
Les personnes appartenant à des groupes minorisés sont obligées de se créer leurs espaces pour chercher des moyens de s’émanciper, pour avoir des espaces où ne pas subir la domination qu’elles subissent quotidiennement, pour se préserver de la violence que la mixité peut provoquer lorsqu’on est la personne dominée. La seule chose qu’elles demandent aux personnes dominantes c’est de ne pas forcer l’entrée de ces espaces… Une demande simple qui pourtant semble parfois impossible à respecter pour les personnes dominantes.
Vous remarquerez que j’ai mis “dominant·es” et pas “dominants”. Dans le cas précis, on parle de non-mixité de genre dans le cadre de la lutte anti-sexiste, mais la non-mixité est aussi utilisée contre le racisme,, contre la transphobie, contre le validisme par exemple, où la mixité se trouve sur d’autres axes (blanc·he/racisé·é, valide/handicapé·e, trans/cis) et où dont les personnes dominantes peuvent aussi être de genre féminin.