[93] Vivre avec la fatigue chronique
Si j'ai l'air fatiguée, c'est que je le suis... tout le temps !
Quand le covid est arrivé, en tant que personne à risque, ce qui m’a fait peur bien sûr c’est d’en mourir. Et cette peur ne m’a toujours pas quittée, mais plus on en apprenait sur ce virus, plus la peur de développer sa version chronique, le covid long a pris de place dans mes angoisses1. Et si je suis bien sûr très heureuse de pas être morte à cause des deux covid que j’ai eus (enfin, à cause de l’un d’eux a priori plutôt), avoir développé un covid long qui ne cesse d’empirer depuis bientôt cinq ans est loin d’être une partie de plaisir.
Un des premiers symptômes que j’ai eus, celui qui m’a fait comprendre que j’étais pas uniquement sur une période de récupération un peu compliquée après un premier covid très fort, c’est la fatigue chronique. Les douleurs, les démangeaisons, les problèmes neurologiques variés, les conséquences sur mon goût et mon odorat (etc) sont venus plus tard, ou en tout cas je ne les ai pas décelés tout de suite. Ce que j’ai bien perçu par contre c’est que j’étais fatiguée comme je ne l’avais jamais été. Plus que quand j’étais en dépression. Plus que quand j’ai eu la toxoplasmose et passé un été à dormir. Plus que n’importe quand d’autre dans ma vie.
C’est cette fatigue chronique qui m’a fait me poser et me rendre compte que mon corps ne réagissait plus du tout pareil qu’il le faisait avant le covid. C’est grâce à elle que j’ai pris la décision d’en parler avec ma généraliste qui m’a confirmé que c’était clairement un covid long. A l’époque, j’espérais que ça ne durerait que quelques semaines, quelques mois, c’était ce qui se disait sur le covid long. Aujourd’hui, les études montrent bien autre chose et vu comme la fatigue chronique n’a évolué que dans le mauvais sens chez moi, et vu comment les autres symptômes se sont démultipliés, ça fait un moment que j’ai admis que ça serait certainement à vie.
Tout ce cheminement n’a pas été simple et il a été particulièrement compliqué par l’incompréhension totale que les gens (soignant·es compris·es) ont de la fatigue chronique. Entre les personnes2 qui me conseillent de me mettre au sport ou de “faire plus de choses” pour être moins fatiguée, les gens qui me soutiennent que je dois avoir des carences, les gens qui pensent que j’en rajoute… C’est pas simple. Et même si j’ai un entourage très soutenant, ma vie quotidienne est fortement impactée, et si les années 2023 et, surtout, 2024 ont été aussi compliquées pour moi professionnellement et financièrement c’est en très grosse partie à cause de cette fatigue chronique et de comment les gens ne la comprennent pas.
Alors ça fait un moment que je veux écrire cet article. J’espère pouvoir vous faire un peu mieux comprendre ce qu’est la fatigue chronique, comment vivent les personnes qui en ont. Je ne peux parler que de mon expérience, mais j’ai discuté avec assez de personnes qui ont ce symptôme (que ce soit à cause d’un covid long ou d’une autre pathologie) pour savoir qu’il y a beaucoup de choses qui se croisent dans nos expériences, et que globalement on partage toustes une expérience : le fait que les gens autour de nous ne comprennent pas vraiment ce qu’on vit, et que ça rend les choses encore plus difficiles.
Only When I Sleep
J’ai toujours aimé dormir. J’étais ce que je considérais une grosse dormeuse parce que je fonctionnais mieux si j’avais mes huit heures de sommeil (je viens d’une famille où c’est beaucoup). J’ai toujours bien aimé me coucher plutôt tôt dans le quotidien et me lever tôt, le matin a toujours été la période où j’étais la plus efficace. Pour autant j’étais de ce genre de personnes qui pouvaient veiller tard sans aucun problème. J’ai fait des nuits blanches suivies par des journées de boulots un certain nombre de fois, particulièrement à l’époque où mon boulot n’était pas derrière un bureau. Un de mes boulots étudiants me demandait de faire ce qu’on appelle aujourd’hui du crunch3 pendant l’été et je le faisais sans problème, sans même avoir vraiment besoin de tant de repos que ça ensuite. Globalement, j’étais une personne valide dans mon rapport au sommeil et à la fatigue. La plupart du temps je n’y pensais absolument pas.
J’ai vécu plusieurs périodes où ce rapport au sommeil et à la fatigue a été bousculé. A l’adolescence j’ai eu une toxoplasmose de l’enfer et dormi dix heures par nuit tout l’été en étant vraiment fatiguée la journée. Plus tard, pendant la dépression dont j’ai déjà parlé plusieurs fois dans cette newsletter, j’ai cru avoir de la fatigue chronique. J’étais fatiguée, et il m’arrivait bien souvent de faire des siestes même quand j’avais dormi une dizaine d’heures la nuit, et j’avais l’impression de me trainer tout le temps et de n’avoir aucune énergie. A l’époque je m’étais dit que j’avais vécu le pire qu’on pouvait vivre en fatigue chronique… J’ai découvert ces dernières années que j’en étais loin. Si des personnes en dépression ont sûrement vraiment de la fatigue chronique, c’est un symptôme tout à fait possible, je pense que personnellement j’avais juste de l’épuisement, dû à ce que je vivais, ce que je ressentais, mon état émotionnel et psychologique. J’imagine que la différence avec de la fatigue chronique ne doit pas vous sauter aux yeux, j’y reviendrai un peu plus tard.
En tout cas la différence principale c’est que ces périodes de fatigue n’ont jamais entraîné le fait de devoir revoir mon fonctionnement, mon quotidien, mon rapport aux tâches, aux choses, aux gens, à moi-même. Alors que ces dernières années, j’ai dû revoir tout ça et retravailler, réorganiser et repenser tous ces axes pour m’adapter à ma nouvelle réalité… qui en plus n’a cessé d’évoluer, pas simple pour stabiliser un fonctionnement.
Sleep To Dream
L’un des problèmes de la fatigue chronique c’est son nom. “Fatigue”. C’est ce qu’on dit en fin de journée quand on a bien dépensé son énergie et qu’il est temps de se reposer, c’est difficile du coup de comprendre ce que la fatigue peut être quand elle devient pathologique. C’est un peu comme si on appelait les migraines des “maux de crâne chroniques”, ce serait tout de suite plus dur de marquer une différenciation claire entre le mal de crâne qui peut arriver à tout le monde et est quelque chose de normal dans l’expérience humaine, et la migraine qui est son pendant pathologique et qui peut impacter votre vie d’une manière drastique.
Quand je dis que j’ai de la fatigue chronique je ne vous dis pas que je suis fatiguée régulièrement, ça c’est normal. Non, moi je vous parle du pendant pathologique de la fatigue. Ce que je vous dit c’est que je suis constamment épuisée. Absolument jamais reposée, encore moins en pleine forme. Que je me lève épuisée. Qu’il peut m’arriver de m’effondrer, physiquement, et de ne plus être capable de rien tellement ma fatigue est intense. Qu’il m’arrive régulièrement de perdre des fonctions cognitives à cause de cet épuisement, de faire des conneries, de me blesser, voire de me mettre moi ou les autres en danger.
Je n’ai pas le permis mais si je l’avais je ne conduirais plus à cause de cette fatigue chronique, je me considèrerais trop dangereuse. Et l’idée c’est pas “je ne conduirais pas aux moments où je serais trop fatiguée” mais bien “même aussi reposée que je peux l’être aujourd’hui, je suis dans un état d’épuisement trop fort pour ne pas être dangereuse au volant d’une voiture”. C’est ça la fatigue chronique. C’est pas “je suis un peu fatiguée, un café et ça repart” mais “il y a des tas de choses que je ne peux absolument plus faire, d’autres qui me demandent beuacoup plus de vigilance et j’ai toujours l’impression au mieux de sortir d’une nuit blanche”.
En fait la fatigue chronique ça change vraiment absolument tout. Parce que le curseur d’énergie et de fatigue est totalement décalé. Je n’atteins plus jamais le niveau d’énergie que j’avais avant au quotidien quand j’étais bien reposée. Même quand je dors dix heures, et que je fais une sieste de heures, et que je fais ça plusieurs jours d’affilée, je ne suis pas reposée. Être reposée n’existe plus.
A la louche je dirais que mon mieux, c’est à dire les moments où je suis la plus reposée possible et que je dis à tout le monde “oh wow j’ai un regain d’énergie en ce moment trop cool !” c’est l’équivalent de quand je faisais une petite nuit avant. Du genre quand je dormais quatre-cinq heures. Mon pire, je peux pas faire de comparaison réelle parce que je n’avais jamais été aussi fatiguée avant la fatigue chronique, mais les pires moments j’ai l’impression d’être comme si j’avais subi de la privation de sommeil plusieurs jours. Quand je regarde les symptômes de la privation de sommeil, c’est exactement ce que je subi dans mes pires jours, dans ces jours où je suis bien obligée d’admettre que tout ce que je peux faire c’est dormir et essayer de m’économiser au mieux pour récupérer.
Ma moyenne, mon normal, mon quotidien, les moments où quand on me demande si ça va je ne réponds ni “crevée” ni “ah ouais j’ai de l’énergie c’est cool !”, c’est comme après une nuit blanche. Pas forcément une nuit blanche arrosée, donc pas d’effet gueule de bois, mais cette impression que les yeux tirent, d’être à la ramasse, d’avoir besoin de plus de temps pour réfléchir, de devoir faire attention à pas faire n’importe quoi. Ça c’est à peu près 80% de mon temps je dirais, et les 20% qui restent sont répartis sur des moments avec de l’énergie et des moments d’épuisement. Et ça c’est quand je maîtrise parfaitement mon quotidien pour éviter des pics trop forts de stress ou de dépense d’énergie ou de manque de sommeil. Parce que bien sûr, dès que je force, dès que je suis stressée, dès que je dors pas assez, je pique du côté “privation de sommeil” et ensuite il faut du temps pour récupérer.
No Sleep Tonight
Pour le covid d’une manière générale, mais pour la fatigue chronique qui l’accompagne en particulier, la seule chose qui fonctionne jusqu’à maintenant c’est le pacing4.
Le pacing c’est le fait de s’économiser, en gros. Ça n’a rien de magique et c’est très frustrant parce que c’est du travail qui demande de la rigueur voire de la rigidité. J’ai eu beaucoup de mal à mettre en place le pacing dans ma vie de tous les jours parce que je voyais ça comme quelque chose qui allait m’empêcher de vivre ma vie comme je le souhaitais… Mais après quelques temps à me battre avec le covid long, j’ai fini par devoir admettre que c’était la seule solution et je m’y suis résignée, même si je m’autorise à parfois sortir de mon cadre, avec autant de précautions que possible.
Avec la fatigue chronique, c’est très important d’avoir une routine de sommeil régulière. Je me couche dans une fenêtre d’une petite heure, je me lève quasiment tous les jours à la même heure. Et dès que je dévie un peu je vois bien l’impact sur ma fatigue. Il suffit que je me couche à 23h un soir plutôt que 22h pour que ça me prenne une semaine pour récupérer ensuite.
Il faut savoir s’écouter et apprendre à repérer les choses qui nous épuisent facilement. Par exemple : changer mes draps. Pour une raison que j’ignore ça a tendance à me déclencher des grosses crises d’épuisement. Du coup j’ai appris à le faire les jours où je suis plutôt “en forme”, et le soir juste avant de me coucher, comme ça au pire je me couche juste après et ça ne me bousille pas une journée.
Tout ce travail de repérage, d’expérimentations et de recalibrage de certaines habitudes m’a pris des années. Et je suis pas encore au bout, je continue à faire des erreurs, à mal estimer mon degré de fatigue ou à mal estimer à quel point quelque chose sera fatigant pour moi.
Avant le covid long j’étais le genre de personnes qui n’annulait jamais rien. Aujourd’hui, quand je prévois quelque chose c’est toujours avec le bémol “je te confirme quelques jours avant”. Parce que si je peux forcer parfois, quitte à avoir un gros temps de récupération pas cool ensuite, si je suis déjà dans une phase complètement kaputt je n’aurai pas l’énergie de même forcer un peu. J’ai déjà annulé le fait qu’une amie vienne boire un café chez moi par exemple, quelque chose qui en théorie ne demande presque pas d’énergie, mais qui était insurmontable pour moi.
Bien sûr c’est pas évident à expliquer aux gens. Mes proches ont dû apprendre à vivre avec et ça a pu amener quelques tensions au début, ce que je comprends. C’est pas agréable quand quelqu’un annule, encore moins si la personne annule plusieurs fois d’affilée. En 2024, avec le stress de ma situation qui faisait que j’étais quasi tout le temps au pire de ma fatigue chronique, il y a des ami·es que j’ai annulé·es encore et encore pendant des mois.
Il a fallu que j’apprenne aussi à pas complètement surcompenser quand j’ai un peu d’énergie. J’ai fait cette erreur pendant très longtemps : quand j’avais un peu d’énergie en plus j’en profitais pour forcer et faire toutes les choses que je ne pouvais pas en temps normal… Et donc m’épuisais… Et donc me retrouvais en phase de récupération pendant des jours et des jours. La régularité est peut-être moins fun mais en fait elle permet de faire plus de choses. Si je m’écoute et que je ne pousse pas au maximum, j’aurai de nouveau un peu d’énergie le lendemain au lieu d’avoir à récupérer pendant plusieurs jours.
Un crève cœur a été de devoir apprendre à faire moins. Je voulais faire du jdr, j’ai intégré deux groupes virtuels et les deux ont été des échecs : impossible d’être sûre que je serai en état de faire les “réunions” de campagne. Ma vie associative en a pris un coup et globalement je ne peux qu’être dans des assos dont je gère le fonctionnement de façon à ce qu’il y ait le moins de contrainte possible.
Beaucoup d’activités se font en soirée. Les clubs de lectures auxquels je participais étaient souvent à 20h30 par exemple, un horaire assez logique pour des adultes… Sauf qu’en fait moi même quand je suis réveillée à cette heure, je ne suis pas en état de faire quoi que ce soit d’autre que de me mettre devant une série ou un film.
Je suis toujours plus efficace le matin, mais bien sûr mon efficacité a beaucoup baissé. J’ai dû apprendre à faire avec et à estimer mes temps sur des tâches différemment. Moi qui était quelqu’un de très rapide, de très efficace, il m’arrive souvent d’être un peu en retard si j’ai mal estimé.
Et le rapport au travail est forcément très compliqué. Déjà, trouver une entreprise qui veuille bien d’une personne avec fatigue chronique, c’est pas évident. Et une fois qu’on y est… Cet été, après l’atroce vague de chaleur de début juillet où il faisait 40 degrés, j’ai eu de gros symptômes du covid long, une grosse crise avec fatigue chronique à fond, douleurs, migraines, vertiges… Autant vous dire que ma productivité au travail n’était pas au top et que je me suis retrouvé en retard sur mes tâches. J’ai expliqué à ma collègue chargée de production. J’étais très angoissée d’expliquer cette situation, parce que j’avais l’impression de me chercher des excuses et aussi parce que dans le monde du travail on a l’habitude qu’on nous demande d’être toujours à 100% (ce qui est impossible, même sans être malade chronique). Ma collègue a compris et ça a été globalement un non-évènement. J’ai de la chance d’être dans une super entreprise à ce niveau, ça ne se serait pas passé comme ça partout.
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Aujourd’hui j’ai appris à mieux vivre avec ma fatigue chronique. C’est pas parfait mais j’ai pu aller en convention fin septembre et récupérer en un weekend. Ça a demandé pas mal de sacrifices, de préparation, de réflexion, et de rigueur, mais ça l’a fait.
J’aurai sûrement jamais une vie comme j’avais avant, mais je l’accepte aujourd’hui parce que je vois que malgré tout, j’arrive à faire des choses, j’arrive à prendre du plaisir et à tisser du lien. Alors oui, je suis encore frustrée souvent parce que je sais qu’avant les choses allaient plus vite, et parce que j’ai parfois l’impression d’être nulle ou que j’en ai marre de devoir toujours surveiller que je fais pas des conneries par fatigue. Mais c’est ma réalité et on a toustes des frustrations, toustes des choses qu’on aimerait changer à nos vies.
Notez que si j’ai bien un TAG (trouble de l’anxiété généralisé), ces angoisses étaient et sont toujours tout à fait rationnelles. Le covid est une maladie grave à conséquences terribles allant de la mort au handicap. Et les études montrent que même les personnes qui pensent aujourd’hui n’avoir eu aucune conséquence après une infection pourront en fait en développer sur le long terme. Et on sait aussi aussi que plus on cumule d’infections, plus on risque des conséquences très graves, entre autres sur les organes (voir par exemple les gens qui font des crises cardiaques sans aucun antécédent quelques mois après un covid). BREF. Ces angoisses sont rationnelles. Si vous ne les avez pas, c’est vous qui êtes dans le déni, et c’est sûrement plus confortable, et j’irais pas vous juger pour ça, mais c’est ne pas avoir peur du covid qui est irrationnel. Voilà, je trouvais important de le rappeler.
A partir de maintenant, à moins que je ne précise autrement, considéré que quand je parle des gens, oui, je parle bien aussi du corps médical parce que si je dois préciser à chaque fois on va vite en avoir marre
On voit beaucoup ça dans les boites de jeux vidéo ou de tech : pendant une période de plusieurs semaines travailler un nombre très important d’heures par jour, souvent tous les jours, avec très peu de pause ou de sommeil. Une pratique vraiment toxique, mais que je choisissais pour pouvoir en un été gagner ce qui allait me faire vivre toute une année.
Et oui papa, ça vient d’entrer dans le VIDAL, donc je fais pas un anglicisme gratuit, c’est le terme.



C'est vrai qu'on ne se rend pas compte de ce que c'est. J'espère que tu vas trouver peu à peu une manière de fonctionner qui soit agréable pour toi. De mon côté,j'ai des douleurs chroniques au niveau des jambes depuis 2 âne. J'apprends aussi à réguler mes activités et vivre avec.