[55] Gilmore Girls - mes meufs problématiques favorites
Cette newsletter doit être lue très vite pour aller avec le rythme de parole de la série dont elle parle.
Si vous n’avez jamais regardé un épisode de Gilmore Girls et que vous tombez dessus par hasard, il y a des chances que la première chose que vous vous demandiez c’est “Mais pourquoi parlent-iels toustes si vite ??”. Ça peut paraître trivial mais c’est vraiment une des spécificités de cette série, qui avait d’ailleurs comme slogan “Life’s short. Talk Fast” (La vie est courte. Parle vite.). Et ça n’était pas juste une impression, les scripts tournaient autour des 80 pages par épisode, là où la moyenne est plutôt à 55/60 pages normalement.
Cette rapidité et richesse dialogues est sûrement un des choses qui m’ont intriguées au début des années 2000 quand j’ai vu mes premiers épisodes de la série. Si je n’ai pas accroché tout de suite1, c’est quand même un point qui m’a toujours facinée2. La première fois que j’ai vraiment regardé cette série, j’étais en Angleterre et je passais l’été comme au pair. Le “light housework” (tâche ménagères légères) annoncées à la base s’est avéré être 4 à 5 heures de ménage par jour, dont une masse incompréhensible de repassage. Et donc je repassais tous les jours devant la télé, et la seule chose un peu regardable qui passait à la télé à cette heure, c’était des rediffusions de Gilmore Girls.
A l’époque j’avais 20 ans, la série venait juste de se terminer (elle a été diffusée de 2000 à 2007) et j’étais plus proche de l’âge de la fille, Rory, jouée par Alexis Bledel, que de celui de Lorelai, la mère, jouée par Lauren Graham. Je me suis pas mal identifiée à Rory, cette adolescente introvertie, fan de lectures, qui avait de grandes ambitions scolaires/professionnelles mais était aussi paumée que n’importe qui au niveau de sa vie personnelle.
L’année dernière je me suis refait la série, en ayant l’âge de Lorelai cette fois (en état en fait même plus vieille qu’elle quand la série débute) et c’est elle qui a vraiment attiré mon attention cette fois. Cette adulte qui gère sa vie pro et s’occupe aussi bien que possible de ses proches mais est aussi paumée que n’importe qui au niveau de sa vie personnelle. Dans l’absolu, Lorelai est plus proche de qui je suis que Rory, qui est bien trop protégée du monde extérieur par tout le monde jusqu’à la dernière saison pour que je puisse y voir un reflet de ma propre vie.
Gilmore Girls se centre donc sur ces deux personnages. Quand on commence la série, Lorelai et Rory sont la seule famille qu’elles ont. Lorelai a eu sa fille alors qu’elle était adolescente et a fuit sa famille à ce moment. Elles ont construit une vie dans un petit village idyllique peuplé de personnages adorables, Stars Hollow. Seulement, pour que Rory puisse avancer vers ses objectifs ambitieux, il faudrait qu’elle aille dans une école privée… Lorelai n’a pas les moyens, elle va donc demander de l’aide à ses parents, qui sont riches, et qu’elle ne voit que très peu. Ils acceptent de payer les frais de scolarité de Rory à condition d’avoir une vraie relation avec elle et imposent des dîners familiaux tous les vendredis soirs.
Comme vous pouvez le voir avec le pitch, on est loin des dramas qui amènent des thèmes très durs. D’ailleurs Gilmore Girls a été créé comme une sorte de mix entre sitcom et drama. Les épisodes ont régulièrement des histoires absurdes ou utilisent des tropes de sitcoms mais ils peuvent aussi d’un coup se rapprocher du drama. On y passe du rire au larmes parfois d’une scène à l’autre, mais sans jamais entrer dans une surenchère qui parfois transforme les dramas en soap. Non ici on ne cherche pas l’histoire la plus horrible, le twist le plus choquant, on reste dans le quotidien, et on utilise toutes les petites aspérités qui peuvent bouleverser nos vies. Ça en fait une série qui est relativement reposante, et qui parfait entraîne une sorte de sentiment de nostalgie et gomme tout ce qu’il y a, selon moi, d’intéressant mais aussi de potentiellement problématique dans ces personnages.
Like Mother, Like Daughter
Créée par Amy Sherman-Palladino, une femme, la série se centre sur la relation entre les deux personnages féminins principaux, une relation mère-fille qui n’est pas traditionnelle mais qui pour a son lot de complications.
On sent que la série a été créée par une femme et pour les femmes. Ici pas de male gaze3, des personnages féminins qui sortent des stéréotypes et une façon d’aborder le quotidien et les relations qui ne centre pas les hommes contrairement à beaucoup de séries. Les hommes sont en périphérie, ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas leur importance ou qu’ils ne sont pas eux-mêmes des personnages complexes, mais ils ne sont que rarement le centre de l’attention.
D’une manière général ce thème mère-fille est visible sur plusieurs relations importantes de la série : il y a bien Lorelai et Rory, mais il y a aussi Emily (la grand-mère Gilmore) et Lorelai. Et il y a aussi le duo Lane (la meilleure amie de Rory) et Mrs. Kim (sa mère). Il y a peut d’autres relations familiales réellement abordées, ou en tout cas pas en profondeur : Richard, le père de Lorelai, est un père distant bien qu’il soit un grand-père aimant, Luke (un des personnages principaux, qui tient le Dinner où les Gilmore Girls passent leur temps et qui est l’un des intérêts romantiques de Lorelai) a plusieurs storylines à propos de sa famille, que ce soit avec son neveu, avec sa sœur ou avec sa fille, mais c’est souvent traité avec un vrai déséquilibre, plus de son point de vue à lui, alors que les relations mères-filles sont en général traitées sur un point d’équilibre.
D’une manière général la famille est au cœur de la série. Bien sûr, il y a aussi des relations amoureuses, et des relations amicales mais tout ça gravite toujours autour de cette relation mère/fille.
C’est d’ailleurs dans ces relations qu’on trouve les trajectoires les plus intéressantes de la série, comme la relation de Lane et de sa mère Mrs. Kim qui au début paraît être uniquement un élément comique de clash entre la modernité de Lane qui voudrait être une adolescente américaine comme les autres et du conservatisme de sa mère qui continue à agir comme si elle était toujours en Corée et à imposer à sa fille des valeurs qui paraissent désuètes. Mais, petit à petit, cette relation se complexifie. Mrs. Kim montre qu’elle peut ne pas être aussi rigide qu’on le croirait et Lane apprend à communiquer ses besoins à sa mère. Elles finissent par avoir une relation de respect l’une envers l’autre, avec parfois beaucoup d’efforts pour respecter les besoin de l’une et de l’autre. C’est sûrement une des illustrations de relations entre première génération d’imigré·es et seconde génération au sein d’une même famille les plus réussies, et clairement pas forcément là où on l’attendait.4
Mais la série a tendance à surprendre. La galerie nombreuse de personnages et le point de focus sur les deux Gilmore Girls permet aux scénaristes de petit à petit construire des histoires en périphéries qui, à la fin des sept saisons (2000-2007) et de la mini-série (2016) s’avèrent être presque plus intéressantes que celles qu’on nous met au premier plan.
Personnellement, je trouve par exemple que l’histoire d’Emily Gilmore, la mère de Lorelai, est certainement la plus intéressante de toute la série. Cette femme bourgeoise rigide et pleine de jugements, souvent dure, qui petit à petit remet en question sa vie, son carcan et ses conceptions, principalement parce qu’elle veut absolument avoir une relation avec sa fille et sa petite fille qu’elle ne comprend pas, est fascinante. Elle est interprétée avec merveille par Kelly Bishop5 qui arrive à rendre le personnage vraiment humain en lui donnant toute une variété d’émotions, de contradictions.
Et si Lorelai et Rory semblent toutes les deux, au cours de la série, réadopter certains des aspects culturels de leurs origines bourgeoises, Emily elle semble petit à petit effeuiller tout ça et se libérer de son rôle de femme bourgeoise (très cadré) et de son mari. Il y a toute une période dans une des dernières saisons où elle refuse de faire tout ce qu’elle a fait depuis des années pour le statut social de son mari parce qu’il a fait un commentaire qui l’a blessée en disant que ses soirées étaient pas importantes et on voit à quel point son rôle est en fait central dans la réussite de Richard. J’avoue que j’adore aussi l’épisode où elle envoie péter un de ses comités…
Mais le plus intéressant reste l’Emily de la mini-série, A year in the life (2016), celle confrontée au deuil de Richard (l’acteur était décédé). L’Emily qui va en thérapie. Qui change toutes les règles chez elle et finit même par se créer une vie qui n’a rien à voir avec ce qu’elle a été toute sa vie. La voir faire son deuil de son mari et en profiter pour s’émanciper est assez incroyable et c’est sûrement la storyline qui a le plus de poids politiquement. Si la série ne revendique jamais du féminisme et a même parfois des discours qu’on pourrait comprendre comme moquant cette idéologie, l’histoire d’Emily est une histoire d’empowerment surprenante parce que portée par un personnage à la base conservateur et ultra privilégié. Et ça marche.
I Get a Sidekick Out of You
Je le disais tout à l’heure, si la série est centrée sur les deux personnes principaux, elle tire sa force d’une galerie de personnages secondaires et tertiaires hyper bien écrits. Que ce soit pour amener un peu d’humour dans un épisode, pour amener des thèmes différents ou juste pour un peu de fantaisie, ces personnages permettent à la série d’aller plus loin et donnent à Stars Hollow un air théâtral. Déjà que les décors de la petite ville sont comme dans une pièce de théâtre, le fait que les personnages soient toujours en train de vivre leurs vies en background, qui parfois vient au second ou premier plan, donne vie à tout le reste.
Il y a quelques personnages par exemple qui ont très peu de vraies storylines mais qui restent marquant·es, comme le troubadour de la ville. Mais il y a aussi une galerie de personnages secondaires qui, à elle seule, enrichit l’histoire et amène quelques pépites. J’ai déjà cité Emily Gilmore, qui pour moi est plus qu’un personnage secondaire, comme Luke par exemple, mais il y en a plein d’autres que j’adore.
Comme Paris, par exemple. Non je ne parle pas de la ville (les épisodes qui se passent en France sont CATASTROPHIQUES à tous les niveaux, on fait comme s’ils n’existaient pas), mais bien de la pire ennemie devenue meilleure amie de Rory, Paris Geller, interprétée par Liza Weil (le rôle a carrément été créé pour elle). Le personnage commence par être vraiment négatif mais très vite ils ont visiblement vu le potentiel du duo entre Paris et Rory et l’ont fait petit à petit glisser du côté de l’amie un peu bizarre et je trouve ce personnage excellent. Le discours qu’elle fait quand elle n’a pas sa place à Harvard est sûrement un des moments tragi-comiques les plus réussis d’une série. Paris à la fac est ma Paris préférée, elle est alors hilarante.
Dans la série des personnages qu’en général je n’aime pas mais que dans cette série j’adore, il y a Michel, l’employé et ami de Lorelai. Un français (interprété par un canadien, Yanic Truesdale) toujours hyper condescendant et mal-aimable (vu qu’il travail à l’hôtel de Lorelai c’est particulièrement drôle). Son accent est plutôt réussi et il est à hurler de rire. (par ailleurs c’est le seul personnage LGBTQIA+ de la série, quoi que ça n’ait été admis que pour la mini-série, il était sensé être hétéro pendant les sept saisons de la série).
L’autre collègue de Lorelai, Sookie, jouée par une Melissa McCarthy avant qu’elle ne soit connue, est un personnage que j’aime beaucoup aussi. Elle est grosse mais ça n’est jamais vraiment un enjeux. Elle est maladroite à l’extrême (et Cheffe, donc vous imaginez le truc) et a sûrement la relation amoureuse la plus équilibrée et épanouissante de la série. J’irais pas jusqu’à en faire le modèle du personnage de femme grosse dans une série mais pour une série du début des années 2000, je trouve qu’iels ont évité plein d’écueils et que c’est plutôt pas mal.
Et finalement il y a… KURT. Désolée, si vous ne connaissez pas la série, vous ne comprenez sûrement pas les majuscules, mais globalement y a pas d’autre moyen de parler de ce personnage. Interprété par Sean Gunn, au début de la série (en fait dans le premier épisode il joue carrément un autre rôle !) c’est un personnage un peu lunaire et complètement à côté de la plaque, un des nombreux personnages de ce genre dans la petite ville. Mais Kurt est tellement drôle et l’acteur a un potentiel comique tellement élevé que, petit à petit, il s’est issé au rang de personnage principal. Et honnêtement, la série ne serait pas la même sans son excentricité. C’est souvent lui qui devient le garant de l’équilibre sitcom/drama de la série dans les dernières saisons où les relations entre les personnages sont mises à mal. Et heureusement qu’il est là pour nous donner quelque moments de respiration, autrement on réaliserait que cette série n’est pas autant un petit bonbon nostalgique qu’on pourrait le croire…
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Forgiveness and Stuff
Quand A Year In The Life, la mini série en quatre épisodes de 90 minutes est sortie en 2016, beaucoup de fans l’ont détestée. Il faut dire que dedans Rory est loin d’avoir le futur brillant que tous les adultes (et elle-même) lui promettaient dans la série. Oui elle est bien journaliste/reporter, mais sa vie personnelle est en lambeaux, elle n’a plus de lieu où vivre et passe d’un canapé à autre et globalement n’arrive pas à sortir de sa situation de pigiste.
Ça m’a fait beaucoup rire que ça choque les gens. La meuf se destine à une carrière de journaliste de presse écrite au début des années 2010, vous vous attendiez à quoi ? Oui elle galère. C’est tout à fait logique.
J’ai trouvé très bizarre que les gens réagissent comme si la série avait toujours été un havre de paix pour ses personnages, comme s’il fallait attendre une petite vie parfaite et douce pour nos Gilmore Girls, quand toute la série a été semée d’embûches et a malmené les deux personnages principaux du début à la fin. Je me suis rendue compte que les gens avaient regardé la série sans recul, sans percevoir l’aspect limite satirique à certains moments, le second degré et avaient complètement intégré l’idée que Rory ne pouvait que réussir, puisque tout le monde disait tout au long de la série que c’était FORCEMENT une gagnante, même quand elle était au fond du trou.
Rory fait beaucoup d’erreurs dans la série, c’est normal, elle n’est pas parfaite et elle est très jeune. Mais s’il y a une différence entre elle et sa mère c’est que quand sa mère fait une erreur, on dit “c’est tout Lorelai !” alors que quand Rory fait les pires conneries tout le monde (dont Rory) dit “C’est pas du tout du genre de Rory !”. C’en est énervant à certains moments. Tout le monde laisse absolument tout passer à Rory, sous couvert que c’est une “gentille fille”, une fille intelligente et que donc si elle fait des conneries, c’est pas de sa faute. Par contre Lorelai est vue comme une personne imparfaite qui quelque part ne réussit que par hasard entre deux échecs.
C’est injuste… Et c’est très bien écrit. Tellement bien écrit que c’est exactement la réaction qu’ont eue les fans en voyant la mini-série. Alors que tout est hyper cohérent. Même le fait qu’elle trompe son petit-ami en cours (qui n’a aucune importance dans l’histoire) avec son ex, Logan, qui est fiancé. Ça aussi les fans ont détesté “c’est pas notre Rory !”… Sauf qu’elle a fait exactement la même chose avec son premier petit ami Dean ? Rory a toujours considéré que ses ex lui appartenaient et que si elle couchait avec c’était pas tromper parce qu’elle était là avant.
D’une manière générale, Rory et Lorelai ont toujours des relations amoureuses chaotiques. Lorelai a tendance à prendre ses décisions avec impulsivité et les regretter avant même d’avoir eu le temps d’en profiter. Rory a tendance à considérer que ses ex lui appartiennent. C’est comme ça depuis le début.
D’une manière général, la mini-série a révélé que beaucoup de gens qui aimaient la série de base semblaient oublier que les deux personnages principaux avaient des défauts et vivaient dans un monde injuste qui leur causait parfois beaucoup de peines. Elles sont loin de réussir tout le temps et elles sont parfois très problématiques. Elles font de leur mieux, mais leur mieux n’est pas la perfection et si elles apprennent tout au long de leur parcours, elles restent humaines. Il y a des moments très durs dans la première série, et des moments où elles sont vraiment horribles avec leurs proches, ça n’est pas une nouveauté de la mini-série.
C’est pour moi la force de la série en fin de compte : une série qui montre des femmes qui ont des défauts et qui échouent même quand elles font de leur mieux et essaient de naviguer dans un monde pas toujours juste, loin des clichés de séries tournant autour de femmes en général. Et je vous mets au défi de me citer trois autres séries centrées sur des femmes qui atteigne ce genre d’équilibre.
En grosse partie à cause de ma misogynie intériorisée je dois dire, à l’adolescence j’avais une relation très tendue avec tous les médias que je considérais être “pour les filles”.
Je vous l’ai déjà dit plusieurs fois, je suis fascinée par tout ce qui tourne autour du langage. Plusieurs de mes séries préférées ont comme premier argument une utilisation spécifique des dialogues, que ce soit Gilmore Girls avec son bavardage hyper rapide constant, Justified et ses dialogues taillés au couteau, les séries de (fuck) Joss Whedon et leurs dialogues hyper vivants ou Deadwood et son côté shakespearien.
la façon que les fictions ont tendance à présenter les femmes comme des objets de fantasmes pour les hommes plutôt que comme de vrais personnages
parce que bon, Lane est en gros le seul personnage racisé de la série à avoir de vraies storylines (Michel est vraiment secondaire) et Gilmore Girls est une série très très blanche, même pour le début des années 2000.
Qui jouait la mère de Baby dans Dirty Dancing !