Au printemps j’ai joué à la toutou-sitter pour mes parents et je me suis retrouvée à passer la journée chez eux à m’occuper de leurs deux chiens et de Trufa. Outre m’être faite autant avoir par le surnombre canin que vous pouvez l’imaginer, je suis ressortie de cette journée en ayant renoué avec une de mes obsessions de l’enfance et de l’adolescence : Starmania. Mes parents ont toujours des très longues playlists à thème qui passent en boucle chez eux, et ce jour-là ils avaient mis leur playlist des comédies musicales, que j’ai écoutée tout en étant au service de en m’occupant des chiens. Et donc j’ai réécouté Starmania, l’enregistrement du spectacle original.
Et outre le fait que j’ai ensuite passé la semaine à l’écouter en boucle et le chanter à tue tête (au point de me prendre des regards noirs de Trufa), j’ai été très surprise de la modernité d’une œuvre qui a près de cinquante ans. Plus j’écoutais, plus je me disais que ça aurait pu être écrit aujourd’hui. Tous les thèmes sont là : pollution, culte de la célébrité1, milliardaires mégalomanes qui veulent diriger le monde2, révolte des pauvres, enjeux LGBTQIA+, travail abrutissant...
J'suis un maniaque
D'la télévision
Juste en playback
Comme un bruit de fond
Un enfant de la pollution - Johnny Rockfort
Si vous ne connaissez pas Starmania, un pitch rapide donnerait quelque chose comme ça :
Dans une ville souterraine où seule la célébrité peut vous faire sortir de votre quotidien abrutissant, un groupe terroriste appelé Les Étoiles Noires et dirigé par Johnny Rockfort et Sadia fait parler de lui en terrorisant la ville jusque là tranquille. Cristal, présentatrice adorée de l’émission Starmania qui permet aux gens de devenir des stars, tombe sous le charme de Johnny alors qu’elle fait une interview de lui et décide de rejoindre les Étoiles Noires, bousculant ainsi l’ordre établi de la société souterraine. En parallèle, Zéro Janvier, milliardaire mégalomane, se présente aux élections pour devenir président de l’occident. Il utilise Stella Spotlight, starlette ultra-sexualisée sur le déclin afin d’améliorer son image. Leur mariage est le point culminant de cette histoire où tous les personnages se retrouvent, et où les Étoiles Noires font leur dernier coup de force en faisant exploser la Tour Dorée de Zéro Janvier.
Bon. En vrai, l’histoire est bien plus dense que ça et je n’ai même pas parlé de plusieurs personnages centraux, comme Marie-Jeanne, la serveuse automate qui narre une grande partie de l’histoire. Mais c’est une histoire assez compliquée à pitcher rapidement sans trop entrer dans le détail parce qu’elle est très dense.
Nous
Tout c'qu'on veut c'est être heureux
Être heureux avant d'être vieux
On n'a pas l'temps d'attendre d'avoir trente ans
Nous
Tout c'qu'on veut c'est être heureux
Être heureux avant d'être vieux
On prend tout c'qu'on peut prend en attendant
Quand on arrive en ville - Sadia & Johnny Rockfort
Au cœur de Starmania est un sujet qui devrait largement nous parler en 2024, le culte de la célébrité, c’est même carrément dans le titre. Et de fait, il n’y a pas un personnage principal, à part Marie-Jeanne la narratrice, qui ne rêve pas de célébrité. Si Marie-Jeanne, la serveuse automate, rêve d’aller “cultiver ses tomates au soleil”, et donc d’une vie simple avec du sens, elle est bien la seule de la comédie musicale à ne pas rêver d’être connue. Si c’est évident pour Zéro Janvier et Stella Spotlight, qui sont connus et font tout pour entretenir cette célébrité, ou que ça l’est pour Cristal qui est aussi une célébrité, ou pour Ziggy dont le rêve est d’être un DJ au devant de la scène, on pourrait imaginer que les Étoiles Noires, puisqu’il s’agit d’un groupe terroriste en opposition avec l’ordre établi, auraient d’autres ambitions… Mais en fait, non ! Johnny et Sadia veulent être connu·es elleux aussi ! Pas pour les mêmes raisons que le reste, iels veulent être craint·es, iels veulent être connu·es comme les Étoiles Noires, mais iels recherchent tout autant la célébrité que les autres.
Et après tout, dans une société où c’est la règle, ça ne paraît pas particulièrement absurde. Si Luc Plamondon et Michel Berger, les créateurs de la comédie musicale, avaient bien compris quelque chose dès 1979, c’est bien que le culte de la célébrité ne pourrait aller qu’en empirant, jusqu’à donner une société où tout le monde n’a qu’une seule ambition : avoir ses quinze minutes de célébrité. Est-ce que j’ai besoin de faire le parallèle avec ce qui se passe aujourd’hui ? Les influenceuses et influenceurs ? La télé réalité ? Les réseaux sociaux ? Tout le monde se voit comme une figure publique. LinkedIn regorge de posts nous expliquant comment améliorer notre image de marque, et ces posts ne s’adressent pas à des sociétés mais bien à nous, les individus.
Ce n'était qu'un feu de paille
Que tout ce show-business
Dessous le strass y avait le stress
Y avait ma jeunesse
Venez voir mourir
Le dernier sex symbol
Venez voir venez rire
A la fin d'une idole
Les adieux d’un sex symbole - Stella Spotlight
Avec ce thème de la célébrité, et d’une société qui ne fonctionne plus qu’à travers ça, les flash infos de la comédie musicale sont en fait pour la plupart des flash people, Starmania reste forcément très moderne. D’ailleurs, le spectacle est de nouveau en tournée en France depuis 2022, mis en scène par Thomas Jolly (oui, celui de l’ouverture des JO) et a de très bonnes critiques. Malgré quelques recherches, je n’ai pas réussi à savoir s’ils avaient un peu adapté le texte ou pas, mais honnêtement je ne vois pas trop ce qui aurait besoin d’être modernisé (à part peut-être le “quand viendra l’an 2000 on aura 40 ans”).
Autre point de modernité, cette comédie musicale a deux personnages LGBTQIA+. Ziggy, qui est un homme cis homosexuel et Sadia, qui est une femme trans. Enfin, elle se définie comme une “travestie” mais c’était un des termes utilisés à l’époque pour qualifier les personnes trans, et elle a tout d’une femme trans : elle n’est jamais adressée autrement qu’au féminin, n’est jamais autrement qu’en femme et est interprétée par une femme. Alors oui, peut-être que sa chanson pourrait être modernisée, parce qu’elle a un gros problème de vocabulaire en 2024 et sans remise en contexte on peut se poser un peu la question de ce qu’elle veut dire. Parce que si j’adore cette chanson, elle y dit quand même :
Vous vendriez votre âme
Pour dormir dans mes bras
Vous quitteriez vos femmes
Pour partir avec moi
N'm'app'lez madame
Sans savoir qui je suis
Je n'suis pas une femme
Je suis un travesti
Travesti - Sadia
Quoi qu’on puisse dire du vieillissement linguistique de la chanson3, le fait qu’un personnage de femme trans existe dans cette comédie musicale, dans l’un des rôles principaux, et ne soit pas réduite à sa marginalité mais soit un vrai personnage, c’est assez étonnant4. En 2024, ça rend la comédie musicale d’autant plus moderne que l’extrême droite fait monter la panique morale autour de la trans identité et que les personnes trans se retrouvent sur le devant de la scène malgré elles. Malheureusement, la trans identité est en ce moment un vrai sujet d’actualité, un vrai sujet de société, et Starmania l’intègre d’une façon qui semble moins foireuse et plus naturelle5 que plein de fictions actuelles.
Et puis, il y a Zéro Janvier. Elon Musk prophétisé alors qu’il n’avait que 8 ans. Bon, je dis Elon Musk parce que c’est le parallèle le plus évident à faire, d’autant plus avec le délire mégalomane de Zéro Janvier qui a “toujours rêvé d’être un artiste”, mais il y a tellement de milliardaires qui utilisent les médias pour essayer d’imposer leur vision de la société en ce moment que c’est carrément un système que Luc Plamondon et Michel Berger avaient pointé du doigt avant même qu’il n’existe vraiment.
Ce qui est intéressant c’est que Zéro Janvier est clairement d’extrême droite, fait sa campagne sur ces idéologies réactionnaires. On ne fait pas dans la dentelle ou dans la métaphore, sa boite de nuit, tout en haut de sa tour, où il se mariera, s’appelle Naziland. On ne peut pas faire plus clair. Son parti s’appelle “Parti Pris Pour le Progrès”, ce qui rappelle a posteriori les positions faussement progressistes d’Elon Musk, qui en bon magna de la tech essaie de nous faire croire qu’il œuvre pour le mieux.
Pour enrayer la nouvelle vague terroriste
Nous prendrons des mesures extrémistes
Nous imposerons le retour à l'ordre
Si on ne peut pas vivre dans la concorde
Nous mettrons la capitale
Sous la loi martiale
En ce qui concerne la pénurie d'énergie
Vous connaissez déjà ma stratégie
Lorsque nous aurons vidé le fond des mers
Nous serons prêts à vivre ailleurs que sur Terre
Et la prochaine Capitale
Sera une station spatiale
Le meeting de Zéro Janvier - Zéro Janvier
C’est terrifiant à quel point Elon Musk pourrait faire exactement le même discours.
Alors, est-ce que Starmania est une œuvre parfaite ? Honnêtement j’ai peut-être un peu trop de nostalgie pour cette comédie musicale pour prendre le recul nécessaire. Je connais absolument toutes les chansons par cœur et ai un attachement très fort à cette histoire et à ses personnages. Mais je dois dire qu’en terme de représentation de notre société, pour une œuvre écrite il y a presque cinquante ans, c’est bluffant.
De New-York à Tokyo
Tout est partout pareil
On prend le même métro
Vers les mêmes banlieues
Tout le monde à la queue leu leu
Les néons de la nuit
Remplacent le soleil
Et sur toutes les radios
On danse le même disco
Le jour est gris, la nuit est bleue
Monopolis - Marie-Jeanne
Si j’ai une critique, comme souvent, c’est plutôt sur ce qui est dit autour de la comédie musicale. En faisant quelques recherches pour cet article, j’ai vu partout écrit que l’histoire de Stella, qui rejoint les Étoiles Noires, était inspirée par l’histoire de Patty Hearst, cette héritière américaine qui a rejoint le groupe terroriste qui l’avait enlevée. Et j’ai vu partout dire qu’elle avait été victime du Syndrome de Stockholm. Bon. Ça m’a un peu énervée parce que le Syndrome de Stockholm n’est pas un diagnostique psychiatrique et n’a jamais été prouvé. Il n’y a absolument aucune preuve scientifique d’un mécanisme qui pousserait les victimes à s’identifier et rejoindre leurs bourreaux. D’ailleurs, dans l’histoire de base qui a inspiré ce “syndrome”, les victimes de la prise d’otages ont soutenu leurs abuseurs parce que la police faisait n’importe quoi et allait causer la mort de tout le monde.
Et dans Starmania, Cristal n’est jamais enlevée. Elle rejoint les Étoiles Noires de son propre chef et ce sont les médias qui disent qu’elle a été enlevée, c’est d’ailleurs pour démentir l’enlèvement qu’elle fait son intervention où elle dit “je suis avec Johnny Rockfort”. Il n’y a donc pas de Syndrome de Stockholm, puisque les Étoiles Noires ne l’enlèvent pas, Cristal n’est jamais une victime. Je ne comprends pas pourquoi la plupart des articles (dont wikipédia6) décrivant l’histoire tiennent à mettre un parallèle avec Patty Hearst et à parler de Syndrome de Stockholm.
Y a plus d'avenir sur la Terre
Qu'est-ce qu'on va faire?
Y a plus d'avenir sur la Terre
Qu'est-ce qu'on va faire?
Banlieue Nord - Johnny Rockfort
Pour finir sur une touche rigolote, en faisant mes recherches j’ai aussi découvert qu’à la base il y avait un extra-terrestre dans la comédie musicale ! Il avait une chanson spécifique, où visiblement il regardait le monde de l’espace… Et visiblement ce personnage n’a pas vraiment fait consensus parce qu’il a été vite supprimé… Même si dans au moins une des interprétations de la comédie musicale, c’était du coup Roger-Roger, l’animateur de télé, qui était révélé comme étant un extra-terrestre à la fin… Personnellement je préfère Starmania sans extra-terrestre, mais l’idée m’a bien fait rigoler !
Je vous ai parlé de mon podcast sur le sujet qui sort le 15 septembre ? 👀
si on m’avait dit que ce serait ma réalité et pas le pitch d’un comics un peu kitsch, j’y aurais jamais cru
dont la version de Nanette Workman en fait une sorte d’hymne girl power qui vous donne envie de le hurler avec elle, je vous mets au défi de ne pas être hypé-e par cette chanson
Il y a quelques semaines j’ai eu un débat sur bluesky avec quelqu’un qui disait que Sadia était une mauvaise représentation trans parce qu’elle était jalouse et trahissait Johnny Rockfort… Moi ce que je vois surtout c’est que Johnny la traite comme de la merde dès qu’il rencontre Cristal, la largue et donne à Cristal sa place de co-leader des Étoiles Noires, et que si elle était cis il serait tout à fait cohérent qu’elle se venge absolument de la même façon.
Je me demande vraiment d’où vient ce personnage et ce qui a motivé les deux créateurs à l’intégrer à l’histoire de cette façon. Bien sûr il y avait des personnes trans en 1979, mais elles étaient loin de faire partie de la culture mainstream et Starmania n’est pas une œuvre Queer à la base, quoi qu’elle soit plutôt appréciée de la communauté de par la présence des deux personnages LGBTQIA+.
Si ça reste une source intéressante d’information de base, je trouve qu’il y a de plus en plus de raccourcis et d’infos un peu bidons dans les articles de wikipédia, il m’est arrivé plusieurs fois de tiquer très fort sur des choses dites dans les articles et je dois de plus en plus faire le tri et vérifier les sources quand je veux être sûre de ne pas dire n’importe quoi sur un sujet que je ne maîtrise pas…
OK, je dois la voir maintenant ! Je ne connaissais que de loin, j'ai envie d'en savoir plus