J’ai mis au placard l’article que j’avais prévu pour aujourd’hui. Je l’ai écrit en fin de semaine dernière sans être vraiment convaincue. Parce que je savais que je ne pourrai pas faire comme si de rien n’était. Parce que je savais que j’aurais envie d’écrire sur les résultats du premier tour. Parce que je savais que j’en aurais besoin.
9 377 297.
9 377 297 personnes ont voté RN.
Presque dix millions. Plus même si on compte leurs alliés.
Dix millions de votes fachos en France.
Dix millions de fachos en France ?
J’arrive pas à y croire.
Je ne veux pas y croire.
Je peux y croire.
Je m’étais préparée. Je savais vers quoi on allait. Je ne me suis pas laissée emporter par l’optimisme. Je savais qu’on aurait ce genre de chiffres…
9 377 297.
J’ai la nausée, et j’aimerais que ce soit juste une référence littéraire. Mais j’ai littéralement la nausée, pas littérairement. Depuis dimanche soir, j’ai le cœur aux bord des lèvres, sûrement parce que je ne sais plus quoi en faire de ce cœur, brisé, piétiné, écorché vif et empoisonné par toute cette (r)haine ambiante.
Mon corps a lâché avant mon moral. Alors que j’étais dans mon canapé, à lire le troisième livre du weekend, à tout faire pour ne penser à rien, mon corps savait déjà ce qui allait se passer. Mon corps malade, celui qui fait de moi une handicapée, et qui fait de moi une cible de celleux que dix millions de mes compatriotes veulent mettre à la tête de notre pays. Ce corps savait avant moi. Alors il m’a créé tout un tas de symptômes, pour que je ne pense pas trop. Mal au cœur. Mais à la tête. Mal aux mains. Vertiges…
Je suis allée voter dans un état second. Habillée tout en bleu et bleu marine, étouffant un fou rire dans l’isoloir quand j’ai réalisé que mon code couleur était tristement adapté.
9 377 297.
Oui on fait presque autant avec le Front Populaire. Ça nous fait une belle jambe.
Est-ce que je veux vivre dans un pays où dix millions de personnes votent fasciste ?
Est-ce que je peux vivre dans un pays où dix millions de personnes votent fascistes ?
De toute façon, je dois y vivre dans ce pays, je n’ai pas le luxe d’avoir le choix. Les questions ne se posent tout simplement pas.
Je me souviens quand j’étais gamine et que j’écoutais l’Avenir est un long passé de Manau et que j’avais envie de pleurer parce que je trouvais la situation horrible.
J’aurais jamais cru qu’on en arriverait là.
Après le nom d´Hitler, j´ai entendu le nom du front
J’ai toujours qu’on en arriverait là.
Je suis épuisée.
Je voudrais me rouler en boule sous ma couette, Trufa à côté de moi et passer la semaine à dormir.
Passer l’été à dormir.
Dormir.
9 377 297.
Mais bien sûr ça n’est pas possible. Il faut se relever. Il faut se battre. Il faut avancer, tête baissée, face au vent et faire ce qu’on peut. Parce que ne pas le faire serait mourir.
Je n’arrive plus à me projeter à plus de deux ou trois jours. J’avance en aveugle. Il n’y a plus de long terme. Plus de moyen terme. Il n’y a plus que le court, très court terme.
Je ne vois même pas jusqu’à la fin de semaine.
Tout est incertain. Tout est noyé dans le vacarme que font les bottes sur les pavés.
Vous les entendez ?
Je voudrais hurler. Pleurer. Picoler. Taper sur quelque chose.
Me défouler.
Et rebondir.
Mais rebondir est de moins en moins possible.
Alors on continue. Parce qu’on peut pas faire autrement.
On vote dimanche. Tout sauf le RN. Tout sauf la haine. Tout sauf le fascisme.
On espère limiter les dégâts.
Ensuite on continue le combat.
Parce que y a pas de fin. Y a jamais de fin.
Y a tellement pas de fin qu’une chanson sortie il y a 25 ans aurait pu être écrite hier.