Je suis très comédies musicales et j’hérite sûrement de cette passion de mes parents qui m’ont allègrement montré Grease, Hair, The Rocky Horror Picture Show, La petite boutique des horreurs pour la plupart avant que j’atteigne un âge à deux chiffres. Autant dire que j’ai été biberonnée aux comédies musicales et que j’ai toujours rêvé de vivre dans un monde où on se met à chanter et danser à la moindre occasion (quoi que l’épisode musical de Buffy m’ait montré l’aspect un peu flippant de cette idée).
A noël, une de nos traditions est de regarder des films ensemble, souvent des films qui remontent un peu le moral, et il y a très souvent des comédies musicales dans le tas. Ces dernières années, une comédie musicale à propos d’un groupe majoritairement LGBTQIA+ d’artistes à New-York en pleine épidémie du SIDA est devenue un incontournable1. Rent. Et si le thème : le SIDA à New-York au début des années 90 peut paraître étrange en film feel good de noël, c’est finalement pas surprenant quand on connaît le film, son histoire, son impact et le(s) message(s) qu’il véhicule.
One Song Glory
Rent c’est d’abord une très bonne comédie musicale et donc, de très bon numéros musicaux. La plupart des chansons sont totalement écoutables en dehors de la vision du film (ce qui est un bon signe de qualité en général). Sorte d’opéra rock (basée de façon un peu éloignée sur La Bohème de Puccini), ses chansons sont loin d’être des chansons basiques de comédies musicales et sont originales, pleines d’énergies et transmettent parfaitement les sentiments des personnages et de l’histoire.
Il faut dire que cette comédie musicale a été écrite par Jonathan Larson, un homme très talentueux qui ferait sûrement partie des grands noms… S’il n’était pas subitement décédé à 36 ans la veille de la première représentation off-Broadway de Rent. Il ne nous a donné que deux œuvres du coup : Rent et Tick Tick Boom (que je vous conseille aussi, adapté en film avec Andrew Garfield et vraiment génial). Mais son talent a été reconnu, il a eu trois Tony Awards et a même eu le Pulitzer for Drama pour Rent (seulement une demi-douzaine de comédies musicales ont eu ce prix).
Ce destin tragique ajoute à la mystique de Rent. Son créateur n’a jamais pu voir le résultat de son travail, il n’a jamais pu voir à quel point sa comédie musicale a impacté plusieurs générations et donné une voix à des personnes qui n’en avaient pas. Rent est vite devenu un phénomène. C’est une comédie musicale qui a fait des centaines de représentations à Broadway, les gens venaient de tout le pays pour la voir et elle est toujours aussi populaire dans ses nombreuses réincarnations depuis.
Tellement populaire qu’un film a été tourné en 2005, soit presque dix ans après la première de la pièce. Et dans ce film, six des huit personnages principaux sont interprétés par les acteurices qui ont créé la pièce. Seulement deux actrices ne sont pas revenues, une parce qu’elle se trouvait trop vieille pour jouer le rôle, l’autre parce qu’elle était enceinte au moment du tournage. Et si certains critiques ont moqué le fait que le cast original soit dans le film, et que du coup nos artistes bohèmes soient plus âgés que ce que l’histoire semble dire, la magie du cinéma opère et les actrices et acteurs interprètent leurs rôles avec tellement de talent qu’on n’y voit que du feu.
Seasons of Love
La première fois que j’ai vu Rent et que je suis ensuite allée chercher des informations dessus, j’ai été très surprise de découvrir que son créateur Jonathan Larson était cis-hétéro. Parce que pour moi Rent est avant tout une lettre d’amour aux personnes LGBTQIA+, à leur créativité, leur joie, leur résilience2 et à leur diversité. Au centre de Rent se trouve une petite famille choisie composée de représentant·es d’à peu près toutes les lettres de l’acronyme LGBTQIA+ et la plupart des relations amoureuses sont queer.
Et si ce film est une lettre d’amour, c’est parce qu’il comprend et montre bien les enjeux de la communauté LGBTQIA+. Dans le film on parle SIDA (puisqu’on est au début des années 90 et qu’une grande partie des persos principaux sont HIV-positives et HIV-positifs), décalage avec des parents traditionnels, lutte des classes, création artistique, activisme, recherche de communauté…
L’histoire de Rent fourmille de dizaines de thèmes et de storylines, c’est finalement très dense, une sorte de fine dentelle où on arrive à garder des équilibres que peu de fictions arrivent à garder. Ici, tous les personnages ont leur importance, leurs besoins, leurs histoires, leurs défauts, leurs trajectoires. Ici, on garde l’équilibre entre l’horreur de l’épidémie de SIDA fin 80/début 90 sans faire de trauma porn et sans oublier de montrer que les gens continuaient de vivre et d’éprouver de la joie. Ici, on montre la force de la communauté, la beauté des rêves, l’impact de l’art et de la créativité, tout en ne cachant pas la réalité de la gentrification, de la misère, de la maladie, du fait de devoir parfois se vendre pour gagner sa vie. Les personnages sont à la fois plein de vie et aux portes de la mort. On passe du bonheur à la tristesse comme on le fait dans la vraie vie, sans faux positivisme, sans misérabilisme. On trouve parfois de la joie dans le malheur et on est parfois tristes même dans le bonheur. Les émotions et les relations sont complexes et pures à la fois.
Rent pour moi est la représentation parfaite de ce qu’on appelle la “queer joy” (joie queer). Cette joie qu’on ressent, et qu’on va chercher, à être nous-mêmes, à célébrer nos identités queer, et qui nous recharge pour la lutte. C’est une joie militante, qui est sensée nous permettre de puiser les forces de survivre et de continuer à nous battre pour nos droits, pour notre survie. Cette joie queer ne trouve pas ses racines dans la promesse d’une vie parfaite, ou dans un déni de la réalité, mais bien dans la réalité sombre de notre monde et le besoin d’y trouver du bonheur. Chercher le bonheur devient un acte militant quand les dominants veulent te détruire.
Et même si c’est un bonheur qui peut nous briser le cœur, il faut le coup d’être vécu, d’être recherché. Parce que se fermer à cette joie queer serait perdre la bataille. Pour moi, c’est ça avant tout la Pride. C’est chercher la joie queer, c’est utiliser cette période de l’année non pas pour du positivisme forcé et toxique ou pour faire la fête et oublier la réalité, mais bien pour revendiquer le droit au bonheur et s’en saisir même dans cette réalité.
ça ne m’empêche pas par ailleurs de voir le film au moins une ou deux fois de plus dans l’année… A ce stade je ne saurais pas dire combien de fois je l’ai vu.
à défaut d’autre mot, un jour je vous dirai pourquoi j’en suis venue à détester le mot résilience