En fin de semaine dernière, ma mère m’a partagé une tribune de 100 hommes en soutien à #meToo. Cette tribune publiée par Elle (et passée depuis en article payant, vraiment classe de la part du magazine), regroupe 100 hommes (artistes et mathématiciens principalement) qui se positionnent en soutien à #meToo en général et à ce qui se passe en ce moment dans l’industrie du cinéma en particulier. Je n’ai pas pu la relire, puisqu’elle est maintenant payante, mais quand je l’ai lue sur le moment je l’ai trouvée plutôt bien écrite. J’ai apprécié que les hommes, pour une fois, visent les hommes dans cette tribune. Au lieu de juste parler de comment ils soutiennent les femmes, ils parlent de leur refus de la masculinité hégémonique et de toutes les violences qu’elle entraîne.
Sur le moment, j’ai trouvé ça très cool. Avec ma mère on s’est dit que ça serait super si les hommes prenaient plus souvent ce genre de positions, mais on se l’est dit de façon positive, en espérant que ça entraîne un mouvement. Et puis petit à petit, le soufflé est retombé et c’est un goût un peu amer qui m’est resté en bouche.
Non, mais, attendez ? En 2024, je me réjouis qu’une centaine d’hommes disent un truc aussi tiède que “le viol c’est mal” ? On en est vraiment encore là ? Et puis… 100 hommes ? CENT hommes ? Ils pouvaient pas en trouver un peu plus ? N’importe quelle pétition sur change.org récupère plus que ça en quelques minutes… (et une partie de ces 100 hommes est faite de parfaits inconnus, donc c’est même pas une tribune de 100 hommes star ou je ne sais quoi). Bref, je n’ai rien contre les hommes qui ont signé cette tribune, mais on est quand même au degré zéro du militantisme. C’est le genre de choses dont on aurait pu se satisfaire il y a quarante, cinquante, soixante ans… Pas en 2024.1
Et depuis, j’ai cette question qui me tourne dans la tête. Ils sont où les hommes ? Eux qui occupent toujours tout l’espace, à tous les niveaux. Eux qui dominent absolument tous les sujets, sont les spécialistes de tout… Ils sont où quand on parle de féminisme ? Ils sont où quand on lutte pour un monde sans patriarcat ?
Nowhere Man
S’il y a une chose qu’on peut dire assez facilement, c’est qu’ils ne sont pas dans les associations militantes féministes. En tout cas pas en gros nombre. C’est d’ailleurs très drôle parce qu’à chaque fois qu’une association un tant soit peu féministe a décidé de passer à la non-mixité de genre, elle s’est pris un énorme backlash… Alors qu’en général elle avait au mieux une poignée d’hommes qui ne servaient pas à grand chose.
A chaque fois que j’ai milité dans des endroits mixtes, les quelques hommes présents avaient tendance à prendre beaucoup de place mais à ne jamais vraiment faire quoi que ce soit de concret. Les femmes étaient celles qui menaient les actions, qui organisaient la lutte, qui produisaient les ressources, qui cherchaient les partenariat… Et les hommes étaient là et brassaient de l’air, parfois avec une ou deux fulgurance mais jamais plus.
D’ailleurs dans la plupart des associations militantes mixtes qui n’avaient pas comme objet principal le féminisme mais se disaient “aussi féministes” et qui pour le coup avaient des hommes actifs, j’ai cherché très loin et très longtemps où il y avait du féminisme et ai en général fini par partir parce qu’il n’y avait rien de fait à ce sujet (voire qu’on nous mettait des bâtons dans les roues quand on essayait de faire quelque chose). J’ai d’ailleurs aussi quitté une association militante qui se disait “aussi féministe” parce qu’un homme a eu des propos sexistes contre une copine et moi et que personne n’a voulu rien faire, arguant qu’il était là depuis longtemps et se renvoyant toustes la patate chaude jusqu’à ce que ma copine et moi on claque la porte.
Et même quand on sort du milieu militant, et qu’on va juste dans les communautés “woke” (ou, pour parler correctement, disons les communautés qui ont à cœur l’éthique et la justice sociale), les hommes s’effacent complètement quand on parle féminisme. En général, ils prennent une position basse, d’observateurs et laissent les femmes mener les discussions, les actions… Et quand ils se fendent d’un partage sur les réseaux sociaux ou d’un commentaire qui va dans le bon sens dans une discussion on sent que ça leur demande déjà beaucoup d’effort. D’une manière générale, je pense que les hommes considèrent que cette question du patriarcat, du sexisme, des masculinismes n’est pas leur responsabilité. Au mieux, ils sont à l’écoute des femmes mais se détachent complètement de la réalité, comme si nous étions les seules à vivre ces questions.
Je n’ai jamais vu un homme reprendre un autre homme dans une situation sociale après des propos ou actes sexistes. Ni à chaud, ni à froid. J’ai vu plein de fois des femmes intervenir dans ce genre de situations, des hommes, jamais. J’ai même vu des femmes s’interposer dans des moments de violences et n’ai jamais expérimenté la même chose venant d’hommes. Alors, oui, je suis consciente que mon expérience n’est pas la règle et que ça doit arriver. En attendant, je ne connais pas une femme qui compte sur les hommes pour lui porter assistance dans ce genre de cas.
Quand on questionne l’inaction des hommes quant à la lutte féministe, ils aiment bien nous brandir comme un bouclier le fait qu’ils sont “en déconstruction” et donc ne connaitraient pas encore assez bien les sujets pour intervenir de façon pertinente. La réalité c’est que la déconstruction n’est pas quelque chose qui se finit. On aura toujours à déconstruire des biais oppressifs (à moins qu’on vive un jour dans une utopie mais j’ai du mal à y croire). Nous non plus on n’est pas parfaitement “déconstruites”, pour autant on n’a pas le luxe d’attendre avant d’agir.
Et puis, bien sûr, ils nous racontent la fois où ils ont essayé d’intervenir et que les féministes ont été méchantes, blessure terrible. Ca me rappelle un peu cette anecdote que tout homme à qui on demande pourquoi il ne s’interpose pas quand il voit une femme être agressée par un homme dans la rue où la femme se retourne contre lui avec l’homme (drôle comme tout le monde a vécu la même chose).
Je ne nie pas qu’il est possible que des hommes aient été agressés par des femmes quand ils ont essayé d’intervenir sur un sujet en lien avec le féminisme. J’ai déjà vu ce genre de choses arriver. Je doute cependant qu’absolument tous les hommes l’aient vécu. Et je doute aussi que ce soit toujours aussi clair que ce qu’ils aiment raconter. Parce que j’ai aussi vu plein de fois des hommes être complètement à côté de la plaque sur un sujet, se faire poliment recadrer, et partir complètement en vrille et jurer que, puisque c’est comme ça, ils ne s’intéresseront plus jamais aux sujets féministes !
La réalité c’est qu’il m’est déjà arrivé d’intervenir sur un sujet féministe et de me prendre des réactions agressives de la part d’autres femmes en retour. Personne ne m’applaudit ou ne me file un cookie quand je dis quelque chose sur un sujet féministe, en général c’est plutôt reçu avec de la violence. C’est bien pour ça qu’on appelle ça une lutte, hein. Alors oui c’est pas agréable. Mais les femmes féministes qui décident d’être visibles publiquement se prennent des menaces, des appels au viol, des agressions, se font doxxer… A un moment avoir juste quelqu’un qui est pas super gentil en réponse, je pense que les hommes peuvent s’en remettre, non ?
It’s Raining Men
D’autant plus que par contre avoir des remontées agressives ne semble pas les arrêter de faire des #notAllMen à tout va. On ne peut pas dire “les hommes” sur un réseau social ou dans un article sans qu’il y ait au moins l’un d’entre eux pour venir nous dire “non mais pas tous les hommes ohlala”. Bizarrement quand on dit “les français aiment le fromage” y a personne pour faire #notAllFrançais ! Non, on ne comprend plus le principe de groupe social et de généralisation que quand on parle des hommes, étrangement. (eux par contre ont le droit de dire “les femmes sont émotives” par exemple bien sûr)
Et quand ils viennent pas nous rappeler que PAS TOUS LES HOMMES D’ABORD, ils utilisent leur temps précieux à venir dérailler les discussions ou chercher des cookies. “Oui les femmes subissent du harcèlement sexuel dans les transports mais moi si je rentre tout seul à pied à 4h du matin je risque de me faire tabasser !” (aucun rapport mais merci de ta participation). “Ohlala oui c’est horrible que les femmes aient à toujours faire attention à ce qu’elles portent, moi ça me viendrait jamais à l’idée de juger selon la longueur de la jupe ! “ (super, voilà ton cookie, tu veux pas faire un truc un peu plus utile maintenant ?).
Tout ça nous fait perdre, à nous, un temps et une énergie sans fin. Moi honnêtement ce genre de réponses j’ai tendance à les ignorer, voire à les bloquer maintenant, parce que je ne vois pas l’intérêt. Je suis fatiguée de passer mon temps à devoir parler à ces hommes et à justifier ce dont je parle, alors qu’eux n’ont absolument aucun argument, d’autant plus qu’ils sont persuadés d’être quand même du côté des femmes. Ces hommes là très souvent se croient de bons alliés même. Juste, cette fois-ci la généralisation était de trop, il fallait absolument rétablir la vérité !
En attendant, je ne vois aucun homme produire un vrai contenu contre le masculinisme par exemple. AH ! Attends, NOT ALL MEN ! Il y en a quelques-uns, une pincée… Et le problème c’est que je ne peux même pas vous les citer parce que je suis à peu près sûre que même ceux qui pour l’instant produisent des contenus correct vont petit à petit glisser vers… le masculinisme.
Et oui, c’est paradoxal, autant que les meufs féministes qui glissent vers l’extrême droite (et ça aussi on en parlera un jour parce que c’est un phénomène bien plus courant qu’on pourrait le croire), mais c’est en général ce qui se passe. Les hommes qui essaient de combattre le masculinisme, finissent en général par se radicaliser.
Pourquoi ? Moi j’aurais tendance à dire parce qu’ils ne le font pas pour la bonne raison et pas de la bonne façon. Des études ont montré par exemple que la non-mixité fonctionne bien pour les personnes appartenant au groupe dominé mais qu’elle était contre-productive pour les personnes appartenant au groupe dominant. Plus précisément, à chaque fois que des hommes créent un groupe en non-mixité pour contrer la masculinité et être de meilleurs alliés dans la lutte contre le patriarcat… Ils finissent par créer une nouvelle branche du masculinisme.
C’est assez logique en fait. Si vous mettez des dominants dans une même pièce et que vous leur offrez un safe space où ils peuvent parler de leurs ressentis sur l’oppression que leur groupe effectue… Et bien, très vite, c’est humain, ils vont se plaindre. Souvent ils vont commencer par parler de comment ils se sentent pas assez virils, comment des hommes plus virils qu’eux les dominent… Et petit à petit le discours va glisser. Ils vont complètement oublier que leur but était d’être des alliés, ils vont se centrer (d’autant plus que les hommes sont socialisés pour se centrer dans toutes les situations, ils sont sujets et les femmes sont objets, difficile de renverser ce schéma sociétal quand on n’est qu’entre sujets…) et partir complètement à la dérive.
En fait si on réfléchit c’est assez logique que les outils servant aux personnes dominées à s’émanciper ne soient pas adaptés pour aider les personnes dominantes à déconstruire leur domination. Ce sont deux objectifs et deux positionnements diamétralement opposés, qui demandent ses solutions différentes.
Bon et puis vraiment dans les mecs qui créent du contenu “allié féministe” ou “anti masculiniste”, il y en a plein qui dès la base sont assez craignos en fait. Sauf qu’on a tellement peu d’hommes qui se positionnent sur ces sujets qu’on laisse passer la médiocrité et après on se demande pourquoi ça dégénère… Et finalement on finit par dire aux hommes de ne plus intervenir sur ces sujets parce que ça nous demande ensuite encore plus de travail de tout contrer (un peu comme quand dans un couple la femme finit par dire à l’homme d’arrêter de passer l’aspirateur parce qu’à chaque fois elle est obligée de repasser derrière… tiens tiens…)
Mais soyons clair·es, si je demande aux hommes d’assumer leurs responsabilités, je vais aussi demander aux femmes, aux féministes de le faire. Parce que tout ça c’est aussi un peu de notre faute. Il faut qu’on arrête de mettre autant en avant tout le temps que le patriarcat fait aussi du mal aux hommes. Cet argument, sensé rallier les hommes à notre cause, fait du mal. Parce que, si sociologiquement oui les hommes ont aussi des contraintes à vivre dans le patriarcat, et que particulièrement certains hommes aux masculinités moins normées peuvent carrément en souffrir, on n’est pas du tout sur le même plan. Les femmes sont oppressées, on n’a pas d’avantage à vivre cette oppression (et si vous me parlez de l’entrée gratuite en boite, je vous préviens, je me mets à hurler !). Alors que les hommes sont les dominants, ils ont majoritairement des avantages, des privilèges, qu’ils devront abandonner si on veut atteindre un jour une société plus juste socialement. Ça n’a rien à voir.
Et encore une fois, les hommes sont socialisés pour centrer leur expérience, leurs sentiments, leurs désirs en toute situation. Si en plus nous on fait la même chose quand pour une fois on leur demande de centrer nos besoins, nos expériences et nos désirs à nous, on va jamais réussir à rien.
No More Mr. Nice Guy
Donc maintenant on va arrêter de tortiller et de brosser les hommes dans le sens du poil pour qu’ils daignent accepter un peu notre lutte pour notre survie. On est en 2024, il est temps de traiter les hommes comme des adultes.
On veut qu’ils soient de vrais alliés, pas juste qu’ils jouent les alliés pour se donner bonne conscience. A aucun moment on ne leur demande de parler à notre place, je préfère le répéter encore une fois, mais le truc c’est qu’ils sont concernés par les mêmes choses que nous, puisque si on est concernées par une oppression, c’est bien que quelqu’un nous oppresse.
Quand on parle des VSS (Violences Sexistes et Sexuelles), nos abuseurs ne sont pas des entités abstraites mais bien des hommes. Donc, les hommes font bien partie de cette équation et devraient avoir des choses à dire sur ce sujet. Et pas seulement “ohlala c’est pas bien, je refuse d’être associé aux hommes qui font ça”. Je veux dire, déjà si tous les hommes pensaient vraiment ça les choses iraient mieux j’imagine, mais on n’en est plus là. Il est temps que les hommes fassent un vrai travail sur ces sujets. Qu’ils s’éduquent. Qu’ils transmettent ensuite cette éducation. Qu’ils fassent de la recherche. Qu’ils militent, qu’ils s’organisent, qu’ils créent des actions… Bref, qu’ils prennent un peu part à tout ce qu’on fait nous depuis des siècles pour faire avancer la justice sociale.
Parce que c’est bien gentil de jouer à l’homme déconstruit et de critiquer les masculinistes, mais à un moment il faudrait passer à la vitesse supérieure. Je me fiche de savoir si tu as lu Simone de Beauvoir (dont je n’ai honnêtement lu moi-même que des extraits), par contre, je m’attend à ce qu’en tant qu’homme allié de la lutte féministe tu considères que ton rôle soit de :
remettre en question le patriarcat, le masculinisme et tout ce qui en découle, et bien sûr pas juste intérieurement mais à chaque fois que tu croises ces éléments dans ton quotidien, dans toutes tes pratiques
ne plus te dédouaner quand on parle de sexisme, que tu prennes tes responsabilités, que tu admettes que tu bénéficies du système, que tu agisses ou non comme un masculiniste en tant qu’individu (et merci de surtout ne pas partager avec nous les moments où tu as été un horrible masculiniste, va voir un psy, on n’est pas là pour t’aider à digérer ce genre de choses)
checker ton groupe social. C’est le rôle de tout groupe social, de s’auto-réguler. Alors oui, souvent c’est des auto-régulations qui sont pas cool, du genre “ohlala il faut que je dise à Pierre-Yvette qu’elle peut pas porter autant de maquillage on dirait une prostituée”. Mais passons à une régulation positive. Après tout, un homme n’écoutera jamais personne autant qu’il écoutera un homme, autant que ça vienne de vous.
arrêter de chercher des gratifications. Encore une fois, le combat pour la justice sociale n’est pas un truc fun, c’est fait pour changer la société. C’est compliqué, ça avance doucement (quand ça ne recule pas) et on s’en prend plein la tronche. Personne ne reçoit de cookie ou de bon point pour avoir fait la bonne chose, c’est ça la réalité de la vie d’adulte, il est temps de l’accepter.
travailler ces sujets. Laisser la place aux concernées c’est important, mais travailler ses versants du sujet c’est important aussi. Pourquoi on serait les seules à faire tout le taf, tout le temps, alors qu’il s’agit de la relation entre nos deux groupes sociaux ?
Par ailleurs honnêtement j’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi ils ont choisi Elle comme endroit où poster leur tribune. Elle, vraiment ? Un magazine féminin qui au moment où je vous écrit a comme articles en une : “Meghan et Harry : comment vont-ils célébrer les 5 ans de leur fils Archie ?”, “Faut-il se couper les cheveux avant ou après l’été ?” ou “En robe naïade, Blake Lively électrise les rues de New York”. Pourquoi pas publier dans une presse militante ? Ou alors les questions de viol sont des questions de bonne femmes qui vont dans les magazines féminins ? J’avoue que je ne comprends pas.
Pourquoi publier dans de la press militante où les lecteurs sont pour beaucoup dans la dèche, quand on peut gagner des bons points chez la classe des femmes blanches bourgeoises qui veulent se donner bonne conscience de temps en temps ? Si on a besoin de mécènes et de subventions, c'est chez les personnes qui ont du temps, de l'argent, et la volonté d'aider de bons jeunes hommes et autres grands maîtres. Les personnes qui sont des épouses-de, ou/et des trésorière/présidentes d'organisations bien loties, et/ou membres de conseils d'administrations et autre jury de grandes écoles etc. Bien sûr, "not all men" dans cette tribune ont fait ce genre de calculs... ;)