[34] La pire attaque validiste que j'ai vécue
Quand des personnes que tu pensais plutôt éthiques s'avèrent d'un coup être incapables de te voir comme une vraie personne en raison de ton handicap...
Il m’aura fallu des mois pour digérer assez cet évènement pour pouvoir en parler. Et aujourd’hui encore, écrire cet article n’est pas quelque chose de facile pour moi. Devoir me replonger dans les échanges de mails, remobiliser ce qui s’est passé, ravive d’abord une souffrance que je croyais relativement digérée mais surtout une colère qui menace de tout brûler.
C’est drôle parce qu’avant même d’être handicapée1, j’ai été témoin du validisme et de la violence que cette oppression pouvait déclencher. J’ai vu des ami·es handicapé·es subir les regards, les réflexions, les discriminations, les violences et je les ai soutenu·es dans ces épreuves. Je milite contre le validisme depuis des années, d’abord en tant qu’alliée, puis en tant que concernée, et ça n’est pas pour rien que la deuxième conférence que j’ai écrite, The invisible elephant in the room (en anglais), est sur ce sujet.
Depuis mon covid long, j’ai vécu plusieurs situations de discriminations, d’attaques validistes. J’en avais d’ailleurs parlé dans un article cet automne. Mais ces attaques venaient en général de personnes inconnues et sur des enjeux peu importants pour moi, que je pouvais facilement mettre à distance.
J’ai aussi bien sûr vécu des discriminations plus grave, comme dans la santé par exemple, mais ça rejoint ce que je vis depuis l’adolescence à cause de la grossophobie, donc je suis armée contre ce genre d’attaques. Par contre, vivre ce genre de violences venant de personnes que je connais, que je respecte, avec qui j’ai un historique… Ça ne m’était en fait jamais arrivé. Et j’ai eu beaucoup de mal à m’en relever.
Aujourd’hui j’ai enfin décidé qu’il était temps d’en parler. Cet article sera compliqué à écrire pour moi, et peut-être que ça se ressentira à la lecture, mais si je ne le fais pas aujourd’hui je ne le ferai jamais, et je pense que c’est important d’en parler.
L’inclusion en théorie
Quand je suis arrivée dans cette association d’organisation d’évènements tech, j’avais déjà mon covid long et je ne m’en suis jamais cachée. J’ai intégré cette association avec à cœur d’amener de nouvelles pratiques afin de la rendre plus inclusive, que ce soit en interne ou pendant les évènements et la première année j’ai eu l’impression de pouvoir mettre des choses en place, de pouvoir faire petit à petit évoluer certaines choses, bouger quelques lignes. Ça n’était pas une mission officielle donnée par l’association mais je m’étais emparée du sujet parce que je pensais que c’était une association qui avait assez de bonne volonté à ce sujet pour que quelqu’un qui s’y connaisse un peu sur ces sujets puisse trouver un écho.
L’association organise un gros évènement dans l’année, qui demande un travail de préparation toute l’année et ensuite un travail sur place d’organisation, de gestion, d’animation. Si le travail de préparation est un travail de longue haleine qui demande un investissement de temps sur toute l’année, les trois jours de l’évènement sont plutôt trois jours de travail intensif. N’importe qui ayant bossé dans l’évènementiel ou dans l’animation peut à peu près imaginer ce dont je parle. On ressort de ces trois jours épuisé·es mais aussi avec une très grande satisfaction et quelques très bons souvenirs.
La première année, j’ai décidé de tenter l’expérience telle quelle. J’ai uniquement demandé à ne pas porter de charges lourdes et/ou trop encombrantes parce que mes mains ont tendance à lâcher et donc je risquais de me blesser. Globalement, ça n’a impacté que l’installation du premier jour, où j’ai évité tout ce qui était trop lourd ou encombrant. Sur les trois jours, j’ai fait ce que n’importe qui d’autre a fait dans l’équipe de bénévolat et j’avais un planning aussi chargé. Je n’ai pas fait le rangement à la fin de la dernière journée parce que j’avais un des trajets les plus longs et sur une ligne de train où je risquais de me retrouver coincée si je partais trop tard, alors les collègues m’ont proposé de partir plus tôt, vu qu’il y avait assez de monde pour ranger.
Honnêtement, j’ai un très bon souvenir de cette première année… Pour autant, quand je suis rentrée chez moi, j’ai compris que l’année suivante je ne pourrai pas me permettre de conserver ce rythme. Une fois l’adrénaline retombée, dans le train, je me suis mise à avoir des douleurs terribles et j’ai cru que je n’arriverai jamais chez moi entière. Le trajet du retour a été un enfer, et sur le chemin de la gare de ma ville à chez moi, je me suis mise à pleurer de douleur et j’ai triplé mon temps de marche tellement j’étais au ralenti et incapable de fonctionner correctement. Il m’a fallu trois semaines pour me remettre de l’évènement, incluant une première semaine où je n’ai globalement pu rien faire d’autre que me reposer pour récupérer.
Et malgré tout ça, j’ai très vite hésité à demander des aménagements l’année suivante. On est dans une société où on nous dit que ce sont les personnes handicapées qui doivent faire l’effort, que demander des aménagements est injuste, voire un comportement capricieux. Et si c’est quelque chose que j’ai complètement déconstruit par rapport aux autres, c’est un schéma dans lequel j’ai du mal à ne pas retomber quand il s’agit de moi. J’ai toujours été habituée à faire les efforts avec mes autres handicaps avant le covid long, une partie de moi continue à penser que c’est toujours à moi de m’adapter, que demander aux gens de s’adapter est injuste, égoïste, voire une atteinte à leur liberté.
Si je n’avais pas eu un deuxième covid durant cette deuxième année de bénévolat dans l’association, je me serais sûrement dégonflée et aurai considéré que si je voulais être bénévole, c’était le prix à payer. Mais mon deuxième covid, arrivé six mois avant le deuxième évènement où je devais être bénévole, a tellement impacté ma santé pour le pire que je n’ai pas pu me voiler la face. Cette fois-ci, je ne tiendrais pas si je ne demandais pas des aménagements. Quand a approché le moment de préparer les plannings des bénévoles, j’ai donc contacté la personne qui s’en chargeait pour lui dire qu’il fallait qu’on discute parce que, comme elle le savait (j’en avais parlé plusieurs fois durant les mois précédents), ma santé avait empiré depuis l’année précédente et vu le coût que ça avait eu sur ma santé, je ne pourrais pas cette fois-ci me forcer à suivre le rythme par défaut.
La personne m’a répondu que ça tombait bien, que justement le président lui avait posé des questions à ce sujet, et que ça serait bien qu’on fasse une réunion tous les trois. Honnêtement, a posteriori, j’aurais dû ici voir le premier red flag. Le fait que le président et la coordinatrice parlent de mes capacités à tenir le poste de bénévole sans m’en parler à moi dans un premier temps, était déjà pas terrible. Le fait que le président prenne part à la discussion aussi aurait dû m’inquiéter. La coordinatrice gérait les plannings, si ça avait été une discussion sans arrière pensée, sans remise en cause de mon statut de bénévole, alors il n’y avait aucune raison d’inclure le président. Mais ça, à ce moment-là, je ne l’ai pas vu. J’étais en confiance dans cette association. Jusque là les gens avaient été à l’écoute sur les sujets que j’amenais à propos de l’inclusion, et je n’avais pas vraiment de raison de douter qu’ils le soient à mon sujet aussi.
On a fait l’entretien un vendredi après-midi. J’en suis sortie satisfaite, j’ai pu expliquer ma problématique et mes deux interlocuteur·rices étaient à l’écoute. A un moment, ils m’ont demandé ce qui concrètement pourrait être pensé comme allègements, j’ai évoqué plusieurs idées, principalement une tâche que je ne pouvais clairement pas faire parce que trop physique et un allègement du temps de bénévolat pour que je puisse me reposer un peu plus et finir moins épuisée à la fin de la journée. A la fin de la discussion iels m’ont dit qu’iels reviendraient vers moi après avoir réfléchi à ce qui était possible.
Le vendredi suivant, iels m’ont proposé qu’on se revoit en fin d’après-midi. Je suis allée au rendez-vous avec l’idée qu’iels allaient me proposer des pistes d’aménagements et qu’on allait affiner un peu ensemble selon ce qui était possible ou pas d’un côté comme de l’autre… Je suis complètement tombée de ma chaise quand ils m’ont annoncé qu’ils avaient décidé que c’était trop compliqué et que donc je ne serai pas bénévole à cet évènement. Honnêtement, j’étais tellement surprise que je dirais que j’étais carrément sous le choc.
L’argument principal, qui m’a été répété plusieurs fois dans cet entretien qui, je pense, avait été bien préparé, était que l’association avait des problèmes de trésorerie et que donc c’était vraiment pas l’année où elle pouvait se permettre ce genre de dépenses. Mes demandes d’aménagements, selon elleux, voulait dire qu’il fallait au moins un poste en plus et l’association n’avait pas les moyens, donc à la place iels allaient me remplacer par une personne que je connaissais un peu parce qu’on était ensemble dans un autre espace communautaire qui avait demandé à intégrer l’équipe pour l’année suivante. En plus des arguments financiers, ils se sont mis à me sortir tous les arguments validistes imaginables (et pourtant j’ai une bonne imagination) et à me répéter que c’était pas un choix facile, mais que c’était mieux pour moi. Ils m’ont précisé que j’étais bien sûre invitée à participer en tant que membre du publique à l’évènement… Sauf que bien sûr ils ne me payaient pas l’hébergement ou les transports, donc je leur ai tout de suite dit que ça ne serait donc pas possible pour moi (ce à quoi ils ont répondu par insister que je pouvais sûrement trouver quelqu’un que je connaissais qui habitait pas loin et pourrait me loger, visiblement ils avaient pensé à tout). Très vite, l’échange a tourné en rond, dans cette boucle de “c’est pour ton bien” “on fait pas ça par plaisir” “on aurait aimé faire autrement” “on espère que tu pourras venir” et autres variations et complètement submergée par la violence de ce qui venait de se passer en quelques minutes, et toujours sur le choc, j’ai fini par réussir à ce qu’ils entendent que je voulais clore le rendez-vous.
Ils m’avaient dit pendant l’entretien qu’ils enverraient un mail pour prévenir l’équipe… Le mail est arrivé dans les cinq minutes de la fin du rendez-vous. Dedans, ils annonçaient la nouvelle personne qui me remplaçait, disaient qu’on avait trouvé que c’était trop compliqué que je sois bénévole, et n’évoquaient en argument que les problèmes financiers et mes problèmes de santé. Bien sûr tout était formulé comme si cette décision avait été prise en commun.
J’étais encore sous le choc du combo entretien + mail qui a suivi et je ne comprenais pas encore très bien ce qui venait de se passer quand la personne qui me remplaçait m’a contactée d’un gentil petit message pour me dire qu’elle ne savait pas que c’était moi qu’elle allait remplacer et qu’elle espérait que ma santé me permettrait d’être bénévole l’année suivante. Je l’ai félicitée et souhaité de bien s’amuser. Elle n’y était bien sûr pour rien et à ce stade j’étais encore dans une espèce de torpeur qui m’a duré tout le weekend.
Je n’ai parlé de ce qui s’était passé à personne pendant tout le weekend. J’avais besoin de digérer, de prendre du recul, de comprendre ce qui s’était passé et de décider de comment j’allais réagir. J’oscillais entre “ils ont raison c’est pour mon bien” et “je vais tout défoncer”, en passant par à peu près tous les états entre ces deux extrêmes. A la fin du weekend, j’en ai parlé à mes parents, à qui j’avais parlé de mon investissement dans cette association, sans même entrer dans le détail. Leur choc et colère pour moi m’a permis de me rendre compte que mon ressenti était légitime. Le lundi j’en ai parlé à plusieurs copaines, et plus j’en parlais, plus les gens étaient choqués, plus ça me fortifiait dans l’idée que ce qui venait de se passer n’était pas normal.
J’ai beaucoup réfléchi et j’ai décidé de ne pas tout cramer. J’avais envie de croire que quelque chose de constructif pouvait ressortir de cette situation. Clairement, ma relation à cette association était finie, mais peut-être que je pouvais apporter quelque chose pour la suite. Je croyais toujours dans le fait que les gens dans cette association avaient une volonté d’aller dans la bonne direction, et j’ai décidé d’apporter un peu de pédagogie, tout en disant clairement aux deux personnes impliquées à quel point ce qu’elles m’avaient fait subir n’était pas okay. J’ai fait un long mail, dans lequel je suis revenue sur des choses qui avaient été dites, des décisions qui avaient été prises, pour expliquer pourquoi c’était oppressif et violent. J’ai aussi prévenu que je quitterais l’association au prochain mandat et que d’ici là, je la quittais officieusement. J’ai aussi donné des indications très claires sur comment j’allais gérer cette situation en publique : toute personne me demandant pourquoi je n’étais finalement pas à l’évènement alors que j’avais annoncé ma présence aurait une réponse honnête. Je décidais de ne pas faire un scandale, de ne pas mettre l’association dans la sauce, mais je ne me silenciais pas non plus, c’était mon histoire et j’en parlerais à qui je voulais, mes proches en premier lieu.
Ils m’ont répondu dans un mail auquel je n’ai pas répondu, j’avais prévenu que je ne cherchais pas à lancer une discussion, et de toute façon il n’y avait rien dans leur mail qui vaille la peine de répondre. Depuis, je n’ai eu aucun contact avec qui que ce soit dans cette association, à part une personne qui était mon amie avant d’entrer dans l’association.
C’est pour ton bien
Bon. Je parle de violence, d’attaque et de validisme, et ce sont les mots appropriés, mais ce qui rend les choses un peu compliquées, et qui font que j’ai moi-même eu besoin d’un temps de digestion pour réaliser à quel point ça avait été violent, c’est que le validisme en question se voulait bienveillant. Honnêtement, en tant que personne concernée, j’ai toujours trouvé que le versant bienveillant des attaques oppressives étaient le pire. Quand le gens crachent leur grossophobie mais l’enrobent d’une jolie couche sucrée de “c’est pour ton bien” ou de “je m’inquiète juste pour toi” ou de “mais ta santé !” j’ai envie de tout casser. Bien plus que quand quelqu’un me dit des choses violentes.
Je ne sais pas comment expliquer mais pour moi les personnes qui ont des biais oppressifs et qui les expriment de façon dites “bienveillantes” (bien sûr il n’y a rien de bienveillant là-dedans en réalité) et arrivent à se convaincre qu’elles sont les gentilles de l’histoire et essaient juste d’aider les personnes qu’elles attaquent, ça me fait vriller. Je l’ai beaucoup vécu avec la grossophobie, qui est une oppression qui est souvent exprimée de cette façon (puisque l’argument de la santé donne une excuse toute trouvée et sensée être imparable). Je l’ai aussi vécu avec le sexisme bien sûr, et puis avec le validisme c’est quasiment que ça. Il faut dire qu’un des biais validistes les plus répandus est d’infantiliser les personnes handicapées et croire qu’on sait mieux qu’elles ce dont elles ont besoin, ce qu’elles aiment ou leur opinion… Donc globalement ça va plutôt bien avec l’oppression dite bienveillante.
Le truc c’est que je trouve ça presque plus violent parce que ça crée une fausse réalité dans laquelle les personnes qui sont violentes envers leur victime ont en fait de bonnes intentions et donc ne peuvent pas être critiquées. Dans les milieux militants, on parle souvent de la distinction entre la notion d’intention et la notion d’impact, parce qu’on peut croire avec une bonne intention et pour autant faire du mal à la personne, c’est par exemple pour ça que je ne supporte pas l’aide infligée.
Ici, je ne sais pas exactement quelles étaient les intentions de ces deux personnes, je ne suis pas dans leurs têtes. Mais ce qui est sûr c’est qu’elles se sont positionnées comme les gentilles de l’histoire, comme les personnes qui prenaient la bonne décision, pour mon bien, et m’ont complètement déshumanisée dans le processus. Je n’existais plus en tant que personne, j’étais un objet, une chose qu’elles devaient gérer et pour qui elles devaient prendre des décisions. Encore aujourd’hui, quand je pense à cette situation, j’ai l’impression d’un moment où on m’a complètement dépossédée de ma voix, de ma capacité à faire des choix, et où on a décidé pour moi. C’est d’une violence terrible, et ça a bien sûr fait remonter des traumatismes liés à d’autres moments, bien plus grave, où j’ai subi la même perte d’autonomie et de parole.
Dans le mail que je leur ai fait en retour, pour essayer de leur faire comprendre la violence de la façon dont ils m’avaient traitée, j’ai repris des phrases qui avaient été prononcées et j’ai expliqué en quoi elles étaient violentes. Je suis allée rechercher ces phrases et les partager avec vous, parce que je trouve que le concret est toujours plus parlant. Ces phrases ont été prononcées durant le deuxième entretien, pour justifier la décision qui avait été faite de me virer de l’équipe de bénévoles. Les commentaires que je fais ensuite sont soit les commentaires que j’avais fait dans le mail tels quels, soit les commentaires avec des ajouts, soit une réécriture.
« On ne voudrait pas que tu forces trop. » Je suis une adulte, je décide si je force ou pas. L’idée que les valides savent mieux que les handicapé·es ce qui est bon pour elleux est une des bases du validisme. En plus, cet argument est particulièrement inadapté puisque je demandais justement un aménagement pour ne pas avoir à trop forcer.
« On ne voudrait pas que tu t’engages sur des tâches et que tu ne puisses pas les faire le jour J. » Encore une fois, je suis une adulte. S’il n’y a pas d’inquiétude à l’idée que les bénévoles valides ne tiennent pas leurs engagements, avoir cette inquiétude pour les bénévoles handicapé·es est du pur validisme. Je n’ai absolument rien fait pour mériter d’être considérée comme quelqu’un sur qui on ne peut pas compter. En plus, cette phrase était un de mes arguments pour demander un aménagement au premier rendez-vous, la retourner contre moi est particulièrement violent.
« On ne voit pas comment organiser les choses pour que ce soit juste pour les autres bénévoles. » Je ne demande pas un traitement de faveur, je demande un aménagement dû à mon handicap. Ce qui est injuste c’est de me le refuser. Traiter la demande d’aménagements dus à un handicap comme un caprice qui pourrait entraîner des jalousies montre une incompréhension totale de ce que c’est que de vivre avec un handicap.
« En temps normal on aurait dit oui, mais là tu connais la situation financière qu’on a cette année. » Si l’inclusion est uniquement faite quand il y a du budget en plus, ça n’est clairement pas une valeur de l’association. L’inclusion ça n’est pas du bonus, ça n’est pas un service rendu à la personne, ça doit faire partie des process par défaut. Dire aux personnes handicapées qu’elles ne sont pas assez productives, qu’elles coûtent trop cher, qu’elles n’auront une place que si on a du bonus, c’est du validisme.
« Si l’année prochaine tu vas mieux, on sera heureux de te retrouver. » Donc je n’ai de valeur en tant que bénévole que si je suis valide. Et puis, dire à une personne handicapée qu’on espère qu’elle ira mieux, conditionner quelque chose par le fait qu’elle aille mieux, c’est particulièrement violent. Je ne vais pas aller mieux. Il y a 99% de chances que ce que je vis aujourd’hui soit ma réalité tout le reste de ma vie, voire que ça empire.
« On fait pas ça par gaieté de cœur. » Me dire ça à la fin du rendez-vous, quand j’essayais clairement de mettre fin à l’échange parce que la charge émotionnelle était trop forte, je ne vois pas à quoi ça servait ? Je comprends que la position n’était pas agréable, après c’était dû à la décision prise, à elleux de l’assumer. Là iels demandaient à la personne victime de discrimination de les rassurer sur le fait qu’iels n’étaient pas les « méchant·es » de l’histoire. Iels m’ont fait en plus porter la charge mentale de faire l’effort que l’échange reste courtois et de leur dire que je comprends bien ? Ce que j’ai fait, parce que j’étais sous le choc, et parce que j’avais besoin que ce rendez-vous s’arrête. Ne pas demander pas à la personne que vous discriminez de vous rassurer quant à votre sentiment de culpabilité, ça me semble être le minimum.
Comme je l’ai dit plus haut, iels ont ensuite répondu à mon mail. Je n’ai pas répondu à ce dernier mail de leur part, je n’avais pas l’intention de créer une discussion, ais surtout il y deux points dans le mail qui m’ont mise tellement en colère que ma réponse n’aurait pas pu être constructive, et c’était le cadre que je m’étais donné. Voici les deux choses en question :
“Nous te présentons nos excuses si par notre maladresse, tu t’es sentie infantilisée lors de l’échange.” Non. Nous te présentons nos excuses si par notre maladresse nous t’avons infantilisée, à la limite. Mais pas en mode “c’est ton ressenti”. J’ai clairement été infantilisée, j’ai quand même fait un mail de trois pages qui le montrait, donc réduire ça à un “ressenti”, c’est refuser la responsabilité de ses actions. Commencer le mail comme ça ne pouvait que donner le mauvais ton. Le plus drôle étant que si leurs excuses avaient été sincères et formulées correctement, de façon à me montrer qu’iels avaient compris à quel point ils avaient merdé, j’aurais beaucoup mieux vécu toute cette situation à posteriori. De bonnes excuses, sincères, qui montrent qu’on comprend ce qu’on nous reproche et qu’on compte s’améliorer peuvent changer énormément de choses.
“En prévision de notre appel, nous avions consulté une personne de notre entourage, directeur d’un centre dédié aux personnes en situation de handicap, afin de comprendre au mieux ce qui était possible de faire dans ce contexte.” Alors ça c’était leur façon de justifier pourquoi iels sont arrivés au deuxième rendez-vous avec une décision toute prise et aucune marge de manœuvre, ce que je leur reprochais dans mon mail. Et donc au fait que je leur reproche de prendre la décision sans moi, sans laisser de discussion, et sans m’écouter, leur réponse est “on en a parlé avec un directeur de centre dédié aux personnes en situation de handicap”. Aucune idée de qui est ce monsieur, mais s’il leur a vraiment dit de me virer en tant que bénévole parce qu’adapter les tâches étaient impossibles, alors clairement ça n’est pas quelqu’un de compétent. Le fait qu’après avoir lu mon mail où je n’arrêtais pas de souligner que le plus violent dans tout ça était comment iels m’avaient traitée comme si je n’avais pas voix au chapitre et pris des décisions à ma place sans m’écouter, leur justification soit “on a parlé de toi à un parfait inconnu qui ne connaît rien de ta situation et on a préféré l’écouter lui”, ça je n’arrive pas à comprendre. En lisant cette phrase, j’ai compris qu’ils étaient encore plus loin que je ne le croyais dans la compréhension des enjeux d’oppression en général et du validisme en particulier. (le fait que ce type ait accepté de répondre à leur question montre un peu le validisme des personnes qui travaillent avec les personnes handicapées, il aurait dû leur répondre d’en discuter avec moi).
Ah, et vous voulez savoir le plus drôle ? Le truc que j’oublie toujours de raconter mais qui met vraiment tout ça en relief ? Juste avant qu’on ait cette discussion, une des personnes bénévoles s’est blessée. Elle a annoncé qu’elle ne serait pas capable de faire certaines tâches pendant l’évènement… Ça n’a entraîné aucun débat… Mais j’imagine que comme elle était valide, elle on lui faisait confiance pour tenir ses engagements et on s’est pas sentis obligés d’aller voir un directeur de centre pour handicapé·es pour savoir quoi faire.
Autopsie
Des mois après, je peux dire que le jour où je me retrouverai dans une situation similaire, je ne ferai pas les mêmes choix. J’ai voulu donner le droit à l’erreur aux personnes impliquées et l’association me tenait à cœur, j’ai eu peur d’être celle qui lui fasse du mal en tapant dans la fourmilière. J’avais investi beaucoup de temps et d’énergie dans cette association, dans cette communauté, et je n’avais pas envie que ça s’avère être pour rien. Et j’ai aussi manqué de courage, si je dois être honnête, l’idée d’avoir potentiellement à justifier ce qui venait de m’arriver, à justifier mon statut de victime, et à devenir ça aux yeux de la communauté tech, était au-dessus de mes forces.
Le problème c’est que je sais trop comment sont traitées les victimes quand elles dénoncent des violences oppressives qu’elles ont subies. Je sais que ce sont les victimes qui sont négativement impactées sur le long terme, et que c’est un vrai sacrifice de le faire. Je n’y étais pas prête, parce que j’étais déjà dans une position très fragilisée, et parce que je n’avais la force de porter ça pendant des mois, voire des années.
Aujourd’hui, je sais que ce genre de positions ne me convient pas. J’ai beaucoup souffert de ne pas être transparente sur ce qui s’était passé. Je suis quelqu’un qui n’aime pas jouer à ce genre de jeux. Je me suis sentie comme déloyale et pas alignée avec mes convictions.
J’ai cru que miser sur une sortie constructive de cette situation me permettrait de trouver un positionnement qui conviendrait à mon éthique. Seulement, je n’ai eu absolument aucun retour à ce sujet. Des mois plus tard, l’association n’a communiqué (ni en public, ni en direct avec moi) sur aucun travail sur ces questions. Je suis partie, j’ai clairement dit que cette association était validiste et leur ai dit qu’il fallait qu’elle s’améliore sur ces points… Et puis rien. Plus le temps passe, plus je suis persuadée que mon mail a été traité comme une situation de crise puis oublié. Que je n’ai eu aucun impact. Et ça, du coup, ça ne me satisfait pas.
Si j’avais parlé de la situation publiquement, les adhérentes et adhérents de l’association auraient pu prendre leurs dispositions. Je ne sais pas si ça aurait changé grand chose, mais en tout cas les personnes qui ne voulaient pas être dans une association validiste auraient pu la quitter, par exemple. Ou faire pression pour qu’un travail d’amélioration soit entrepris. Mais comme je n’ai dit les choses qu’en interne…
Personne de l’association n’est non plus vérifier que j’allais bien. Me laisser digérer la situation, c’était bien. Mais des mois après, ne pas revenir vers moi pour au moins vérifier que ça allait ? Moi qui croyait être dans une association humaine.
Mais surtout, avec du recul, je me rends compte que j’ai muselé ma colère, mon indignation, tout à fait légitimes, parce que je ne me suis pas faite confiance dans comment je ressentais la situation. Il a fallu que plusieurs de mes proches confirment à quel point c’était violent pour que j’arrête de douter du validisme de ce qui s’était passé. Ce qui est fascinant c’est que si c’était arrivé à quelqu’un d’autre, la situation aurait été très claire pour moi. Mais comme c’était moi, d’un coup, je ne me faisais pas confiance. C’est pour ça que dans ces cas là j’essaie de décaler, de me demander “si ça arrivait à quelqu’un d’autre, comment tu réagirais ?”, mais cette fois j’étais tellement perdue dans le choc de ce que je vivais que je n’ai pas réussi à faire ce pas de côté.
C’est facile pour moi d’être indignée pour les autres, de porter les combats des autres… Ça l’est beaucoup moins quand ça me concerne directement. Ce sont des choses sur lesquelles je travaille depuis des années mais ça reste vrai.
Avec du recul la question que je me pose c’est à quel point c’était vraiment une démarche honnête de leur part. J’essaie de ne pas verser dans la paranoïa mais j’ai quand même bien l’impression a posteriori que tout était joué avant le premier rdv, quand ils parlaient entre eux de moi avant que je les contacte pour qu’on discute, et que quelque part ça les arrangeait bien dans l’absolu de me remplacer par quelqu’un de valide.
Malgré ce que dit le titre, ça n’est sûrement pas l’attaque validiste la plus grave dans ma vie, être discriminée sur ma santé ou le travail par exemple est bien plus grave que de ne pas pouvoir être bénévole à un évènement. Mais émotionnellement c’était la plus dure à supporter jusque là. On s’attend aux violences systémiques, pas à celles venant de nos cercles relationnels de confiance.
C’est incorrect. J’étais handicapée avant d’avoir le covid long. Mais ce que j’avais était classé dans des maladies chroniques gérables et peu impactantes dans le quotidien, ou en tout cas relativement facilement gérables, donc je ne me sentais pas handicapée. C’est bien le covid long qui a amené pour moi le sentiment d’être handicapée et, surtout, qui a amené les réactions, discriminations, insultes, agressions validistes qui vont avec. Le covid long m’a rendue handicapée, pour moi et pour les autres et, bien que ce soit un “handicap invisible” comme on dit, c’est lui qui m’a fait visiblement changer de groupe social, qui m’a projetée du côté des dominé·es et fait perdre les privilèges que j’avais du fait que mes handicaps n’étaient pas perçus comme tels avant.