[31] Réapprendre à lire
(Re)trouver le plaisir de la lecture peut parfois demander du travail.
Il y a quelques temps je vous ai parlé de l’année où j’ai lu un livre par jour. Dans cet article je vous avais un peu décrit mes habitudes de lectrice et comment j’en étais venue à me donner ce challenge. J’avais évoqué rapidement avoir eu des années où j’avais moins lu sans entrer dans les détails. J’avais en fait été malade et avais perdu complètement le goût de la lecture. Réapprendre à aimer lire, quelque chose que je tenais pour acquis depuis l’enfance, m’a demandé pas mal de travail et a débouché sur ce challenge un peu fou de lire un livre par jour, comme une façon de me prouver que j’avais réussi à me rééduquer.
Et ça a tenu… jusqu’au covid long. Ou plus précisément, jusqu’à mon deuxième covid qui a empiré mon covid long. Ça fait plusieurs mois maintenant que j’ai de nouveau beaucoup de mal à lire. Et bien sûr, ça me manque. Alors j’ai décidé de me relancer dans une rééducation qui, après avoir fait le point, demandera un travail un peu différent de la première fois. Je me suis dit que je pourrais partager tout ça avec vous, peut-être que ça vous intéressera !
“I declare after all there is no enjoyment like reading! How much sooner one tires of any thing than of a book! — When I have a house of my own, I shall be miserable if I have not an excellent library.” - Jane Austen
Je viens d’une famille de lecteurices. Toute petite mes parents m’ont lu des livres, m’ont acheté des livres, et je les ai vus passer des heures à lire des livres de leur côté. Une de mes photos préférées de mon enfance est une photo où ma mère, mon père et moi sommes dans un lit et on lit toustes un livre. (Enfin moi je fais semblant parce que je ne vais pas réécrire l’histoire et dire que je savais lire à 3 ans, il ne faut pas exagérer). Quand je suis rentrée en maternelle, au bout de la première semaine j’ai dit à mes parents que j’étais très déçue parce qu’on n’avait toujours pas appris à lire… Bref, globalement le fait que j’ai été toute ma vie une grande lectrice n’est absolument pas surprenant.
Vous ne serez sûrement pas surprises ou surpris d’apprendre que ma princesse Disney préférée était Belle et que j’ai très certainement eu une période de ma vie où je ressemblais un peu plus à sa parodie par Sandrine de l’Offre qu’à l’originale (mais j’ai beaucoup travaillé sur moi pour ne plus voir la lecture comme quelque chose qui fait de moi quelqu’un de meilleur que les gens qui ne lisent pas parce que ça c’est typiquement un biais que je n’ai pas envie d’avoir) :
La majorité de ma vie, mes habitudes de lectures ont été de dévorer à peu près tout ce qui me tombait sous la main. Si un livre me plaisait, je pouvais passer mon weekend à le lire sans rien faire d’autre, comme on binge une série ou comme on passe un weekend à jouer à un jeu vidéo. Je ne compte plus les nuits blanches, ou très tardives, passées à me dire “bon encore un chapitre et j’arrête !” jusqu’à finir le livre. A l’adolescence j’ai commencé à lire en anglais et je l’ai fait en lisant des classiques de la littérature anglaise, et découvert qu’ils me plaisent souvent mieux que les classiques français. Mais j’ai des goûts assez éclectiques, je peux à la fois m’éclater en lisant de grands classiques et en lisant de l’urban fantasy, l’horreur et la science fiction sont des genres que j’adore, mais je lis aussi du théâtre, de la poésie, et tout un tas d’autres choses.
Une des choses que je me suis autorisée très tôt c’est de ne pas tout aimer. Alors des fois je n’aime pas un livre, je ne le finis pas, et c’est comme ça. Et ça peut être un grand classique que tout le monde adore comme un petit livre peu connu, ça ne change rien. Il y a des auteurs considérés comme des GÉNIES dont j’ai essayé de lire plusieurs livres avant d’abandonner… Et il y en a même que je n’arrive pas à lire mais dont je trouve les adaptations en films super (coucou Jules Verne mon nemesis). Et depuis l’adolescence j’ai aussi ajouté les livres de non-fiction à tout ce bazar ce qui fait que j’ai toujours au moins trois ou quatre livres en cours en parallèle pour pouvoir passer de l’un à l’autre selon les envies. Ah et puis les audiolivres aussi !
(je dois admettre que la scène dans la Belle et la Bête avec la découverte de la bibliothèque me fait toujours autant frissonner rien que d’y penser. C’est sûrement LE truc que je ferais si j’avais de l’argent.)
“Until I feared I would lose it, I never loved to read. One does not love breathing.” - Harper Lee
De 2015 à 2017 j’ai eu un épisode de dépression sévère qui m’a amenée à être hospitalisée en clinique psy deux fois et à devoir faire une thérapie d’urgence pour aller mieux. C’était une période très noire de ma vie comme vous pouvez l’imaginer et j’y ai perdu pas mal de choses que j’ai mis des années à reconstruire ou réapprivoiser par la suite. Le goût de la lecture en fait partie.
Pendant deux ans je n’ai quasiment rien lu. Je n’y prenais aucun plaisir mais, au-delà de ça, je perdais constamment le fil de ce que je lisais, je ne me souvenais pas de ce que j’avais lu et je n’arrivais pas à m’investir dans aucune des histoires que j’essayais de lire1.
Quand j’ai commencé à aller mieux, j’ai recommencé à lire par un biais un peu inattendu. Ma psychologue me connaissait assez pour savoir qu’une des façons que j’avais de travailler sur ma dépression c’était en comprenant ce que je vivais au niveau scientifique. Je suis quelqu’un qui a besoin de comprendre pour pouvoir avancer, elle l’a compris. Donc quand j’ai commencé à aller mieux, elle m’a emprunté des livres à la bibliothèque universitaire où elle avait ses accès. Et j’ai donc recommencé à lire en lisant des livres scientifiques de psychologie/psychiatrie. Pas le plus simple mais au moins il n’y avait pas d’investissement émotionnel et je pense que c’était finalement ce dont j’avais besoin (et de fait ça m’a beaucoup aidée pour la thérapie).
Et puis à un moment j’ai eu envie de lire à nouveau. Donc j’ai commencé par des livres que j’avais déjà lus, que j’aimais et dont j’espérais qu’ils me permettraient de retrouver mes marques, un peu comme une sorte de mémoire musculaire. Et ça a plutôt bien fonctionné. Petit à petit je me suis remise à lire aussi des choses nouvelles et je n’ai pas eu besoin de beaucoup forcer pour que mes habitudes de lectrice reviennent…
Quoi qu’il en soit, j’ai fini l’année 2017 avec même pas une trentaine de livres lus, ce qui ne m’étais jamais arrivé avant la dépression (à vue de nez puisque je n’ai pas toujours gardé trace des livres lus). Une partie de moi avait un peu peur d’avoir perdu ce lien particulier que j’avais avec la lecture et de ne jamais retrouver cette facette de ma vie qui comptait pour moi. Alors pour 2018 je me suis mis un challenge de lire au moins cent livres, qui était en gros ma moyenne annuelle avant.
Ça m’a demandé un peu d’effort au début, mais j’ai réussi à surpasser cet objectif. Et j’ai fini 2018 avec vraiment l’impression que j’avais retrouvé mes marques avec la lecture… Et donc j’ai enchaîné sur le challenge d’un livre par jour. Et je pensais après cette année pouvoir de nouveau compter sur mes habitudes de lectrices, je n’avais aucune idée qu’il ne faudrait que quelques années avant que je me retrouve à devoir à nouveau repasser par la case départ…
“The world was hers for the reading.” - Betty Smith
J’ai eu mon premier covid en décembre 2020 et après cinq semaines alitée, j’ai enchainé avec un covid long qui a entrainé fatigue chronique, douleurs, brouillard cognitif et autres joyeusetés du genre. Mon état ne s’est pas amélioré avec le temps, comme on me le promettait au début, et un deuxième covid au printemps dernier, heureusement un peu moins virulent que le premier, a encore semblé empirer les symptômes du covid long.
J’ai petit à petit perdu de la puissance sur la lecture. De 108 livres lus en 2021, je suis passée à 77 en 2022. Arriver à 77 m’a déjà demandé des efforts et j’ai donc décidé que j’allais abaisser mon challenge annuel à un livre par semaine. Après tout, c’est moi qui fait les règles, il n’y a aucune raison de s’imposer des choses désagréables. En 2023 j’ai atteint tant bien que mal mon objectif d’un livre par semaine, en faisant de plus en plus d’efforts que l’année avançait. Cette année, j’ai de nouveau mis le même objectif, et pour le moment je suis à jour, mais je dois bien admettre que, de nouveau, lire me pose un problème.
J’ai beaucoup de mal à me concentrer quand je lis, d’ailleurs je lis plus de livres audio en ce moment pour pouvoir faire autre chose en même temps (quelque chose qui occupe, comme la cuisine ou le ménage). Sur les livres papier (enfin je lis beaucoup sur liseuse mais vous voyez ce que je veux dire), j’ai du mal en général à lire plus d’une heure d’affilée, alors qu’avant je pouvais enchaîner bien plus sans problème. Très souvent, je m’installe pour lire, je lis quelques pages et puis je n’y arrive plus et je dois abandonner.
Les jours où j’ai du brouillard cognitif lire est quasiment impossible. La fatigue chronique n’aide pas non plus, c’est dur de lire quand on est épuisée et que notre cerveau ne pense qu’à dormir. Et s’il y a en plus des douleurs qui vont me distraire et m’empêcher de rentrer dans ma lecture…
Bref, j’ai plein de raisons d’avoir du mal à lire. Par contre, j’y prends toujours du plaisir, quand j’y arrive, et ça me manque. Alors j’ai décidé de trouver une manière de me rééduquer à nouveau pour reprendre des habitudes me permettant de lire. Sauf que cette fois, il n’est pas question de revenir à mes anciennes habitudes (il n’y a aucune chance par exemple que je fasse une nuit blanche à lire, mon corps mettrait plusieurs jours à s’en remettre) mais d’en créer des nouvelles. Et c’est pas évident.
J’ai remarqué qu’il m’était devenu presque impossible de faire ce que je faisais avant : finir ma journée de travail et plonger dans un livre. En général, le soir je suis trop épuisée, trop usée par ma journée pour réussir à lire. Alors j’ai décidé de créer une nouvelle routine. Je lis le matin. Tous les matins, pendant mon petit-déjeuner, je lis au moins une demi-heure. Et oui, je mets un chronomètre. Le but est de voir si je peux reprendre une habitude.
Et ça marche ! Le matin est le moment où je suis la plus “reposée” (si vous avez de la fatigue chronique vous comprenez mes guillemets) et où je suis la plus fraîche pour lire et comprendre ce que je lis. Donc j’y arrive beaucoup mieux que le soir. Et j’y prends beaucoup de plaisir. Tellement que je me suis fixé une heure de lecture le matin les jours où je ne travaille pas.
Et le plus drôle c’est que depuis que je fais ça, il arrive que je puisse lire le soir après mon travail aussi ! Je ne sais pas comment expliquer mais il m’est arrivé de reprendre un livre en fin d’après midi plutôt que de lancer une série parce que le matin j’avais été frustrée de devoir arrêter.
Je dis souvent qu’une des choses que je trouve le plus difficile avec le covid long c’est de devoir sans cesse recalibrer ma vie, changer mes habitudes, pour m’adapter à la maladie. Et j’avais très peur que ce soit vraiment difficile de le faire pour la lecture, j’avais peur de devoir sacrifier cette activité qui fait partie de moi depuis toujours et qui m’apporte tellement. Mais finalement, pour le moment, j’ai trouvé le twist qu’il fallait appliquer pour que ça fonctionne. Si seulement tout le reste pouvait être aussi simple…
Je regardais pas mal de séries et de films à ce moment du coup pour remplacer et j’arrête pas de me rendre compte que j’ai complètement oublié telle ou telle série vue pendant cette période, c’est très bizarre parce que j’ai un vague souvenir d’avoir vu, je sais que j’ai vu, mais j’ai aucun souvenir de ce qu’il y a dedans.